4 février 1992 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à TF1 et Antenne 2 le 4 février 1992, sur la responsabilité des hauts fonctionnaires dans l'affaire Habache, la réforme constitutionnelle pour la ratification du Traité de Maastricht et celle du mode de scrutin pour les législatives.
QUESTION.- Monsieur le Président, bonsoir. Pour 58 % des Français selon un sondage IFOP, du Parisien, ce matin, vous étiez au courant de l'arrivée de Georges Habache en France. Comment un Président peut-il ne pas être au courant de l'arrivée d'un personnage aussi controversé ? Est-ce qu'il y a quelque chose qui cloche dans ce que l'on appelle le système Mitterrand ? Est-ce que vous êtes bien entouré ? En d'autres termes, monsieur le Président, si vous aviez été prévenu à temps de l'arrivée de Georges Habache, est-ce que vous vous seriez opposé à son hospitalisation ?
- LE PRESIDENT.- Deux questions à la fois, ce n'est pas facile. D'autre part, soyez tranquilles, je répondrai mais on pourrait peut-être cadrer un peu vos questions.
- QUESTION.- Etiez-vous au courant ? Voilà une question que les gens se posent.
- LE PRESIDENT.- Laissez-moi parler !
- QUESTION.- Quand l'avez-vous appris, monsieur le Président ?
- LE PRESIDENT.- Laissez-moi parler, vous aussi. Depuis six jours, vous ne parlez que de cela. Pendant six jours, il s'est passé pas mal de choses en France, et ailleurs, qui sont intéressantes et importantes pour notre pays.
- QUESTION.- Nous nous en sommes rendu compte.
- LE PRESIDENT.- Laissez-moi, ne m'interrompez pas s'il vous plaît.
- Tout est tombé dans la trappe pour tout centrer sur ce qu'on appelle l'affaire Habache.\
`LE PRESIDENT.-`
- J'étais en Oman, je dirai pourquoi en Oman. Cela faisait quatre ans que j'étais invité, que je retardais le moment, non pas parce que cela ne me plaisait pas mais parce que je n'avais pas le temps. Mais, un an après la guerre du Golfe, il était intéressant d'aller dans ce pays, qui, comme vous le savez, compte dans le Détroit d'Ormuz qui sépare la mer d'Oman du Golfe persique, pour connaître les réactions des gens de là-bas et particulièrement du Sultan d'Oman qui est une personnalité importante.
- Le lendemain de mon retour d'Oman, j'étais au Conseil de sécurité à New York pour une réunion exceptionnelle qui ne s'est jamais faite depuis la création des Nations unies. On y a discuté d'affaires importantes. J'ai d'abord rencontré George Bush qui m'a donné enfin son accord pour une réunion des puissances nucléaires en Europe, conformément à la demande que j'avais exprimée il y a déjà bien longtemps. C'est important de pouvoir s'assurer de ce qui passe sur le plan nucléaire dans les Républiques de l'ancienne Union soviétique. D'autre part, on a retenu l'idée développée par Robert Badinter pour la prévention des conflits de commissions d'arbitrage qui permettraient d'intervenir dans tous les conflits de frontières et de minorités. Ce n'est pas négligeable çà.\
QUESTION.- Personne ne vous a dit cela. Mais dans l'hexagone, vous aviez l'affaire Habache, vous pouvez parler aussi du Conseil de sécurité et de votre voyage à Oman.
- LE PRESIDENT.- Je vous en prie. D'autre part, hier matin je recevais M. de Klerk le Président de l'Afrique du Sud et M. Mandela, le grand leader de l'ANC. C'est la première fois qu'ils acceptaient de déjeuner ensemble, ils l'ont fait à Paris, à ma table, avec les deux Présidents africains Houphouët-Boigny et Abdou Diouf.
- Ce matin, je recevais le Président de Chypre, vous savez qu'il se passe des choses à Chypre. Il y a les Turcs, les Grecs, et vous savez que c'est un des points sur lesquels à tout moment peut éclater, comme cela se passe ailleurs, un conflit.
- Et puis, je pourrais continuer. Il y a les affaires européennes desquelles je me suis occupé pendant six jours et s'occuper de construire l'Europe, c'est aussi s'occuper de garantir les générations futures, nos propres enfants, contre le retour à la guerre. C'est intéressant, c'est important.\
QUESTION.- Nous en sommes d'accord, mais de temps en temps.. Tout le monde en est bien conscient...
- LE PRESIDENT.- L'affaire Habache, ce sont vos deux questions, cela vous obsède, je suis prêt à y répondre. Vous me disiez : 58 % des Français, mais, écoutez, j'admire les autres, après une telle campagne de presse obsédante et partout, à tout moment, avec le goût du sensationnel, généralement d'ailleurs falsifié, qu'est-ce qu'on dit, 58 % ? Mais il devrait y avoir 75 Français sur 100 qui disent : mais le Président était informé, d'autant plus qu'on l'a suggéré, qu'on l'a laissé entendre.
- J'étais en Oman...
- QUESTION.- Et vous ne le saviez pas ?
- LE PRESIDENT.- J'ai été prévenu le jeudi matin, j'étais avec Roland Dumas, j'ai aussitôt réagi, j'ai appelé Paris. Il se trouve que par chance, parce que ce n'est pas désagréable de rencontrer des journalistes, j'avais une conférence de presse l'après-midi avec les journalistes qui étaient venus m'accompagner dans ce voyage. Tout de suite, une des premières questions qui m'a été posée, je crois que cela a été sur Radio France...
- QUESTION.- Ne nous dites pas, monsieur le Président, que ce sont les journalistes qui vous ont prévenu !
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas dit cela, pourquoi êtes vous déjà insidieux ?
- QUESTION.- Non, non, je ne me le permettrais pas.
- LE PRESIDENT.- Vous ne faites que cela. En vérité, j'ai été prévenu, j'ai téléphoné à Edith Cresson, nous nous sommes entendus sur une façon de faire, nous avons estimé qu'il convenait, pour une nouvelle que nous estimions fâcheuse, de sanctionner les responsables. Nous ne savions pas qui c'était, puisque nous ignorions l'information.
- QUESTION.- Vous vous êtes dit à ce moment-là que les relais n'ont pas bien fonctionné ?
- LE PRESIDENT.- Mais bien entendu. J'aurais dû être informé, je ne l'ai pas été.
- Pourquoi, selon moi ? Parce que les hauts fonctionnaires et Georgina Dufoix - qui dans cette affaire est dans une situation pénible - sont tous des gens remarquables, d'une grande noblesse de caractère mais ils ont fait une erreur de jugement.
- Ils ont traité la venue de Georges Habache pour se faire soigner comme une affaire de routine. On rend service, surtout quand on s'occupe de la Croix-Rouge. Après tout, c'est quand même aussi un devoir sans se poser plus de problèmes...
- Or, c'était un problème politique et ce problème politique, c'était à moi, ou au Premier ministre, de la trancher. Nous ne pouvions pas le faire, nous ne le savions pas ! Notre déclaration a été vite prise, et vite exécutée. Georges Habache arrive, quand je le sais, il est déjà là, dans cet hôpital Henri-Dunant, on le soigne. Eh bien ! que les médecins fassent leur travail. En même temps, le juge d'instruction Bruguière, qui est un grand magistrat dont vous connaissez la rigueur, il faut dire aussi le courage, dans sa lutte contre le terrorisme, décide d'entendre Georges Habache.
- On n'a pas à me demander la permission, mais je l'encourage, disant : "après tout, il faut que ce soit net ".
