18 avril 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République et candidat à l'élection présidentielle de 1988, devant le comité national de soutien à sa candidature, au Musée des Arts décoratifs, Paris, lundi 18 avril 1988.

Je vous remercie, d'abord Hubert Curien. Je vous remercie vous toutes et vous tous qui avez d'emblée accepté le premier jour de soutenir l'action que je dois mener pendant ces quelques semaines qui précèdent l'élection du Président de la République.
- Vous m'avez tout de suite permis de me sentir aidé et je le crois, compris, dans une démarche qui ne voulait pas et qui ne pouvait pas être solitaire. Je me suis présenté de nouveau à la Présidence de la République pour des raisons précises, que je n'avais pas prévues, qui se sont imposées à moi. Il ne peut y avoir de justification dans une action de cette sorte, que si elle est haute, que si elle tend à justifier la vie d'un peuple et, permettez-moi d'ajouter, une vie personnelle, en l'occurence la mienne.
- Qu'est-ce qu'on peut vouloir d'autre ? Qu'avais-je à démontrer ? Mais le fait d'avoir rencontré en vous, venus des différents milieux où s'exercent la pensée, l'art, l'action, d'avoir pu trouver tant de femmes et tant d'hommes de grand renom, non pas parce qu'ils avaient un grand renom, mais parce qu'ils avaient conquis, par leurs oeuvres, le droit d'exprimer ce qu'est la France d'aujourd'hui, ce qu'elle pourrait être demain et leur adhésion, leur soutien magnifiaient ma propre action. C'est pour moi très important £ ainsi que vient de le rappeler Hubert Curien, au-delà des tâches quotidiennes qui incombent à un chef de l'Etat, constamment s'impose la vue perspective de l'avenir, au-delà de la simple distance d'une vie d'homme : une génération et celle qui vient, ensuite le relais sera assuré.\
Et, parce que j'ai rencontré certains d'entre vous, que leur discours m'a convaincu, parfois enthousiasmé, parce que je sais ce que la plupart d'entre vous font, ce à quoi ils s'appliquent, parce qu'ils ont donné, qu'ils donnent de la France la physionomie que j'aime, j'ai passionnément voulu développer nos capacités nationales par ce qui me paraissait être le plus créateur et le plus inventif, pas forcément le plus nouveau. Mais comment est-ce que la création manquerait de cette qualité-là ! Inventer et donc changer tout en restant fidèle aux lois permanentes de la vie et de la création, aussi bien dans le domaine scientifique que dans le domaine des arts ou de la littérature. Je parlerai de la politique un peu plus loin. Quels que soient leur âge et leur titre, la reconnaissance acquise ou contestée, j'ai aimé connaître et éprouver une sorte de sentiment de communauté avec eux. Celles et ceux qui, aujourd'hui, se retrouvent dans cette salle et qui ont représenté et représentent pour moi, ceux qui sont capables de modeler notre langue, nos formes, nos styles, nos modes, notre expression et, finalement, le meilleur de notre pensée. Et je suis très fier de les avoir réunis, car je ne pense pas qu'il y ait de groupe humain comparable qui ait accepté, venant de là où vous venez, de vous mêler à un combat politique. Les combats politiques ont souvent mauvaise réputation et il faut reconnaître qu'il en est, des hommes politiques, qui se chargent de vérifier cette mauvaise réputation. Mais, tout de même, c'est à partir de l'action politique que l'on donne forme aussi et contenu à des institutions, à la vie de chaque jour, à la réalité - dans mon esprit à moi, démocratique -, la tradition républicaine portée et élargie aux dimensions du siècle qui vient, et déjà, une France élément d'un ensemble plus vaste dont nous dessinons chaque jour les traits.
- C'est cet enthousiasme-là, cette volonté heureuse, vraiment quand je vous dis que je suis heureux d'être avec vous, c'est vrai et si je dis que je suis heureux de faire ce que je fais, c'est vrai aussi ! Cela pourrait surprendre, parce que qu'est-ce que je prends ! Enfin, je ne remarque pas trop. Je suis heureux de faire ce que je fais, pouvoir expliquer, pouvoir rencontrer, pouvoir connaître pour approfondir, pouvoir persévérer, le cas échéant, pouvoir apprendre, car ce temps qui m'est, comme à nous tous, qui m'est mesuré, comment faire de lui, pour lui donner cette densité qui donne à toute vie son plein sens ? Et confondre avec le destin de sa propre patrie, confondre sa propre action. Vous imaginez qu'il y ait beaucoup de choses plus exaltantes !
