1 avril 2002 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Jacques Chirac, Président de la République et candidat à l'élection présidentielle 2002, à "La Dépêche de Tahiti" en avril 2002, sur l'arrêt des essais nucléaires, la réforme du statut des territoires d'outre-mer, notamment la Polynésie française, la question d'un référendum d'indépendance pour la Polynésie et la lutte contre l'insécurité.

En 1995, après votre élection à la Présidence de la République, vous avez décidé de faire reprendre les essais nucléaires dans le Pacifique, alors que votre prédécesseur les avait suspendus. Certains de ceux qui avaient voté pour vous en 1995 ont regretté cette décision et affirment pour cette raison qu'ils ne voteront pas pour vous lors du prochain scrutin. Que pouvez-vous dire à ces " déçus " pour leur redonner confiance en vous ?
J.C. : Cette décision de reprendre les essais nucléaires était liée à des impératifs de défense et d'indépendance nationale. Pour des raisons de politique intérieure et sans concertation avec la Polynésie, François Mitterrand avait suspendu les expérimentations nucléaires, sans se préoccuper des conséquences sur la sécurité nucléaire et la crédibilité de notre dissuasion. Il savait que son successeur serait confronté à l'inévitable reprise des expérimentations nucléaires pour traiter le problème du maintien en sécurité des armes existantes en raison de leur vieillissement.
Reprendre les expérimentations était donc indispensable. Mais j'ai tenu à ce que ces nouveaux essais soient limités dans le temps et réduits au strict minimum, avant d'y mettre un terme définitif. Les derniers essais ont permis d'établir une base scientifique sans laquelle il était impossible d'assurer la sécurité des armes nucléaires existantes et la poursuite d'un programme de renouvellement des armes, indispensable pour la crédibilité de notre dissuasion garante de notre indépendance nationale.
Après les derniers tirs, j'ai pris la décision de fermer et démanteler les installations d'essais du Pacifique. Cette décision est irréversible. Dans le même temps, la France a ratifié le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE), et le traité de Rarotonga (zone exempte d'armes nucléaires du Pacifique sud). Par ce geste la France a été la première puissance nucléaire à avoir pris des engagements solennels d'arrêts définitifs d'essais nucléaires.
Enfin pour ne pas affecter le développement de la Polynésie française après l'arrêt des essais nucléaires, j'ai décidé en 1996 qu'une convention sur le renforcement économique du Territoire engagerait l'Etat français à compenser annuellement pendant dix ans les pertes engendrées par la fermeture du centre d'essais.
Le Parlement a adopté une réforme constitutionnelle pour la Polynésie. Pour des raisons qui ne concernaient pas le Territoire, vous avez décidé de ne pas convoquer le Congrès qui devait mener cette réforme à son terme. Certains partis autonomistes estiment que la "surenchère statutair " nous entraîne tout droit vers l'indépendance. Comptez-vous reprendre la démarche telle qu'elle avait été engagée ou enclencher un nouveau processus vers ce qu'il est convenu d'appeler un " Pays d'outre-mer " ?
J.C. : La réforme constitutionnelle a échoué parce que la méthode du gouvernement socialiste n'était pas bonne.
Traiter ensemble des dossiers qui n'ont rien à voir les uns avec les autres, comme la réforme de la justice et l'outre-mer, bricoler la Constitution au coup par coup en y ajoutant des titres supplémentaires chaque fois qu'il faut répondre à une demande d'une collectivité, alors qu'il y a un titre XII qui concerne l'ensemble des collectivités de la République, ça n'a pas de sens.
Comme je l'ai dit clairement dans mes discours de Madiana en Martinique et de Champ Fleuri à La Réunion, il faut rénover de façon globale et cohérente notre cadre constitutionnel pour permettre aux collectivités territoriales de la République, d'outre-mer mais aussi, d'ailleurs, de métropole, d'évoluer dans un monde qui, depuis 20 ans, a changé et rend aujourd'hui indispensable la mise en place d'une nouvelle architecture des pouvoirs. Il faut en effet favoriser un plus large exercice des responsabilités locales avec des transferts de compétence de l'Etat vers les autorités locales pour que les problèmes soient traités au plus près des citoyens et que se développe une démocratie de terrain et de proximité.