- Et il décide, après avoir décidé ce qu'on appelle une garde à vue, de la lever. Pas de mandat d'arrêt français, pas de mandat d'arrêt international. Pas de demande d'extradition, ni d'Israël, ni d'Italie, ni du Danemark, ni des Etats-Unis d'Amérique, qui étaient censés avoir à se plaindre d'actes commis par le mouvement de Georges Habache. A partir de là, aucune raison de droit de le retenir davantage, ce à quoi d'ailleurs nul ne tenait.
- Et quarante-huit heures après, il était de retour à Tunis. C'est une affaire...\
QUESTION.- Oui, mais les sanctions ont été rapides sur les hauts fonctionnaires.. Vous savez que dans les pays étrangers, en Angleterre, en Italie, parfois même sur des affaires beaucoup plus vénielles, des ministres démissionnent, des gouvernements parfois démissionnent.
- LE PRESIDENT.- Quand les affaires sont graves, oui.
- QUESTION.- Est-ce que c'était si douloureux de vous séparer de deux ministres ? Parce que l'affaire n'est pas grave ?
- LE PRESIDENT.- Non, l'affaire n'est pas grave. C'est une erreur de jugement que j'ai sanctionnée.
- QUESTION.- Est-ce qu'à un moment ou à un autre il a été question de la démission de ministres, monsieur le Président ?
- LE PRESIDENT.- J'ai expédié cette affaire en quarante-huit heures. Il n'y a plus d'affaire Habache depuis déjà plusieurs jours, il est rentré chez lui. Bon.. Vous savez, c'est vraiment une sorte de guet-apens politique ! En tout cas, moi, je ne suis pas du tout disposé à considérer que toutes les affaires de la France doivent tourner autour de cette aventure malheureuse qui a voulu que, pendant quelques heures, fut présent sur le sol de France un homme qui a été... Pourquoi, est-ce que moi j'ai réagi comme cela ?
- QUESTION.- Vous étiez furieux, visiblement...
- LE PRESIDENT.- C'est parce que je n'ai jamais supporté l'idée du terrorisme, je n'ai jamais traité avec le terrorisme. Je ne dis pas que je suis le seul à avoir réagi ainsi, mais nous ne sommes pas si nombreux.. Je n'ai jamais accepté de traiter avec le terrorisme et j'ai dit, moi François Mitterrand, Président de la République, ayant vu quand même depuis 1981 pas mal de drames terribles causés par ce type d'actions, pas simplement par Georges Habache mais par quelques autres, j'ai dit : cet hommes ne doit pas rester chez nous. Il n'y est pas resté. Qu'est-ce qu'il y a à ajouter ?\
QUESTION.- Quand vous parlez de guet-apens politique, justement, Michel Rocard disait dimanche dernier, à "7 sur 7", que des ministres devaient payer, et tout à l'heure Roland Dumas lui a répondu assez vertement, en le comparant à un barreur de petit temps et en disant que c'était au fond dans ces circonstances-là qu'on voyait si un homme avait du caractère ou n'en avait pas. Est-ce que vous jugez que Michel Rocard a du caractère ou pas ?
- LE PRESIDENT.- Cela, c'est la polémique à laquelle je n'ai pas pris part et je ne suis pas là, avec vous, pour apprécier les déclarations des uns et des autres !
- QUESTION.- Même d'un ancien Premier ministre de François Mitterrand ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas à les apprécier. Il est absolument libre, lui, de ses jugements sur le gouvernement de la France.
- Michel Rocard qui ne joue pas la carte de la solidarité à un moment difficile, vous ne voulez pas le...
- LE PRESIDENT.- Mais, c'est vous le journaliste ! C'est à vous de commenter !\
QUESTION.- Maintenant, on va parler de vos adversaires. Vous savez que vous n'en manquez pas. Ils vous font toute une série de propositions...
- LE PRESIDENT.- Heureusement ! Vous savez, la démocratie fonctionne !
- QUESTION.- .... ils vous font toute une série de propositions ou d'injonctions...
- LE PRESIDENT.- La France est le pays le plus libre du monde ! C'est merveilleux, non ?
- QUESTION.- Je vais vous demander de piocher entre les différentes injonctions qu'ils vous ont faites depuis quelques heures : ouverture d'une commission d'enquête parlementaire, convocation d'une session extraordinaire du Parlement, législatives anticipées, comme le réclame votre prédécesseur, Valéry Giscard d'Estaing, changement d'équipe gouvernementale...
- LE PRESIDENT.- Oui, j'ai remarqué que M. Giscard d'Estaing demandait des législatives anticipées. C'est fou ce que M. Giscard d'Estaing redoute les primaires à droite ! C'est la seule façon pour lui d'y échapper ! Il voit cela comme une guillotine, ces primaires, et il voudrait bien que je l'aide ! Eh bien...
- QUESTION.- Vous n'allez pas l'aider ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai rien contre lui. Simplement, si vous voulez que je vous dise ce que je pense, devant toutes ces propositions : je trouve qu'il y en a une qui a rencontré ma pensée, donc je la trouve bonne...
- QUESTION.- C'est l'ouverture d'une commission d'enquête parlementaire ?
- LE PRESIDENT.- Non. Mais je ne vais pas vous dire : "Cherchez ", cela va nous faire perdre du temps. J'ai informé le Premier ministre que j'avais pris la décision de convoquer le Parlement en session extraordinaire. Je pense pouvoir faire cela vendredi.
- QUESTION.- Donc, Edouard Balladur et quelques autres vont être contents ?
- LE PRESIDENT.- Les bons esprits se rencontrent et à partir de là le gouvernement fera une déclaration. S'il plaît à l'opposition de déposer une motion de censure, eh bien on verra.
- QUESTION.- Vous êtes prêt à entendre la confiance ou la défiance qui viendra.
- LE PRESIDENT.- Bien entendu. Si le gouvernement est renversé, il le sera, je respecterai les institutions.\
QUESTION.- Vous ne voulez pas précéder de mécanisme en demandant à Edith Cresson de partir par exemple ?
- LE PRESIDENT.- D'ici vendredi ? Vous êtes pressés.. Vous voulez qu'elle s'en aille ?
- QUESTION.- Souvent un ministre sert de fusible, en l'occurence...
- LE PRESIDENT.- Qu'est-ce que c'est que cette expression qui ne veut rien dire ! Fusible de quoi ? Il y a trois fonctionnaires, des gens de bonne qualité, qui ont reconnu qu'ils avaient commis cette erreur de jugement, qui ont immédiatement compris les raisons pour lesquelles il leur était demandé de se retirer de leur fonction. Je pense en particulier à M. Scheer, secrétaire général, pour lequel j'ai la plus haute estime. Il ne va pas rester longtemps sans poste, il manquerait à un pays comme la France, mais dans cette responsabilité-là il fallait me prévenir. Ceux qui ne m'ont pas prévenu, alors qu'ils en avaient le devoir ou la possibilité, soit directement ce qui était le cas de Mme Dufoix, soit indirectement par le canal des ministres, ont eu tort. A partir de là, c'est quand même la moindre des choses que la République soit obéie.
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous n'avez pas peur que ces sanctions creusent le fossé entre les hauts fonctionnaires et la classe politique ?
- LE PRESIDENT.- Si on n'en prend pas, si on en prend, on n'en sort jamais ! Non, moi je suis décidé à ce que le gouvernement soit.. D'ailleurs il n'y a pas eu de rébellion. Je dis qu'il y a eu erreur de jugement, cette erreur de jugement ne pouvait pas être acceptée par moi, surtout en raison de ce que je vous ai dit de mon opinion et de mes réactions face au terrorisme.
- QUESTION.- Question annexe, monsieur le Président, est-ce que cette affaire ne met pas en lumière le poids excessif de certains cabinets ministériels, surtout quand ils prennent des décisions politiques graves, comme pouor cette affaire Habache ?
