10 mars 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, lors de l'inauguration de la place Marcel Basdevant, à Planchez-en-Morvan, jeudi 10 mars 1988.

Monsieur le maire,
- Mesdames et messieurs,
- Je désirais participer à cette cérémonie, après avoir été empêché de me rendre à Planchez au moment des obsèques, car je savais à la fois ce que représentait Marcel Basdevant et sa famille dans la région et comme tous les Français, je connaissais les circonstances tragiques de sa disparition.
- Le Morvan, une famille courageuse, travailleuse, ayant le sens du devoir, M. le Maire vient de le rappeler à l'instant, le souvenir que bien de nos visiteurs sans doute ignorent. Planchez est une des trois communes du canton et des trois bourgs principaux, canton à avoir été - entièrement ou presque - incendié par les Allemands dans les derniers moments de la guerre, au moment de leur retraite lorsque les premiers débarquements et la résistance ont pu rejoindre leurs forces. Non seulement il y eut un incendie, mais il y eut aussi des massacres, pas loin d'ici, - à Dun les Places -, tous les hommes qui furent saisis - vingt-huit je crois - fusillés, nous célébrons leur souvenir chaque année le 26 juin, mais aussi à Planchez, mais aussi à Montsauche qui connurent sur le -plan matériel un sort comparable mais qui comptèrent aussi des victimes. Or pendant ces événements de Planchez, certains habitants de la commune montrèrent un grand courage et c'est à ce titre que déjà le nom de Basdevant, - qui est nom vraiment du pays, on le retrouve dans toute la région du Morvan, du côté de la Nièvre comme du côté de Saône-et-Loire - se présenta, en somme s'offrit en otage pour la sauvegarde de sa commune. Et voilà que longtemps après Marcel Basdevant a illustré à son tour cet indomptable esprit au service du pays. Les conditions de cette mort marquent bien la qualité du sacrifice consenti par bien des soldats, policiers, gendarmes qui partout où le terrorisme sévit, se dressent, interviennent, nous épargnent bien souvent de pires désastres mais parfois aussi sont frappés.\
Cela pourrait donner lieu à une méditation sur le terrorisme, sur cette violence, sur cette guerre obscure et meurtrière que nous livrent des forces généralement venues de l'extérieur, pas toujours malheureusement, et pour qui la vie humaine ne compte pas, tant ils répondent au fanatisme qui les pousse à agir de la sorte. Et c'est ainsi que Marcel Basdevant a été frappé. Des assassins, des terroristes, ont-ils réfléchi aux douleurs qu'ils laissaient derrière eux, à la peine profonde d'un père, à la solitude d'une femme, à l'angoisse des enfants meurtris dès leur adolescence. Des assassins, terroristes, au nom de je ne sais quel idéal, sont-ils détenteurs de la vie des autres, ont-ils le droit d'atteindre d'autres vies qui méritent pourtant le respect. Ces assassinats anonymes où l'on frappe n'importe qui et plus encore en la circonstance, un homme, Marcel Basdevant qui avait fait choix lui-même de défendre l'ordre public, façon de dire de défendre son pays.
- Je puis vous dire, monsieur, madame et vous, les enfants, que Marcel Basdevant a laissé un vrai souvenir et qu'il était estimé comme un homme de devoir, de qualité professionnelle. Toujours aujourd'hui, ses collègues, ses chefs, savent qu'ils ont perdu là, à la fois un camarade ou un ami mais aussi un collègue de forte et de bonne qualité. Oh, la qualité que l'on retrouve si souvent dans le Morvan, ces hommes élevés souvent à la dure, dans ce pays rude, mais en même temps de grands espaces et de forte -nature, sincères avec eux-mêmes, qui n'ont pas deux paroles et qui savent le -prix de la fidélité. Et Marcel Basdevant qu'attendait ainsi le destin par traîtise était un homme de fidélité.
- Je voudrais que ses chefs qui se trouvent ici veuillent bien transmettre et traduire à ceux qui n'ont pu venir ici, que la mémoire de Marcel Basdevant a été célébrée à Planchez-en-Morvan comme il se devait et qu'un hommage a été apporté pour témoigner des simples vertus d'un homme droit. Ils sont nombreux qui sont de cette race, de cette sorte dans les services de police. Ils sont nombreux ceux qui acceptent la mort, qui en acceptent le risque en tout cas pour le service des autres et souvent dans les pires difficultés, car cet adversaire qui peut vous tuer, on ne le connaît pas. Il se dissimule, il ne donne même pas ses raisons, il tue - je l'ai dit tout à l'heurre - sans savoir qui, il sème la peine, le désarroi, il frappe des innocents. Ils sont tous innocents puisqu'ils sont frappés, pris comme des témoins au hasard, simplement parce que l'on veut ainsi démontrer je ne sais quelle obscure puissance.
- Le terrorisme, que de fois l'ai-je dit et répété, on ne peut pas traiter avec lui. Il n'y a pas de langage commun, il n'y a pas de compromis, il n'y a pas de trève. Cherchons seulement à défendre des causes justes et soyons sûrs de nous. Restons fidèles à nos principes, agissons selon nos lois, dans le respect des droits de l'homme. Cela est notre société, c'est notre civilisation, notre premier devoir est de rester fidèle. Mais cette société, cette forme de civilisation a le droit de se défendre. Et ceux qui précisément ont la charge de l'ordre, c'est-à-dire de la sécurité des autres, qui sont donc plus exposés, dont le sacrifice sera accompli pour nous tous, ils méritent plus que quiconque notre reconnaissance.\
Je voulais vous dire cela puisqu'aujourd'hui nous célébrons la mémoire de Marcel Basdevant à l'initiative de la municipalité de Planchez-en-Morvan, et puisque cette plaque que nous avons dévoilée il y a un instant témoignera maintenant, dans le temps qui vient, d'un homme, fidèle à son devoir, qui est mort en l'accomplissant. Et c'est un grand exemple pour les générations qui viennent. Elles n'ont pas connu les événements de 1944, elles n'auront pas connu bientôt l'événement de 1986 et ces marques laissées ici et là, une plaque, une pierre tombale, une croix sur un chemin et la mémoire du coeur, le récit des sacrifices passés, tout cela contribue à préserver la mémoire collective d'un peuple, l'histoire de la France. Et Marcel Basdevant, à sa façon, est inscrit comme un vaillant soldat, mort pour la sécurité des siens, quand je dis des siens, de nous tous, mais comment ne pas penser que lorsqu'il nous défendait, il défendait au premier rang ceux qu'il aimait.
- Je vous remercie monsieur le maire et cher ami d'avoir pris cette initiative, elle ira droit au coeur de ceux qui ont connu Marcel Basdevant et particulièrement, j'imagine, de ses chefs et de ses amis à Paris qui ont tenu à venir se joindre à nous, faisant le lien entre Planchez et la capitale. Car après tout, de notre Morvan, nombreux viennent ceux qui entrent dans la police, généralement issus de familles modestes, qui sont épris d'idéal et qui entrent au service du pays pour y remplir leur rôle de citoyen de la façon qui leur paraît la plus utile.
- A mon tour, je viens vous dire, madame, monsieur Basdevant et vous ses enfants, le témoignage du pays, du petit pays, votre Morvan, notre Morvan, du grand pays, la France, et au-delà des valeurs que le Morvan et la France représentent et qui ont été servies et défendues par Marcel Basdevant.\