J'ai indiqué clairement quelles étaient les limites que je fixais à ces transferts de compétence, à savoir le respect de l'unité de la République et des principes qui fondent notre pacte républicain, auxquels il ne saurait d'aucune façon être dérogé. C'est dans ce cadre que je suis favorable à un renforcement de l'autonomie de la Polynésie qui se fera grâce à une révision constitutionnelle permettant de faire du " sur mesure ", car il est bien évident aujourd'hui que la catégorie uniforme des TOM n'a plus beaucoup de signification.
L'objectif recherché par le Pacte de Progrès et le contrat de développement qui en découle semble être atteint. Le Fonds de reconversion de la Polynésie a permis à celle-ci de faire de très grands progrès mais ces dispositifs à assez brève échéance vont arriver à leur terme et il nous reste encore beaucoup à faire. Pensez-vous pouvoir les reconduire et croyez-vous que la Polynésie sera un jour assez autonome pour se passer de la solidarité nationale ?
J.C. : La solidarité nationale ne doit d'aucune façon être remise en cause. Je considère que la République a un devoir, je dirai même une dette, qui ne s'éteindra jamais à l'égard des Polynésiens, qui ont donné à la France les moyens d'assurer sa sécurité extérieure. Nous ne devons jamais l'oublier. Je suis bien sûr favorable à la prorogation du Fonds de reconversion de l'économie polynésienne au-delà de 2006 car je considère que la Polynésie doit pouvoir continuer à bénéficier de façon pérenne de dispositifs spécifiques pour son développement en plus des autres dispositifs que je souhaite renforcer pour l'ensemble de l'outre-mer. Je pense en particulier à la loi programme sur 15 ans que je propose qui comportera notamment un nouveau système de défiscalisation permettant de relancer l'investissement en Polynésie comme dans les autres collectivités d'outre-mer.
Plusieurs partis, et en premier lieu les indépendantistes, réclament un référendum sur l'indépendance de la Polynésie. Ce type de consultation vous paraît-il opportun, souhaitable ?
Par ailleurs, quelle serait pour vous la meilleure manière de déterminer le corps électoral pour une telle consultation ?
J.C. : Je vous rappelle que le Président de la République est le garant des institutions et qu'il veille au respect de la Constitution qui est très claire sur ce sujet. L'article 53 de notre Constitution précise en effet que " nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n'est valable sans le consentement des populations intéressées ".
Je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui le contexte politique de la Polynésie justifie qu'on organise une telle consultation des Polynésiens qui manifestent régulièrement, lors des différents scrutins, leur attachement à la République.
Pour l'envisager, je rappelle qu'il faut que le Parlement prépare une loi organisant cette consultation et que cette loi soit votée. Tant que la volonté des Polynésiens s'exprime très clairement et très majoritairement pour le maintien dans la République, il me semble inopportun d'évoquer l'organisation d'un tel processus qui serait un facteur de division et de tension inutile.
Vous avez fait de la sécurité un des thèmes principaux de votre campagne. La Polynésie n'est pas épargnée par la montée de la délinquance. Une des causes de cette évolution est liée au sous-effectif des forces de police et de gendarmerie.
Seriez-vous favorable à un renforcement du rôle des polices municipales voire à un accroissement des prérogatives du Territoire en matière de gardiennage sachant que la sécurité reste de la seule compétence de l'Etat ?
J.C. : La Polynésie n'échappe hélas pas à la véritable gangrène de l'insécurité qui frappe notre société et le bilan de la gauche est catastrophique dans ce domaine.
La sécurité est un sujet essentiel à mes yeux. Les chiffres de la délinquance ont augmenté de plus de 16 % en cinq ans. Le rétablissement de l'autorité de l'Etat et de la sécurité est le préalable indispensable pour garantir notre cohésion nationale.
C'est une question de volonté politique et de capacité à imaginer des instruments nouveaux : des centres fermés pour éloigner les chefs de bandes et leur offrir une chance sérieuse de réinsertion, une justice de proximité sur le modèle des anciennes justices de paix pour prononcer immédiatement les toutes premières peines dans l'échelle des sanctions, des groupements opérationnels pour démanteler les réseaux qui mettent des quartiers entiers en coupe réglée, un soutien aux familles mais aussi des santions financières prononcées par le juge quand elles refusent d'assumer leurs responsabilités.