- LE PRESIDENT.- Non, je ne le pense pas. Qu'est-ce que cela veut dire les cabinets ministériels ? Ils n'ont pas un poids excessif, il leur arrive de se tromper. Cela arrive à tout le monde, cela ne vous arrive jamais à vous ?
- QUESTION.- Si, comme tout le monde.
- LE PRESIDENT.- Alors c'est bien !\
QUESTION.- Edith Cresson ne cesse de vous demander une équipe gouvernementale ramassée. Est-ce que vous allez lui donner cette fois-ci satisfaction ?
- LE PRESIDENT.- Elle vous a chargés de me transmettre ses opinions ?
- QUESTION.- Elle l'a dit.
- LE PRESIDENT.- Je la rencontre assez souvent, je sais ce qu'elle pense. Moi ce que je pense c'est que si j'en avais le désir, eh bien ce n'est certainement pas maintenant que je le ferais, car cette horde de gens qui s'acharnent contre le gouvernement, qui mettent l'accent sur toutes ces questions pour inquiéter, alerter, épouvanter les Français avec cette idée de terrorisme alors que le gouvernement a toujours fait son devoir sur ce terrain, et puis on me demande des têtes.
- QUESTION.- Parce qu'il y a des échéances électorales en perspective monsieur le Président...
- LE PRESIDENT.- Qu'est-ce que vous voulez dire ?
- QUESTION.- Les élections régionales.
- LE PRESIDENT.- Je crois le savoir, oui il y en a !
- QUESTION.- Ce genre d'affaire, vous ne pensez pas que les Français vont émettre un vote de défiance pour traduire leur mauvaise humeur ?
- LE PRESIDENT.- A la manière, dont vous traitez l'opinion que vous touchez plus commodément que moi, c'est possible en effet.
- QUESTION.- Nous n'avons fait que donner une information qui était dans la presse de certains pays avant que nous ne la donnions.
- LE PRESIDENT.- Chacun a son opinion sur ce sujet, moi j'ai la mienne.
- QUESTION.- Avez-vous le sentiment que l'autorité de l'Etat est touchée, et que le crédit de la France a été entamé ?
- LE PRESIDENT.- Le crédit de la France ! Est-ce que vous voulez faire la liste de toutes les difficultés qu'ont connues les gouvernements précédents ? Les septennats précédents ? J'espère que vous aurez la pudeur de ne pas insister, moi je l'aurai en tout cas. Ce serait accablant.
- D'autre part, combien de fois M. Reagan a-t-il changé de Président du Conseil de Sécurité, l'un des plus importants centres de décisions des Etats-Unis d'Amérique ?
- Est-ce que vous croyez que l'Etat c'est quelque chose d'assez huilé, policé pour que cela marche comme dans... je ne sais pas si vous avez lu ce livre qui s'appelle "le bonheur insoutenable", c'est un très beau livre de...
- QUESTION.- Primo Lévi.
- LE PRESIDENT.- Oui. Qu'est-ce que vous croyez qu'est l'Etat ? C'est le reflet d'une société, c'est toujours difficile, les hommes sont les hommes et chacun d'entre nous commet des erreurs et l'essentiel c'est que ce ne soient pas des fautes, et que l'on ne s'obstine pas. Lorsqu'on aperçoit une faille, il faut aussitôt corriger. C'est tout. S'il s'agit de choses dramatiques, il faut en effet être catégorique. Mais lorsqu'il s'agit de choses qui ne le sont pas, comme un soufflé qu'on fait monter, alors permettez...\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous êtes au sommet de la pyramide, a priori toutes les informations remontent et là dans le cas de l'affaire Habache, l'information n'est pas remontée.
- LE PRESIDENT.- Je crois vous l'avoir dit.
- QUESTION.- Il a fallu quatre jours. C'est pourquoi on a parlé de dysfonctionnement.
- LE PRESIDENT.- Vous n'avez pas eu tort parce que ceux qui en ont la responsabilité et dont je répète que j'ai pour eux beaucoup d'estime, et même d'affection, - c'est pour cela que c'était une décision très dure, dure à prendre, j'espère d'ailleurs rester leur ami - n'ont pas eu le jugement qu'il convenait.
- Ils n'ont pas considéré que la présence d'un terroriste de la taille de Georges Habache, même s'il est retiré des affaires, si c'est un "terroriste retraité" si on peut dire, n'ont pas saisi que c'était insupportable. En tout cas, c'était insupportable pour moi.\
QUESTION.- Monsieur le Président, on évoquait les prochaines échéances électorales. Vous nous avez donné le tournis, ces derniers temps, en annonçant des consultations soit parlementaire, soit populaire, par voie de référendum, que ce soit sur les accords de Maastricht, la réduction éventuelle du mandat présidentiel, le mode de scrutin. Est-ce que vous pouvez me dire ce qui va nous arriver après les cantonales et les régionales et quand on va voter et pourquoi ?
- LE PRESIDENT.- C'est moi qui vous ai donné le tournis ?
- QUESTION.- Vous avez lancé quelques idées de ci, de là, et l'on ne sait pas où l'on en est en ce moment...
- LE PRESIDENT.- La réforme constitutionnelle a fait l'objet de propositions multiples de l'opposition pendant des mois, sous forme de sommations, en particulier les cinq ans - c'est plus vite fait ! -
- QUESTION.- On attend une réponse précise de votre part !
- LE PRESIDENT.- J'ai pensé que sur quelques points l'opposition avait raison et comme je l'ai dit tout à l'heure, nos pensées se rencontraient. J'ai donc proposé, il y a quelques semaines, enfin, c'était à la fin de l'année dernière, en 1991, un échéancier en disant que dans le deuxième semestre, à la fin de l'année 1992, je proposerai des ajustements constitutionnels.
- QUESTION.- Vous pouvez sur la durée ?
- LE PRESIDENT.- Dans le domaine de la marche de l'exécutif et de ses relations avec l'exécutif, dans le domaine de l'organisation judiciaire, dans le domaine référendaire, des consultations populaires, j'ai la possibilité de revenir sur une idée que j'ai déjà soutenue, repoussée par le Sénat, à savoir le droit de saisine des Français chaque fois qu'ils estimeraient le droit fondamental et de liberté, atteint. Ce sera repris.\
LE PRESIDENT.- Pour le reste, ce n'est pas moi qui ai donné le tournis. Il y a un Traité européen, et un Traité entre 12 pays dont la France. C'est ce qu'on appelle la Communauté européenne. La France en fait partie. Donc, la France a contribué au tournis !
- C'est un accord important, capital et déterminant. C'est le plus important Traité que la France aura eu à signer depuis si longtemps, aussi important que le Traité de Rome, et peut-être davantage puisqu'il y aura des transferts de souveraineté finalement plus importants. C'est cela, le tournis ?
- Il est évident que pour un test de cette importance, qui nécessitera aussi d'autres ajustements constitutionnels, la Constitution exige que quand un Traité doit être adopté, il faut qu'il soit net par rapport à la Constitution.
- On ne s'en est pas occupé en 1958 mais je m'en occuperai en 1992, je l'ai déjà dit, après les élections régionales et départementales.
- Je soumettrai aux instances qualifiées, l'acceptation et la ratification du Traité.
- QUESTION.- Les deux Chambres ?
- LE PRESIDENT.- Je soumettrai les deux réformes constitutionnelles au Parlement. J'espère que le sens de l'unité, de l'intérêt national prévaudront sur toute autre considération. Autrement, j'aviserai.\
QUESTION.- Et quand au choix du mode du scrutin pour les législatives, vous déciderez ?...
