6 mai 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République et candidat à l'élection présidentielle de 1988, à TF1 le 6 mai 1988, sur le thème du rassemblement.

QUESTION.- Un certain nombre de gens ont cru voir que le Mitterrand 88 ne ressemblait pas au Mitterrand 81 et que vous mettiez sous cloche tout ce qui ressemblait au socialisme.
- F. MITTERRAND.- Ce n'est pas exact. Evidemment, sept ans, cela compte dans la vie d'un homme. Je reste fidèle à mes amis et je reste fidèle à mon idéal.
- QUESTION.- Vous n'avez pas changé ?
- F. MITTERRAND.- J'essaie simplement d'élargir mes horizons à mesure que la société que j'ai devant moi s'élargit et j'essaie de l'adapter aux problèmes qui vont se poser.
- A partir de là, j'ai besoin d'un peu tout le monde.
- QUESTION.- Depuis le début de cette campagne on vous voit prêcher le rassemblement et depuis quelques jours on a le sentiment de voir deux France se dresser l'une contre l'autre.
- F. MITTERRAND.- Je crois que c'est un effet de la campagne présidentielle actuelle, qu'à partir de lundi prochain, tout cela changera. Je crois que l'on saura, si j'ai réussi à convaincre les Français, que leur besoin était l'union ou le rassemblement. On le saura la semaine prochaine.
- QUESTION.- Vous n'avez pas le sentiment que la France est plus à droite aujourd'hui qu'elle ne l'était en 81 `1981` ?
- F. MITTERRAND.- Je ne peux pas vous le dire, je ne le sais pas exactement. J'attendrai les résultats pour le savoir mais je ne crois vraiment pas que cela sera démontré dimanche soir.
- QUESTION.- En tout cas dans le système de valeur, puisque le mot est très employé en ce moment, qui est décliné sociologiquement...
- F. MITTERRAND.- Non, vous continuez sur la même thèse, moi je continue sur la même. Je suis convaincu que les valeurs démocratiques, que le respect des autres, que la liberté, que la marche vers l'égalité continuent d'inspirer la majorité des Français.\
QUESTION.- Vous pensez que l'on peut ouvrir ce pays après le 8 mai, qu'il peut y avoir une direction différente ?
- F. MITTERRAND.- C'est ce qui m'intéresse. On a occupé beaucoup de temps à débattre du passé, trop de temps, malgré mes efforts. Depuis la fin du premier tour de scrutin, on piétine un peu. Il faut absolument que les Français, c'est bien le moment, sachent ce que l'on peut faite à partir du 9 mai. C'est maintenant, ça s'ouvre devant nous. C'est l'avenir. L'avenir, il est même le présent et pour moi le grand chantier du siècle que j'aurai l'orgueil d'entreprendre, la volonté aussi avec le plus possible de Français, c'est le chantier de l'éducation, c'est le chantier de la formation des jeunes pour qu'ils soient mis en mesure avant la fin du siècle d'affronter toutes les compétitions, si possible en les gagnant. Alors on en a besoin, je l'ai dit plusieurs fois, je le répète ici. C'est la pensée centrale, c'est beaucoup plus important que tous les incidents qui se passent chaque jour.
- QUESTION.- Un pays déchiré peut avoir du mal à affronter la concurrence européenne, les échéances de l'an 2000 ?
- F. MITTERRAND.- Pourquoi resterait-il déchiré ? Nous allons en finir avec cette période dans 48 heures.
- Les Français ont pris conscience de l'importance des enjeux, ils savent que cet enjeu de la jeunesse formée aux métiers qu'elle fera, plaçant notre pays comme il l'est déjà mais au 1er rang, mieux encore dans le monde, aux premiers rangs en toutes choses, c'est ça la plus grande ambition, en tout cas c'est la mienne.\
QUESTION.- Jacques Chirac a dit de vous qu'il vous considère moins depuis le duel. Avez-vous vous même moins d'estime pour lui ?
- F. MITTERRAND.- Non, ça c'est la polémique. Je ne veux pas me mêler des accusations personnelles, je ne mets pas les personnes en cause. J'observe même cette façon de faire avec un peu de tristesse. J'espère que les jours qui vont suivre nettoieront l'atmosphère.\
QUESTION.- Est-ce que vous pourriez vous mettre à sa place `J. Chirac` et qu'auriez-vous fait au moment de la libération des otages du Liban ?
- F. MITTERRAND.- La libération des trois otages du Liban, comment ne m'en serais-je pas réjoui. D'ailleurs je l'ai dit tout aussitôt. Quel est le Français qui n'a pas éprouvé pour lui-même, pour les autres, avec joie, un sentiment de délivrance.
- Dans mon cas, ça me serait encore plus difficile de ne pas partager ce sentiment-là que j'ai contribué à parvenir à ce résultat. Donc non, il n'y a pas de distinction à faire entre le gouvernement et moi dans une matière aussi sensible.\
QUESTION.- Qu'aimeriez-vous que l'on dise de vous plus tard ?
- F. MITTERRAND.- Laissons les historiens agir d'eux-mêmes. Ce que j'espère en tout cas, c'est pouvoir dans ce deuxième septennat, engager le chantier dont j'ai parlé, par l'éducation nationale et par la recherche scientifique, la formation de notre jeunesse et l'accession de cette jeunesse aux grandes responsabilités et d'autre part, que nous nous attaquions tous ensemble aux graves anxiétés, aux graves malaises de la vie quotidienne qui sollicitent les Français à chaque heure de leur journée.
- QUESTION.- Vous préféreriez que l'on dise que c'était le premier Président de gauche ou le premier à avoir réussi à rassembler les Français ?
- F. MITTERRAND.- J'ai été élu alors que je représentais l'union de la gauche et je ne le regrette pas. Je suis même très sensible et je remercie ceux qui m'ont aidés à l'époque. Mais je n'ai pas été le Président de la République d'un groupe particulier, ni d'un parti. Je me suis efforcé, à chacun de juger, d'être le Président des Français et je crois qu'une certaine confiance s'est créée entre les Français et moi et j'entends persévérer dans cette voie.
- QUESTION.- Et vous considérez que vous serez bien élu à partir de 50 %, il n'y a pas de limite ?
- F. MITTERRAND.- C'est un grand honneur, même avec une seule voix mais il y en aura davantage, j'en suis convaincu, mais je ne vais pas préjuger. C'est un grand honneur que d'être élu Président de la République dès lors que les conditions démocratiques sont remplies.\