La Polynésie doit bénéficier, elle aussi, de moyens renforcés pour que cesse l'inacceptable dérive de l'insécurité.
Dans mon " engagement pour la France ", je dis clairement que je souhaite donner aux maires un rôle essentiel dans la lutte contre l'insécurité car ils connaissent mieux que quiconque les réalités de la délinquance.
Dans cette perspective, je propose qu'ils puissent présider un conseil local de sécurité pour mobiliser et coordonner les responsables de tous les services de l'Etat et des collectivités locales afin d'arrêter les priorités de l'action locale contre l'insécurité. L'Etat conservera naturellement la charge de l'action opérationnelle de police et de gendarmerie.
Le député socialiste René DOSIERE, récemment de passage sur le Territoire avec Raymond FORNI, le Président de l'Assemblée nationale, a estimé que " l'Etat de droit " n'était pas respecté en Polynésie. Comment appréhendez-vous cette critique qui, finalement, rejoint une de vos préoccupations nationales sur la nécessité de restaurer l'autorité de l'Etat et l'Etat de droit ?
J.C. : Je suppose que ce parlementaire faisait référence à l'échec du Gouvernement dans le domaine de la sécurité et du respect des institutions ¿
Les socialistes vous accusent de ne pas avoir respecté, dans la mesure de vos moyens, les promesses faites pendant la précédente campagne. Vrai ou faux ?
J.C. : Le comportement le plus responsable et le plus démocratique, c'est bien celui qui privilégie, quoi qu'il en coûte, l'intérêt national.
En 1995 j'ai pris mes responsabilités à une époque où c'était très difficile. J'ai fait en sorte que la France puisse entrer dans l'euro. De 1995 à 1997, le déficit est passé de 6 à 3,5 % du PIB et le gouvernement socialiste n'a plus eu à faire que les 0,5 % restants pour atteindre l'objectif de 3 %.
Je rappelle également que fin 1996 a été engagée la plus importante baisse de l'impôt sur le revenu lancée en France et qu'elle a été arrêtée l'année suivante par le nouveau gouvernement.
Je rappelle enfin que par la suite, grâce à quatre années de croissance, le gouvernement aurait eu tous les moyens financiers de faire les réformes fondamentales dont le pays a besoin. Il a laissé passer cette chance faute de volonté ou par crainte de briser la majorité plurielle.
Les électeurs ont le sentiment qu'il n'y a pas de réelle différence entre votre projet et celui de Lionel JOSPIN. Que leur répondez-vous ?
J.C. : Je l'ai déjà dit : il y a un abîme entre nous.
Il y a quelques sujets sur lesquels le premier ministre et moi-même avons des positions apparemment proches. La politique européenne à laquelle Lionel JOSPIN a fini par se rallier, la politique étrangère, mais aussi les grands objectifs de la politique de défense même si j'ai exprimé de vives inquiétudes sur la réduction des moyens budgétaires alloués à l'équipement de nos armées. En revanche, des divergences considérables demeurent : ce sont nos visions respectives de la société et du monde de demain qu'il s'agisse de la sécurité, de la fiscalité ou du rôle de l'Etat. Le premier ministre conserve une approche très idéologique de la politique. Les 35 heures en sont la meilleure illustration: " on décide, on ne consulte personne, on impose ".
Il y a aussi une autre différence. Pour ma part, je respecte les institutions et enfin je n'admets pas que l'on critique ou mette en cause les institutions de la République. Elles doivent être respectées. Il est, par exemple, inadmissible que l'on présente et fasse voter délibérément des projets de loi dont on sait pertinemment qu'ils sont inconstitutionnels. Ce fut par exemple le cas pour la Corse. C'est aussi le même irrespect total à l'égard de nos institutions que j'observe dans la politique menée Outre-mer : le Gouvernement socialiste a ouvert un débat statutaire sans le cadrer préalablement et en annonçant qu'il consulterait les populations d'Outre-mer sur des projets d'évolution institutionnelle non conformes à la Constitution. Je condamne cette méthode qui montre bien que nos collectivités d'Outre-mer sont perçues par la gauche comme ne faisant pas réellement partie intégrante de la République.
(source http://www.chiracaveclafrance.net, le 9 avril 2002)