29 août 1990 - Seul le prononcé fait foi

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Toast prononcé par M. François Mitterrand, Président de la République, sur les relations franco-islandaises, Reykjavik, le 29 août 1990.

Madame le Président,
- Je vous remercie d'abord pour les paroles que vous venez de prononcer. Certaines d'entre elles sont allées droit à notre coeur. Vous avez rappelé toute une histoire que nous connaissons bien que nous soyons loin, car toute une poétique s'attache à l'histoire de l'Islande.
- Je suis heureux de revenir dans votre pays, d'apprendre à mieux le connaître et j'espère qu'il me sera possible demain d'en découvrir plus encore les richesses et d'en apprécier la beauté.
- Islande et France, deux vieux peuples d'Europe. Entre eux une longue tradition d'amitié et d'échanges. Ce fut un goût commun pour la pensée et le savoir qui firent en des temps reculés traverser les mers. Saemundur le savant fit des études à Paris et jusqu'à la Réforme les monastères bénédictins et augustiniens islandais et français entretinrent d'intenses relations. Puis ce furent des scientifiques La Peyrière, Gaimard, le Docteur Labonne, le Commandant Charcot qui vinrent en Islande. Toutes ces missions découvrirent avec passion un pays où la création du monde se lisait comme à livre ouvert. Je n'oublie pas naturellement tous les pêcheurs français qui venus de Bretagne par dizaines, par centaines célébrèrent ici leurs noces avec la mer.
- Cette terre d'Islande d'où sont issus certains des plus beaux chants épiques du monde - ils sont édités là dans un volume de la plus grande collection littéraire française - comment n'aurait-elle pas été aimée des poètes et des écrivains français. Ceux que l'immensité envoûte, l'ont chantée, décrite. Je pense à Jules Verne, à Victor Hugo ou à Pierre Loti pour ne citer que les plus célèbres.
- Tout cela, madame la Présidente, vous le savez mieux que quiconque car vous connaissez admirablement notre pays, les Français le savent et s'en réjouissent. L'ensemble de ces souvenirs que j'évoque, nous imposent des devoirs, ils créent une sorte d'attente, d'espérance dans tous les domaines. Beaucoup d'échanges s'organisent déjà en matière artistique, un nombre important d'artistes islandais sont venus en France, Halldor, Laxness, Erro, Kristin Johannesdottir. Bien d'autres projets sont envisagés pour enrichir la connaissance mutuelle. J'ai là une liste d'accords qui ont été signés ce matin entre ministres de la culture. Un accord cadre de coproduction cinématographique dont la première application sera le prochain film de Kristin Johannesdottir qui s'appelle "Sur la terre comme au ciel" dont le thème est le naufrage du Commandant Charcot et du "Pourquoi pas" au large de l'Islande. Puis la co-édition d'un dictionnaire franco-islandais moderne. Il y a le programme Jules Verne qui est un plan de cinq ans pour accélérer des traductions de livres et qui a pour objet aussi de reconstituer un fond de livres en langue française à la bibliothèque nationale de Reykjavik. On peut citer encore un programme exceptionnel de manifestations dans les deux pays, programme qui s'appelle France-Islande 92/93, pour célébrer le dizième anniversaire du premier accord culturel franco-islandais.\
Cependant la culture ne saurait être à elle seule l'ensemble de ce que représente le capital de nos pays. Nous souhaitons aussi progresser dans les domaines commerciaux et industriels. La Chambre de commerce franco-islandaise qui va être inaugurée cet après-midi y contribuera largement. Des projets sont en cours en matière aéronautique et télécommunications et il y a des perspectives dans les secteurs de l'énergie et des travaux publics. Enfin, nos deux pays mènent ensemble des activités de recherche scientifique en particulier pour travailler au reboisement. Je crois que c'est là utiliser de la façon la plus heureuse les ressources de la technologie afin de retrouver les équilibres naturels rompus.\
Madame la Présidente, votre pays de glace et de feu, de fumée et de lumière, de paysages où s'enfonçent des fleuves, des bras de mer, fascine, je vous l'ai dit, et retient l'attention et le coeur de ceux qui viennent chez lui. Il y a aussi les femmes et les hommes islandais dont le courage et l'identité à travers les siècles les a fait admirer et respecter. Vous avez le sens de l'entreprise, de l'ingéniosité, de l'entraide mais aussi et surtout de la démocratie. La pratique, chez vous en est millénaire et je sais combien vous, mesdames et messieurs, vous y êtes attachés.