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas mon gros souci.
- QUESTION.- Cela vous intéresse quand même ?
- LE PRESIDENT.- Et vous, cela ne vous intéresse pas ?
- QUESTION.- Vous êtes pour la proportionnelle intégrale ?
- LE PRESIDENT.- Je ne l'ai jamais été... vous êtes mal informés, me semble-t-il...
- QUESTION.- C'est peut être vos goûts...
- LE PRESIDENT.- Laissez-moi choisir mes goûts... laissez-moi exprimer mes goûts plutôt que de vous choisir comme interprète.
- QUESTION.- Il y aura une part de proportionnelle alarmante ?
- LE PRESIDENT.- Je suis ravi de vous rencontrer, messieurs les journalistes, c'est une occasion de s'expliquer devant les Français. Je n'ai jamais été favorable à la proportionnelle intégrale pour un scrutin de liste. Lorsque j'ai parlé, le 14 juillet, de réforme du mode de scrutin, il s'agissait du mode de scrutin aux élections régionales et départementales. Je n'avais pas parlé des élections législatives. Là-dessus, des propositions ont été faites. Il y a des gens qui votent à la proportionnelle et d'autres au scrutin majoritaire. Cela se pratique en Allemagne, et ailleurs, et la plupart des pays européens ont le système proportionnel, sauf les Anglais. J'ai été séduit par ce scrutin mixte qui me paraît moins injuste que les autres. Là, s'arrête l'énumération dans ce domaine.\
QUESTION.- Vous savez mieux que tout le monde que les sondages vont et viennent et qu'en ce moment, ils sont au plus bas puisque...
- LE PRESIDENT.- S'ils sont au plus bas, ils sont rassurants.
- QUESTION.- Vous ne vous êtes jamais retrouvé aussi bas depuis votre arrivée à l'Elysée. C'est intéressant...
- LE PRESIDENT.- C'est intéressant, la vie politique, puis aussi c'est hypothétique.
- QUESTION.- Vous avez l'impression que c'est votre personne qui est en cause cette fois-ci ?
- LE PRESIDENT.- C'est à vous de le dire.
- QUESTION.- Non, c'est une question que l'on vous pose !
- LE PRESIDENT.- Moi, je ne fais pas d'introspection devant des millions de Français. Je ne passe pas mon temps à exposer mon nombril à l'attention du public £ enfin quoi !
- QUESTION.- Vous avez dit qu'on ne gouvernait pas avec des sondages, mais on peut en tenir compte ?
- LE PRESIDENT.- Bien entendu.. C'est à vous d'apprécier et de dire ce que vous en pensez, et les Français aussi !\
QUESTION.- Et quand toutes ces affaires remontent à vous, un certain nombre d'entre elles... tout arrive, ... le scandale de la transfusion sanguine, les affaires URBA, SAGES...
- LE PRESIDENT.- Le scandale de la transfusion sanguine : laissez-moi vous dire que dans tous les pays avancés du monde, la médecine est dans le même état de progrès. Donc, le problème de la transfusion sanguine et de la contamination s'est posé aussi bien aux Etats-Unis d'Amérique qu'aux Allemands, qu'aux Italiens, aux Anglais et aux autres. Et, dans les deux cas, c'est-à-dire d'une part, les tests pour le SIDA et, d'autre part, le réchauffement du sang qui, paraît-il, est la méthode pour rendre inopérant le virus, la France a été l'un des trois premiers pays à prendre les dispositions convenables pour enrayer le mal.
- Cela dit, la France est le seul pays où il y a eu un scandale de cette sorte, scandale qui n'est imputable à aucun médecin en particulier, bien entendu, mais la médecine n'était pas encore en état de trancher d'une façon définitive sur ce sujet au moment où le problème s'est posé en 1985. Voilà la vérité.
- C'était la même chose ailleurs, mais ailleurs on n'a pas jugé bon de mettre en accusation les politiques, qui n'ont pas la compétence pour trancher de ces choses, qui sont bien obligés de demander l'avis des médecins qualifiés pour cela.
- Vous savez tout sur cette affaire, et vous la ressortez maintenant. J'estime qu'il y a beaucoup d'injustice et je suis décidé - il faut que le gouvernement réagisse comme moi - à ne plus, ou à ne pas me laisser faire par les campagnes absurdes et calomnieuses qui sont entretenues de toutes parts. Et puis, cette espèce de morosité... La France est aujourd'hui le pays où, sauf pour 4 millions des nôtres...\
QUESTION.- Les chômeurs ?
- LE PRESIDENT.- Non, sur 58 millions de Français, il y a des gens qui sont vraiment malheureux, 2 millions très malheureux, et encore avons-nous adopté le Revenu Minimum d'Insertion, qui n'a pas naturellement pansé les plaies, mais a apporté un moyen de ne pas mourir de faim, d'avoir un brin de laine sur le dos quand arrive le grand froid.. Ce n'est pas suffisant, mais cela a été fait et cela n'avait jamais été fait avant et ailleurs. Et ce ne sont pas ces gens-là qui protestent !
- Donc, il y a encore des gens malheureux et il faut se dire quand même que c'est tragique. Notre société est très imparfaite. Il faut constamment corriger ses tares, ses vices. Vous connaissez une société, dans le monde, indemne de ce genre de drame ? Et vous n'avez pas l'impression que la France, qui dispose actuellement du plus haut revenu moyen dans l'Europe, n'est pas tellement en retard par rapport aux autres ?
- Je veux vous convaincre que les Français sont capables autant que les autres, et parfois mieux que les autres, de dominer la crise. Notre économie est en bonne santé, mais beaucoup de Français ne sont pas en bonne santé, parce qu'il y a des inégalités qui tiennent à nos structures. C'est très difficile, mais de là à manquer de cet esprit même de fierté pour la France, à croire que tout va mal, à le répandre, à n'aimer que cela ! Moi je dis aux Français que ce n'est pas exact et qu'on ne peut pas considérer que l'addition des mécontentements suffit à juger la situation présente. Il y a aussi de grandes choses qui sont faites et la France "tient la corde" ! Je vous ai déjà dit, à vous ou à d'autres, que si on devait appliquer le Traité de Maastricht, qui fixe des critères très sévère pour créer une monnaie unique, parmi les 12 pays de l'Europe, seuls le Luxembourg et la France pourraient adhérer aujourd'hui.
- Et c'est la France qu'on condamne de tous les côtés ? Et les autres auraient fait mieux ?\
LE PRESIDENT.- Moi, je ne suis pas du tout décidé à arrondir le dos dès qu'un journal, un journaliste, ou un homme politique de l'opposition se fait menaçant, criard et n'est que condamnation. C'est le rôle de l'opposition, vous me direz !
- QUESTION.- Il y a même des gens de la majorité !
- LE PRESIDENT.- Même des gens de la majorité, qui n'ont qu'un défaut : l'impatience !
- QUESTION.- Vous n'avez pas eu le sentiment que ce que disait Michel Rocard...
- LE PRESIDENT.- Si vous croyez que je vais me laisser entraîner où vous voulez m'entraîner...
- QUESTION.- Il disait tout haut ce que certains élus socialistes disent tout bas.
- LE PRESIDENT.- C'est bien possible. C'est vous qui avez les oreilles pour les entendre, pour transmettre. Vous faites votre métier.
- QUESTION.- On les écoute de temps en temps, ils parlent...\
Dernière question. On revient à l'affaire Habache, parce que c'était le thème central de cette interview...
- LE PRESIDENT.- Dans votre esprit ! Mais dans mon esprit, ce n'était pas le thème central.
- QUESTION.- J'avais cru comprendre que cette information occupait le devant de la scène politique, monsieur le Président.