- Je ne vous ferai pas un long exposé, moi j'attendais, surtout ce soir, une occasion de parler avec vous, c'est-à-dire qu'on puisse circuler, échanger des propos, avoir le plaisir de serrer la main, retrouver un regard, enfin, c'est cela l'intérêt de notre soirée. Mais enfin, se rencontrer sans faire de discours, cela dépasserait les normes et risquerait de décevoir ceux qui apportent leurs images, qui guettent nos sons. C'est un moment où il vaut mieux les ménager.\
Avec Hubert Curien, nous avons commencé, il y a quelques années, vraiment une action pour le devenir de la science, au travers de la recherche. Et, il se trouve dans ce mot-là, la recherche, l'une des significations les plus nobles de toute -entreprise. On cherche, dans les domaines de la pensée, la transcendance ou la connaissance tout simplement des secrets de la matière, on approche, on cherche. On cherche le mot qui convient, il faut quelquefois du temps. On cherche à comprendre ce qui vous entoure, on cherche une couleur, on cherche, on cherche. Une société ne vaut que par sa capacité à chercher - elle trouvera, assurément - mais à chercher ! Et mettre là tous les moyens qu'on peut avoir, ils ne sont pas très importants, ils sont relatifs, mais on les a faits plus importants, beaucoup plus importants qu'ils n'étaient. Et à peine ceux qui m'avaient accompagné dans cette étape-là étaient-ils partis par nécessité, une volonté du suffrage universel, qu'aussitôt ce sont ces crédits-là, ceux de la recherche, ce sont ces crédits-là qui ont été frappés comme si l'on avait une sorte de revanche à prendre contre les femmes et les hommes qui cherchent. C'est-à-dire dont l'esprit est en perpétuelle interrogation, ce qui pourrait représenter après tout à qui sait, un danger pour qui n'aime pas les interrogations et j'aperçois autour de moi qu'il y a beaucoup de gens qui n'aiment pas les interrogations. Il ne faut pas que l'on se pose de question.
- Je ne vais pas me lancer dans une diatribe d'autant plus que j'évite vraiment de m'engager dans les polémiques qui ne font qu'abaisser ceux qui s'y livrent, mais là ce n'est pas une polémique. Il faut que dans tous ces domaines-là ceux de la formation des femmes et des hommes, des jeunes d'abord bien entendu mais aussi des autres, il faut que dans les moyens de la connaissance et du savoir la nation mette le maximum de ses efforts et de ses moyens. Cela, c'est vraiment l'objectif numéro un, tout passe à partir de là. Puis le reste, le reste viendra par surcroît pas seulement par surcroît et tout seul, mais si déjà la République française comprend que son premier devoir c'est de donner aux plus démunis de ses enfants le moyen de la connaissance et que ce moyen-là lui permette ensuite d'accroître sa connaissance par la pratique d'un métier, on aura déjà fait beaucoup.\
Bon, alors puisque vous avez bien voulu vous joindre à moi et je le répète, sans effort, on n'aura pas eu de peine vous savez à rencontrer des adhésions, obtenir des signatures, celles et ceux qui sont là savaient que leur nom serait mis en valeur, ce qui pourrait ne pas plaire à tout le monde, ils l'ont fait. Et à peine avions-nous lancé sous la présidence d'Hubert Curien cette -entreprise : voyons qui vient avec nous pour donner l'élan, pour signifier nos intentions, l'axe aussi de nos volontés. Nous nous sommes trouvés - et là est né mon optimisme, - nous nous sommes trouvés pris dans un tel élan que je n'ai plus douté à partir de là que nous avions pris le bon départ dans la bonne direction.
- On verra bien. Mais à qui serait tenté d'imaginer que lassé ou fatigué pour avoir vu trop de choses, je ne serais pas disponible pour en revoir d'autres et le cas échéant pour en faire d'autres avec ceux qui font et qui agissent, qui conçoivent et qui créent, ceux-là se sont trompés. Et je parviens maintenant au début de la dernière semaine qui précéde la première compétition de cette campagne présidentielle comment dirais-je plutôt en meilleur -état qu'avant de l'avoir -entreprise.
- Quand je dis meilleur -état, que l'on ne m'imagine pas vagissant avant le 22 mars `annonce de sa candidature` non ! simplement j'étais peut-être un peu lassé de fréquenter qui je fréquentais. Et j'ai remarqué que depuis qu'ils ne me fréquentent plus où qu'ils me fréquentent moins ils n'ont pas gagné.
- Bon, bref cela m'a ouvert un peu les horizons, je respire mieux. J'ai fait ce que je croyais devoir faire pendant deux ans pour le service d'un pays qui m'avait choisi pour cela et je n'avais pas à faire passer mes humeurs et mes préférences avant le service du pays. C'est fait. Très bien, n'y revenons plus.
- Merci donc. Devant nous le chemin reste long, l'-entreprise reste difficile, les luttes restent rudes mais la foi et l'engagement intime, au plus profond de soi, restent intacts. Nous allons pouvoir, mesdames et messieurs, chers amis, faire du bon travail. Vous avez été l'avant-garde des millions et des millions de Françaises et de Français qui désormais seront déjà, sont déjà, nos compagnons de chaque jour.
- Merci pour l'avant-garde et à bientôt.\