- Voilà des valeurs qui nous rapprochent ainsi que le sens très vif, parfois farouche, que nous avons de notre indépendance. Cela nous permet de nous retrouver sur bien des problèmes internationaux en particulier les plus importants dont nous avons parlé ce matin et dont nous continuerons de débattre au cours de la journée.
- L'Islande, comme la France, a salué la reconquête des libertés dans les pays d'Europe centrale et orientale. Paris accueillera en novembre prochain le Sommet des trente-cinq chefs d'Etat et de gouvernement de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe. Ce sera un événement considérable, le plus important peut-être, qui mettra fin aux divisions de notre continent, je l'espère, et tracera les grandes lignes de l'Europe de demain. Au-delà de cette conférence, nous devrons travailler à la mise en place d'un cadre permanent. C'est pourquoi j'ai parlé de confédération européenne.
- C'est l'Europe tout entière qu'il nous faut bâtir aujourd'hui. Nous sommes, nous, membres de la Communauté des Douze que nous entendons perpétuer, en enrichissant son contenu mais nous entendons collaborer avec les autres, en particulier avec les pays de l'AELE. C'est sous la présidence française l'an dernier qu'il a été décidé un calendrier, la présidence de la France du côté de la Communauté, mais la présidence de l'Islande du côté de l'AELE. Nous en avons parlé aussi ce matin, j'espère que ces négociations avanceront cette année. Il faudra bien trouver le moyen de faire se rejoindre les parties encore séparées de l'Europe.\
Solidarité renforcée dans le domaine économique et culturel, mais aussi dans celui de la sécurité. Nous nous sommes retrouvés, France et Islande, récemment au dernier sommet de l'OTAN à Londres. Mais les tensions n'ont pas disparu de ce monde. Comment ne pas penser d'abord à ce qui se passe depuis près d'un mois dans le golfe arabo-persique ? Je ne reviendrai pas sur ce sujet, sinon pour dire que ceux qui comptaient sur le silence des Européens et de la France se sont trompés. Il est des principes reconnus par la communauté internationale sur lesquels on ne peut transiger et qu'il faut défendre absolument. On ne peut pas admettre que soit violé le droit international. Et j'espère que cela sera compris sans délai car on ne peut s'en remettre au temps pour émousser les indignations et la détermination. Mieux vaut dire les choses clairement.\
Madame la Présidente, je veux vous remercier encore une fois en mon nom personnel bien entendu, au nom de la délégation qui m'accompagne et au nom de mon pays tout entier.
- J'ai eu le plaisir de vous accueillir en 1983. Je vous ai rendu une première visite l'an dernier en 1989, et cette fois-ci encore sous l'aspect classique des relations amicales d'Etat à Etat. Permettez-moi d'y ajouter le plaisir personnel que j'y éprouve. Et mes compagnons de voyage partagent ce sentiment, tous sont venus avec le vif désir de connaître et d'approcher l'Islande. Il me sera donc très facile en levant mon verre à mon tour d'exprimer tous les voeux que je forme pour vous-même, madame la Présidente, pour les dirigeants de votre pays, et avant tout pour le peuple islandais dans son ensemble et en particulier pour les personnes ici autour de ces tables avec lesquelles nous avons partagé ce très agréable repas. Et donc à votre santé et pour le bonheur de ceux que vous aimez et pour l'histoire et l'avenir des Islandais.\