- LE PRESIDENT.- Comme je tiens à être courtois...
- QUESTION.- Je voulais vous demander si la solitude du pouvoir n'est pas trop pesante face à une affaire comme celle-là ?
- LE PRESIDENT.- La solitude du pouvoir, c'est une expression romantique qu'on me sort à tout moment. Moi, je ne me sens pas tellement seul, donc, je ne souffre pas de cette maladie.\
- LE PRESIDENT.- Deux questions à la fois, ce n'est pas facile. D'autre part, soyez tranquilles, je répondrai mais on pourrait peut-être cadrer un peu vos questions.
- QUESTION.- Etiez-vous au courant ? Voilà une question que les gens se posent.
- LE PRESIDENT.- Laissez-moi parler !
- QUESTION.- Quand l'avez-vous appris, monsieur le Président ?
- LE PRESIDENT.- Laissez-moi parler, vous aussi. Depuis six jours, vous ne parlez que de cela. Pendant six jours, il s'est passé pas mal de choses en France, et ailleurs, qui sont intéressantes et importantes pour notre pays.
- QUESTION.- Nous nous en sommes rendu compte.
- LE PRESIDENT.- Laissez-moi, ne m'interrompez pas s'il vous plaît.
- Tout est tombé dans la trappe pour tout centrer sur ce qu'on appelle l'affaire Habache.\
`LE PRESIDENT.-`
- J'étais en Oman, je dirai pourquoi en Oman. Cela faisait quatre ans que j'étais invité, que je retardais le moment, non pas parce que cela ne me plaisait pas mais parce que je n'avais pas le temps. Mais, un an après la guerre du Golfe, il était intéressant d'aller dans ce pays, qui, comme vous le savez, compte dans le Détroit d'Ormuz qui sépare la mer d'Oman du Golfe persique, pour connaître les réactions des gens de là-bas et particulièrement du Sultan d'Oman qui est une personnalité importante.
- Le lendemain de mon retour d'Oman, j'étais au Conseil de sécurité à New York pour une réunion exceptionnelle qui ne s'est jamais faite depuis la création des Nations unies. On y a discuté d'affaires importantes. J'ai d'abord rencontré George Bush qui m'a donné enfin son accord pour une réunion des puissances nucléaires en Europe, conformément à la demande que j'avais exprimée il y a déjà bien longtemps. C'est important de pouvoir s'assurer de ce qui passe sur le plan nucléaire dans les Républiques de l'ancienne Union soviétique. D'autre part, on a retenu l'idée développée par Robert Badinter pour la prévention des conflits de commissions d'arbitrage qui permettraient d'intervenir dans tous les conflits de frontières et de minorités. Ce n'est pas négligeable çà.\
QUESTION.- Personne ne vous a dit cela. Mais dans l'hexagone, vous aviez l'affaire Habache, vous pouvez parler aussi du Conseil de sécurité et de votre voyage à Oman.
- LE PRESIDENT.- Je vous en prie. D'autre part, hier matin je recevais M. de Klerk le Président de l'Afrique du Sud et M. Mandela, le grand leader de l'ANC. C'est la première fois qu'ils acceptaient de déjeuner ensemble, ils l'ont fait à Paris, à ma table, avec les deux Présidents africains Houphouët-Boigny et Abdou Diouf.
- Ce matin, je recevais le Président de Chypre, vous savez qu'il se passe des choses à Chypre. Il y a les Turcs, les Grecs, et vous savez que c'est un des points sur lesquels à tout moment peut éclater, comme cela se passe ailleurs, un conflit.
- Et puis, je pourrais continuer. Il y a les affaires européennes desquelles je me suis occupé pendant six jours et s'occuper de construire l'Europe, c'est aussi s'occuper de garantir les générations futures, nos propres enfants, contre le retour à la guerre. C'est intéressant, c'est important.\
QUESTION.- Nous en sommes d'accord, mais de temps en temps.. Tout le monde en est bien conscient...
- LE PRESIDENT.- L'affaire Habache, ce sont vos deux questions, cela vous obsède, je suis prêt à y répondre. Vous me disiez : 58 % des Français, mais, écoutez, j'admire les autres, après une telle campagne de presse obsédante et partout, à tout moment, avec le goût du sensationnel, généralement d'ailleurs falsifié, qu'est-ce qu'on dit, 58 % ? Mais il devrait y avoir 75 Français sur 100 qui disent : mais le Président était informé, d'autant plus qu'on l'a suggéré, qu'on l'a laissé entendre.
- J'étais en Oman...
- QUESTION.- Et vous ne le saviez pas ?
- LE PRESIDENT.- J'ai été prévenu le jeudi matin, j'étais avec Roland Dumas, j'ai aussitôt réagi, j'ai appelé Paris. Il se trouve que par chance, parce que ce n'est pas désagréable de rencontrer des journalistes, j'avais une conférence de presse l'après-midi avec les journalistes qui étaient venus m'accompagner dans ce voyage. Tout de suite, une des premières questions qui m'a été posée, je crois que cela a été sur Radio France...
- QUESTION.- Ne nous dites pas, monsieur le Président, que ce sont les journalistes qui vous ont prévenu !
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas dit cela, pourquoi êtes vous déjà insidieux ?
- QUESTION.- Non, non, je ne me le permettrais pas.
- LE PRESIDENT.- Vous ne faites que cela. En vérité, j'ai été prévenu, j'ai téléphoné à Edith Cresson, nous nous sommes entendus sur une façon de faire, nous avons estimé qu'il convenait, pour une nouvelle que nous estimions fâcheuse, de sanctionner les responsables. Nous ne savions pas qui c'était, puisque nous ignorions l'information.
- QUESTION.- Vous vous êtes dit à ce moment-là que les relais n'ont pas bien fonctionné ?
- LE PRESIDENT.- Mais bien entendu. J'aurais dû être informé, je ne l'ai pas été.
- Pourquoi, selon moi ? Parce que les hauts fonctionnaires et Georgina Dufoix - qui dans cette affaire est dans une situation pénible - sont tous des gens remarquables, d'une grande noblesse de caractère mais ils ont fait une erreur de jugement.
- Ils ont traité la venue de Georges Habache pour se faire soigner comme une affaire de routine. On rend service, surtout quand on s'occupe de la Croix-Rouge. Après tout, c'est quand même aussi un devoir sans se poser plus de problèmes...
- Or, c'était un problème politique et ce problème politique, c'était à moi, ou au Premier ministre, de la trancher. Nous ne pouvions pas le faire, nous ne le savions pas ! Notre déclaration a été vite prise, et vite exécutée. Georges Habache arrive, quand je le sais, il est déjà là, dans cet hôpital Henri-Dunant, on le soigne. Eh bien ! que les médecins fassent leur travail. En même temps, le juge d'instruction Bruguière, qui est un grand magistrat dont vous connaissez la rigueur, il faut dire aussi le courage, dans sa lutte contre le terrorisme, décide d'entendre Georges Habache.
- On n'a pas à me demander la permission, mais je l'encourage, disant : "après tout, il faut que ce soit net ".
- Et il décide, après avoir décidé ce qu'on appelle une garde à vue, de la lever. Pas de mandat d'arrêt français, pas de mandat d'arrêt international. Pas de demande d'extradition, ni d'Israël, ni d'Italie, ni du Danemark, ni des Etats-Unis d'Amérique, qui étaient censés avoir à se plaindre d'actes commis par le mouvement de Georges Habache. A partir de là, aucune raison de droit de le retenir davantage, ce à quoi d'ailleurs nul ne tenait.
