12 septembre 1996 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur les relations franco-polonaises, l'accession de la Pologne à la démocratie et à l'économie de marché et sur la négociation en vue de son adhésion à l'Union européenne, Varsovie le 12 septembre 1996.

Monsieur le Président, madame, mesdames et messieurs, mes chers amis,
- Permettez-moi, Monsieur le Président, de vous remercier pour vos paroles amicales et pour votre accueil si chaleureux que vous nous avez réservé, à mon épouse et à moi-même, et nous vous en sommes profondément reconnaissants. Au-delà de nos personnes, nous y avons vu un témoignage d'amitié du peuple polonais au peuple français, la manifestation de cette exceptionnelle fraternité qui, depuis toujours, rapproche nos deux nations.
- C'est avec beaucoup d'émotion que je visite cette Pologne, chère au coeur des Français. Et c'est avec respect que je mesure le chemin parcouru en quelques années par le peuple polonais, au prix d'immenses efforts. Oui, la Pologne peut désormais aborder l'avenir, son avenir dans l'Europe, avec confiance.
- Au lendemain de la guerre, Varsovie offrait le spectacle de la destruction. Varsovie alors, c'était ces ruines parmi lesquelles erraient les survivants des bombardements, des exécutions et des déportations. Puis une chape de plomb s'abattit sur votre pays et sur d'autres. Pendant deux générations, des dizaines de millions d'Européens restaient interdits d'Europe.
- Cette déchirure au coeur de notre continent, que symbolise Yalta, la France ne l'a jamais acceptée. Elle gardait l'espoir de nous voir tous, un jour, rassemblés. Ici, à Varsovie, il y a bientôt tente ans, le Général de Gaulle en appelait naturellement à la Pologne et à la France pour refaire l'unité de l'Europe. Cette unité est en marche. Notre famille européenne se retrouve.
- Depuis notre arrivée, mon épouse et moi-même admirons la capitale de votre grand Etat. Quel contraste entre les images de désolation d'hier et la grande et fière cité, dynamique et bruissante d'activité, qui nous accueille aujourd'hui ! Varsovie n'est-elle pas le plus beau, le plus puissant symbole de cette volonté, de cette force d'âme, manifestées, tout au long de son histoire, par la nation polonaise, et aussi de sa capacité à surmonter les épreuves ? Votre peuple, voici sept ans, obtenait de haute lutte la liberté et la démocratie. Il donnait le signal de l'émancipation aux nations opprimées de notre continent.
- Traversant tout à l'heure le rond-point "Charles de Gaulle", j'y ai lu cette belle inscription : "cale narod buduje swoja stolice", "la nation polonaise tout entière reconstruit sa capitale". Aujourd'hui, c'est son pays tout entier que le peuple polonais enracine dans la démocratie, ouvre aux échanges et prépare à l'aventure européenne. Le chantier est immense, mais que de progrès déjà réalisés ! Je sais les difficultés que rencontrent de nombreux Polonais dans cette période de transition économique, et les sacrifices qu'imposent les restructurations en cours. Mais je sais aussi que les Polonais réussiront dans cette grande entreprise. L'enjeu est capital pour la Pologne. Il l'est aussi pour l'Europe.\
Pour la première fois dans son histoire, assurée de ses frontières, la Pologne souveraine et démocratique, en paix avec tous ses voisins, rejoint sa famille, l'Europe.
- La France s'est résolument engagée en faveur de votre adhésion à l'Union européenne. Elle souhaite vous y accueillir dès l'an 2000, avec cet enthousiasme, cette chaleur, cette confiance qui marquent, depuis toujours, nos relations. Cet élargissement est une nécessité historique. Il est aussi une chance pour tout notre continent.
- Au sein de l'Union élargie, la Pologne et la France pourront travailler ensemble à l'édification de cette Europe-puissance qui doit occuper toute sa place sur la scène internationale £ à la construction de cette Europe des hommes, une Europe généreuse qui affirme son modèle social pour mieux relever les défis de la mondialisation. Nous partageons une conviction : l'Europe doit être bien davantage qu'un vaste marché. Elle doit être demain cet espace de solidarité politique, seul capable d'assurer la stabilité et la prospérité de notre continent, en même temps que son rayonnement dans le monde. Elle doit être aussi cet espace de solidarité humaine qui ne laisse personne au bord du chemin.
- Mais construire l'Europe, c'est aussi réussir l'élargissement de l'Alliance atlantique. Trops longtemps victime de l'Histoire, la Pologne a pleinement vocation à nous y rejoindre et la France soutient chaleureusement votre adhésion à l'Otan. La réforme et l'élargissement de l'Alliance doivent s'inscrire dans la perspective d'une Europe définitivement en paix grâce à des structures de sécurité qui ne laisseraient aucun pays à l'écart.\
Monsieur le Président,
- Votre grand poète Adam Mickiewicz que vous avez cité, écrivit, dans "Le livre des pélerins polonais" ces mots empreints de détresse : "celui qui suit la liberté, qu'il quitte sa patrie". Et à tant de patriotes polonais en exil, la France offrit un refuge. Aujourd'hui, votre peuple rassemblé peut enfin vivre en liberté dans sa patrie. A vos côtés dans les jours de peine, les Français le sont aussi à l'heure du renouveau et de l'espoir.
- Dans son entreprise de réforme comme dans son ambition européenne, la Pologne peut compter sur la solidarité sans faille et l'appui sans réserve de la France.
- Nos deux peuples sont unis par une amitié instinctive. Cette amitié est nourrie par l'Histoire et par nos échanges. Elle tire sa force de nos liens humains et de la présence en France de près d'un million de Polonais et de Français d'origine polonaise. Ces hommes et ces femmes, je les connais bien, attachés à leurs racines, mais profondément ancrés dans notre vie nationale, et ils l'enrichissent par leurs capacités, leur courage, leur travail et leurs talents.
- Grâce à ce patrimoine commun, nous pouvons faire beaucoup plus encore : apporter une contribution irremplaçable à l'avènement d'une Europe de paix, de liberté et de prospérité. C'est fort de cette conviction et avec confiance en l'avenir que je vais maintenant lever mon verre. Monsieur le Président, je le lève en votre honneur et en celui de Madame Kwasniewska qui allie l'esprit et le charme. Je lui présente mes très respectueux hommages. Je bois au bonheur du grand peuple polonais, frère du peuple français. Je bois à la noble Pologne, à la Pologne éternelle. Je bois à notre amitié millénaire et à cet avenir que nous devons bâtir ensemble. Vive la Pologne ! Vive la France ! Vive l'amitié franco-polonaise !\