- Et quarante-huit heures après, il était de retour à Tunis. C'est une affaire...\
QUESTION.- Oui, mais les sanctions ont été rapides sur les hauts fonctionnaires.. Vous savez que dans les pays étrangers, en Angleterre, en Italie, parfois même sur des affaires beaucoup plus vénielles, des ministres démissionnent, des gouvernements parfois démissionnent.
- LE PRESIDENT.- Quand les affaires sont graves, oui.
- QUESTION.- Est-ce que c'était si douloureux de vous séparer de deux ministres ? Parce que l'affaire n'est pas grave ?
- LE PRESIDENT.- Non, l'affaire n'est pas grave. C'est une erreur de jugement que j'ai sanctionnée.
- QUESTION.- Est-ce qu'à un moment ou à un autre il a été question de la démission de ministres, monsieur le Président ?
- LE PRESIDENT.- J'ai expédié cette affaire en quarante-huit heures. Il n'y a plus d'affaire Habache depuis déjà plusieurs jours, il est rentré chez lui. Bon.. Vous savez, c'est vraiment une sorte de guet-apens politique ! En tout cas, moi, je ne suis pas du tout disposé à considérer que toutes les affaires de la France doivent tourner autour de cette aventure malheureuse qui a voulu que, pendant quelques heures, fut présent sur le sol de France un homme qui a été... Pourquoi, est-ce que moi j'ai réagi comme cela ?
- QUESTION.- Vous étiez furieux, visiblement...
- LE PRESIDENT.- C'est parce que je n'ai jamais supporté l'idée du terrorisme, je n'ai jamais traité avec le terrorisme. Je ne dis pas que je suis le seul à avoir réagi ainsi, mais nous ne sommes pas si nombreux.. Je n'ai jamais accepté de traiter avec le terrorisme et j'ai dit, moi François Mitterrand, Président de la République, ayant vu quand même depuis 1981 pas mal de drames terribles causés par ce type d'actions, pas simplement par Georges Habache mais par quelques autres, j'ai dit : cet hommes ne doit pas rester chez nous. Il n'y est pas resté. Qu'est-ce qu'il y a à ajouter ?\
QUESTION.- Quand vous parlez de guet-apens politique, justement, Michel Rocard disait dimanche dernier, à "7 sur 7", que des ministres devaient payer, et tout à l'heure Roland Dumas lui a répondu assez vertement, en le comparant à un barreur de petit temps et en disant que c'était au fond dans ces circonstances-là qu'on voyait si un homme avait du caractère ou n'en avait pas. Est-ce que vous jugez que Michel Rocard a du caractère ou pas ?
- LE PRESIDENT.- Cela, c'est la polémique à laquelle je n'ai pas pris part et je ne suis pas là, avec vous, pour apprécier les déclarations des uns et des autres !
- QUESTION.- Même d'un ancien Premier ministre de François Mitterrand ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas à les apprécier. Il est absolument libre, lui, de ses jugements sur le gouvernement de la France.
- Michel Rocard qui ne joue pas la carte de la solidarité à un moment difficile, vous ne voulez pas le...
- LE PRESIDENT.- Mais, c'est vous le journaliste ! C'est à vous de commenter !\
QUESTION.- Maintenant, on va parler de vos adversaires. Vous savez que vous n'en manquez pas. Ils vous font toute une série de propositions...
- LE PRESIDENT.- Heureusement ! Vous savez, la démocratie fonctionne !
- QUESTION.- .... ils vous font toute une série de propositions ou d'injonctions...
- LE PRESIDENT.- La France est le pays le plus libre du monde ! C'est merveilleux, non ?
- QUESTION.- Je vais vous demander de piocher entre les différentes injonctions qu'ils vous ont faites depuis quelques heures : ouverture d'une commission d'enquête parlementaire, convocation d'une session extraordinaire du Parlement, législatives anticipées, comme le réclame votre prédécesseur, Valéry Giscard d'Estaing, changement d'équipe gouvernementale...
- LE PRESIDENT.- Oui, j'ai remarqué que M. Giscard d'Estaing demandait des législatives anticipées. C'est fou ce que M. Giscard d'Estaing redoute les primaires à droite ! C'est la seule façon pour lui d'y échapper ! Il voit cela comme une guillotine, ces primaires, et il voudrait bien que je l'aide ! Eh bien...
- QUESTION.- Vous n'allez pas l'aider ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai rien contre lui. Simplement, si vous voulez que je vous dise ce que je pense, devant toutes ces propositions : je trouve qu'il y en a une qui a rencontré ma pensée, donc je la trouve bonne...
- QUESTION.- C'est l'ouverture d'une commission d'enquête parlementaire ?
- LE PRESIDENT.- Non. Mais je ne vais pas vous dire : "Cherchez ", cela va nous faire perdre du temps. J'ai informé le Premier ministre que j'avais pris la décision de convoquer le Parlement en session extraordinaire. Je pense pouvoir faire cela vendredi.
- QUESTION.- Donc, Edouard Balladur et quelques autres vont être contents ?
- LE PRESIDENT.- Les bons esprits se rencontrent et à partir de là le gouvernement fera une déclaration. S'il plaît à l'opposition de déposer une motion de censure, eh bien on verra.
- QUESTION.- Vous êtes prêt à entendre la confiance ou la défiance qui viendra.
- LE PRESIDENT.- Bien entendu. Si le gouvernement est renversé, il le sera, je respecterai les institutions.\
QUESTION.- Vous ne voulez pas précéder de mécanisme en demandant à Edith Cresson de partir par exemple ?
- LE PRESIDENT.- D'ici vendredi ? Vous êtes pressés.. Vous voulez qu'elle s'en aille ?
- QUESTION.- Souvent un ministre sert de fusible, en l'occurence...
- LE PRESIDENT.- Qu'est-ce que c'est que cette expression qui ne veut rien dire ! Fusible de quoi ? Il y a trois fonctionnaires, des gens de bonne qualité, qui ont reconnu qu'ils avaient commis cette erreur de jugement, qui ont immédiatement compris les raisons pour lesquelles il leur était demandé de se retirer de leur fonction. Je pense en particulier à M. Scheer, secrétaire général, pour lequel j'ai la plus haute estime. Il ne va pas rester longtemps sans poste, il manquerait à un pays comme la France, mais dans cette responsabilité-là il fallait me prévenir. Ceux qui ne m'ont pas prévenu, alors qu'ils en avaient le devoir ou la possibilité, soit directement ce qui était le cas de Mme Dufoix, soit indirectement par le canal des ministres, ont eu tort. A partir de là, c'est quand même la moindre des choses que la République soit obéie.
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous n'avez pas peur que ces sanctions creusent le fossé entre les hauts fonctionnaires et la classe politique ?
- LE PRESIDENT.- Si on n'en prend pas, si on en prend, on n'en sort jamais ! Non, moi je suis décidé à ce que le gouvernement soit.. D'ailleurs il n'y a pas eu de rébellion. Je dis qu'il y a eu erreur de jugement, cette erreur de jugement ne pouvait pas être acceptée par moi, surtout en raison de ce que je vous ai dit de mon opinion et de mes réactions face au terrorisme.
- QUESTION.- Question annexe, monsieur le Président, est-ce que cette affaire ne met pas en lumière le poids excessif de certains cabinets ministériels, surtout quand ils prennent des décisions politiques graves, comme pouor cette affaire Habache ?
- LE PRESIDENT.- Non, je ne le pense pas. Qu'est-ce que cela veut dire les cabinets ministériels ? Ils n'ont pas un poids excessif, il leur arrive de se tromper. Cela arrive à tout le monde, cela ne vous arrive jamais à vous ?
- QUESTION.- Si, comme tout le monde.
- LE PRESIDENT.- Alors c'est bien !\
QUESTION.- Edith Cresson ne cesse de vous demander une équipe gouvernementale ramassée. Est-ce que vous allez lui donner cette fois-ci satisfaction ?
- LE PRESIDENT.- Elle vous a chargés de me transmettre ses opinions ?
- QUESTION.- Elle l'a dit.
- LE PRESIDENT.- Je la rencontre assez souvent, je sais ce qu'elle pense. Moi ce que je pense c'est que si j'en avais le désir, eh bien ce n'est certainement pas maintenant que je le ferais, car cette horde de gens qui s'acharnent contre le gouvernement, qui mettent l'accent sur toutes ces questions pour inquiéter, alerter, épouvanter les Français avec cette idée de terrorisme alors que le gouvernement a toujours fait son devoir sur ce terrain, et puis on me demande des têtes.
- QUESTION.- Parce qu'il y a des échéances électorales en perspective monsieur le Président...
- LE PRESIDENT.- Qu'est-ce que vous voulez dire ?
- QUESTION.- Les élections régionales.
- LE PRESIDENT.- Je crois le savoir, oui il y en a !
- QUESTION.- Ce genre d'affaire, vous ne pensez pas que les Français vont émettre un vote de défiance pour traduire leur mauvaise humeur ?
- LE PRESIDENT.- A la manière, dont vous traitez l'opinion que vous touchez plus commodément que moi, c'est possible en effet.
- QUESTION.- Nous n'avons fait que donner une information qui était dans la presse de certains pays avant que nous ne la donnions.
- LE PRESIDENT.- Chacun a son opinion sur ce sujet, moi j'ai la mienne.
- QUESTION.- Avez-vous le sentiment que l'autorité de l'Etat est touchée, et que le crédit de la France a été entamé ?
- LE PRESIDENT.- Le crédit de la France ! Est-ce que vous voulez faire la liste de toutes les difficultés qu'ont connues les gouvernements précédents ? Les septennats précédents ? J'espère que vous aurez la pudeur de ne pas insister, moi je l'aurai en tout cas. Ce serait accablant.
- D'autre part, combien de fois M. Reagan a-t-il changé de Président du Conseil de Sécurité, l'un des plus importants centres de décisions des Etats-Unis d'Amérique ?
- Est-ce que vous croyez que l'Etat c'est quelque chose d'assez huilé, policé pour que cela marche comme dans... je ne sais pas si vous avez lu ce livre qui s'appelle "le bonheur insoutenable", c'est un très beau livre de...
- QUESTION.- Primo Lévi.
- LE PRESIDENT.- Oui. Qu'est-ce que vous croyez qu'est l'Etat ? C'est le reflet d'une société, c'est toujours difficile, les hommes sont les hommes et chacun d'entre nous commet des erreurs et l'essentiel c'est que ce ne soient pas des fautes, et que l'on ne s'obstine pas. Lorsqu'on aperçoit une faille, il faut aussitôt corriger. C'est tout. S'il s'agit de choses dramatiques, il faut en effet être catégorique. Mais lorsqu'il s'agit de choses qui ne le sont pas, comme un soufflé qu'on fait monter, alors permettez...\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous êtes au sommet de la pyramide, a priori toutes les informations remontent et là dans le cas de l'affaire Habache, l'information n'est pas remontée.
- LE PRESIDENT.- Je crois vous l'avoir dit.
- QUESTION.- Il a fallu quatre jours. C'est pourquoi on a parlé de dysfonctionnement.
- LE PRESIDENT.- Vous n'avez pas eu tort parce que ceux qui en ont la responsabilité et dont je répète que j'ai pour eux beaucoup d'estime, et même d'affection, - c'est pour cela que c'était une décision très dure, dure à prendre, j'espère d'ailleurs rester leur ami - n'ont pas eu le jugement qu'il convenait.
- Ils n'ont pas considéré que la présence d'un terroriste de la taille de Georges Habache, même s'il est retiré des affaires, si c'est un "terroriste retraité" si on peut dire, n'ont pas saisi que c'était insupportable. En tout cas, c'était insupportable pour moi.\
QUESTION.- Monsieur le Président, on évoquait les prochaines échéances électorales. Vous nous avez donné le tournis, ces derniers temps, en annonçant des consultations soit parlementaire, soit populaire, par voie de référendum, que ce soit sur les accords de Maastricht, la réduction éventuelle du mandat présidentiel, le mode de scrutin. Est-ce que vous pouvez me dire ce qui va nous arriver après les cantonales et les régionales et quand on va voter et pourquoi ?
- LE PRESIDENT.- C'est moi qui vous ai donné le tournis ?
- QUESTION.- Vous avez lancé quelques idées de ci, de là, et l'on ne sait pas où l'on en est en ce moment...
- LE PRESIDENT.- La réforme constitutionnelle a fait l'objet de propositions multiples de l'opposition pendant des mois, sous forme de sommations, en particulier les cinq ans - c'est plus vite fait ! -
- QUESTION.- On attend une réponse précise de votre part !
- LE PRESIDENT.- J'ai pensé que sur quelques points l'opposition avait raison et comme je l'ai dit tout à l'heure, nos pensées se rencontraient. J'ai donc proposé, il y a quelques semaines, enfin, c'était à la fin de l'année dernière, en 1991, un échéancier en disant que dans le deuxième semestre, à la fin de l'année 1992, je proposerai des ajustements constitutionnels.
- QUESTION.- Vous pouvez sur la durée ?
- LE PRESIDENT.- Dans le domaine de la marche de l'exécutif et de ses relations avec l'exécutif, dans le domaine de l'organisation judiciaire, dans le domaine référendaire, des consultations populaires, j'ai la possibilité de revenir sur une idée que j'ai déjà soutenue, repoussée par le Sénat, à savoir le droit de saisine des Français chaque fois qu'ils estimeraient le droit fondamental et de liberté, atteint. Ce sera repris.\
LE PRESIDENT.- Pour le reste, ce n'est pas moi qui ai donné le tournis. Il y a un Traité européen, et un Traité entre 12 pays dont la France. C'est ce qu'on appelle la Communauté européenne. La France en fait partie. Donc, la France a contribué au tournis !
- C'est un accord important, capital et déterminant. C'est le plus important Traité que la France aura eu à signer depuis si longtemps, aussi important que le Traité de Rome, et peut-être davantage puisqu'il y aura des transferts de souveraineté finalement plus importants. C'est cela, le tournis ?
- Il est évident que pour un test de cette importance, qui nécessitera aussi d'autres ajustements constitutionnels, la Constitution exige que quand un Traité doit être adopté, il faut qu'il soit net par rapport à la Constitution.
- On ne s'en est pas occupé en 1958 mais je m'en occuperai en 1992, je l'ai déjà dit, après les élections régionales et départementales.
- Je soumettrai aux instances qualifiées, l'acceptation et la ratification du Traité.
- QUESTION.- Les deux Chambres ?
- LE PRESIDENT.- Je soumettrai les deux réformes constitutionnelles au Parlement. J'espère que le sens de l'unité, de l'intérêt national prévaudront sur toute autre considération. Autrement, j'aviserai.\
QUESTION.- Et quand au choix du mode du scrutin pour les législatives, vous déciderez ?...
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas mon gros souci.
- QUESTION.- Cela vous intéresse quand même ?
- LE PRESIDENT.- Et vous, cela ne vous intéresse pas ?
- QUESTION.- Vous êtes pour la proportionnelle intégrale ?
- LE PRESIDENT.- Je ne l'ai jamais été... vous êtes mal informés, me semble-t-il...
- QUESTION.- C'est peut être vos goûts...
- LE PRESIDENT.- Laissez-moi choisir mes goûts... laissez-moi exprimer mes goûts plutôt que de vous choisir comme interprète.
- QUESTION.- Il y aura une part de proportionnelle alarmante ?
- LE PRESIDENT.- Je suis ravi de vous rencontrer, messieurs les journalistes, c'est une occasion de s'expliquer devant les Français. Je n'ai jamais été favorable à la proportionnelle intégrale pour un scrutin de liste. Lorsque j'ai parlé, le 14 juillet, de réforme du mode de scrutin, il s'agissait du mode de scrutin aux élections régionales et départementales. Je n'avais pas parlé des élections législatives. Là-dessus, des propositions ont été faites. Il y a des gens qui votent à la proportionnelle et d'autres au scrutin majoritaire. Cela se pratique en Allemagne, et ailleurs, et la plupart des pays européens ont le système proportionnel, sauf les Anglais. J'ai été séduit par ce scrutin mixte qui me paraît moins injuste que les autres. Là, s'arrête l'énumération dans ce domaine.\
QUESTION.- Vous savez mieux que tout le monde que les sondages vont et viennent et qu'en ce moment, ils sont au plus bas puisque...
- LE PRESIDENT.- S'ils sont au plus bas, ils sont rassurants.
- QUESTION.- Vous ne vous êtes jamais retrouvé aussi bas depuis votre arrivée à l'Elysée. C'est intéressant...
- LE PRESIDENT.- C'est intéressant, la vie politique, puis aussi c'est hypothétique.
- QUESTION.- Vous avez l'impression que c'est votre personne qui est en cause cette fois-ci ?
- LE PRESIDENT.- C'est à vous de le dire.
- QUESTION.- Non, c'est une question que l'on vous pose !
- LE PRESIDENT.- Moi, je ne fais pas d'introspection devant des millions de Français. Je ne passe pas mon temps à exposer mon nombril à l'attention du public £ enfin quoi !
- QUESTION.- Vous avez dit qu'on ne gouvernait pas avec des sondages, mais on peut en tenir compte ?
- LE PRESIDENT.- Bien entendu.. C'est à vous d'apprécier et de dire ce que vous en pensez, et les Français aussi !\
QUESTION.- Et quand toutes ces affaires remontent à vous, un certain nombre d'entre elles... tout arrive, ... le scandale de la transfusion sanguine, les affaires URBA, SAGES...
- LE PRESIDENT.- Le scandale de la transfusion sanguine : laissez-moi vous dire que dans tous les pays avancés du monde, la médecine est dans le même état de progrès. Donc, le problème de la transfusion sanguine et de la contamination s'est posé aussi bien aux Etats-Unis d'Amérique qu'aux Allemands, qu'aux Italiens, aux Anglais et aux autres. Et, dans les deux cas, c'est-à-dire d'une part, les tests pour le SIDA et, d'autre part, le réchauffement du sang qui, paraît-il, est la méthode pour rendre inopérant le virus, la France a été l'un des trois premiers pays à prendre les dispositions convenables pour enrayer le mal.
- Cela dit, la France est le seul pays où il y a eu un scandale de cette sorte, scandale qui n'est imputable à aucun médecin en particulier, bien entendu, mais la médecine n'était pas encore en état de trancher d'une façon définitive sur ce sujet au moment où le problème s'est posé en 1985. Voilà la vérité.
- C'était la même chose ailleurs, mais ailleurs on n'a pas jugé bon de mettre en accusation les politiques, qui n'ont pas la compétence pour trancher de ces choses, qui sont bien obligés de demander l'avis des médecins qualifiés pour cela.
- Vous savez tout sur cette affaire, et vous la ressortez maintenant. J'estime qu'il y a beaucoup d'injustice et je suis décidé - il faut que le gouvernement réagisse comme moi - à ne plus, ou à ne pas me laisser faire par les campagnes absurdes et calomnieuses qui sont entretenues de toutes parts. Et puis, cette espèce de morosité... La France est aujourd'hui le pays où, sauf pour 4 millions des nôtres...\
QUESTION.- Les chômeurs ?
- LE PRESIDENT.- Non, sur 58 millions de Français, il y a des gens qui sont vraiment malheureux, 2 millions très malheureux, et encore avons-nous adopté le Revenu Minimum d'Insertion, qui n'a pas naturellement pansé les plaies, mais a apporté un moyen de ne pas mourir de faim, d'avoir un brin de laine sur le dos quand arrive le grand froid.. Ce n'est pas suffisant, mais cela a été fait et cela n'avait jamais été fait avant et ailleurs. Et ce ne sont pas ces gens-là qui protestent !
- Donc, il y a encore des gens malheureux et il faut se dire quand même que c'est tragique. Notre société est très imparfaite. Il faut constamment corriger ses tares, ses vices. Vous connaissez une société, dans le monde, indemne de ce genre de drame ? Et vous n'avez pas l'impression que la France, qui dispose actuellement du plus haut revenu moyen dans l'Europe, n'est pas tellement en retard par rapport aux autres ?
- Je veux vous convaincre que les Français sont capables autant que les autres, et parfois mieux que les autres, de dominer la crise. Notre économie est en bonne santé, mais beaucoup de Français ne sont pas en bonne santé, parce qu'il y a des inégalités qui tiennent à nos structures. C'est très difficile, mais de là à manquer de cet esprit même de fierté pour la France, à croire que tout va mal, à le répandre, à n'aimer que cela ! Moi je dis aux Français que ce n'est pas exact et qu'on ne peut pas considérer que l'addition des mécontentements suffit à juger la situation présente. Il y a aussi de grandes choses qui sont faites et la France "tient la corde" ! Je vous ai déjà dit, à vous ou à d'autres, que si on devait appliquer le Traité de Maastricht, qui fixe des critères très sévère pour créer une monnaie unique, parmi les 12 pays de l'Europe, seuls le Luxembourg et la France pourraient adhérer aujourd'hui.
- Et c'est la France qu'on condamne de tous les côtés ? Et les autres auraient fait mieux ?\
LE PRESIDENT.- Moi, je ne suis pas du tout décidé à arrondir le dos dès qu'un journal, un journaliste, ou un homme politique de l'opposition se fait menaçant, criard et n'est que condamnation. C'est le rôle de l'opposition, vous me direz !
- QUESTION.- Il y a même des gens de la majorité !
- LE PRESIDENT.- Même des gens de la majorité, qui n'ont qu'un défaut : l'impatience !
- QUESTION.- Vous n'avez pas eu le sentiment que ce que disait Michel Rocard...
- LE PRESIDENT.- Si vous croyez que je vais me laisser entraîner où vous voulez m'entraîner...
- QUESTION.- Il disait tout haut ce que certains élus socialistes disent tout bas.
- LE PRESIDENT.- C'est bien possible. C'est vous qui avez les oreilles pour les entendre, pour transmettre. Vous faites votre métier.
- QUESTION.- On les écoute de temps en temps, ils parlent...\
Dernière question. On revient à l'affaire Habache, parce que c'était le thème central de cette interview...
- LE PRESIDENT.- Dans votre esprit ! Mais dans mon esprit, ce n'était pas le thème central.
- QUESTION.- J'avais cru comprendre que cette information occupait le devant de la scène politique, monsieur le Président.
- LE PRESIDENT.- Comme je tiens à être courtois...
- QUESTION.- Je voulais vous demander si la solitude du pouvoir n'est pas trop pesante face à une affaire comme celle-là ?
- LE PRESIDENT.- La solitude du pouvoir, c'est une expression romantique qu'on me sort à tout moment. Moi, je ne me sens pas tellement seul, donc, je ne souffre pas de cette maladie.\