5 décembre 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, après l'échec du Conseil européen, Copenhague, samedi 5 décembre 1987.

Mesdames, messieurs,
- Nous nous étions fixé la traditionnelle conférence de presse qui suit les sommets européens pour vous résumer, en très peu de mots, et vous verrez que ce n'est pas difficile, le résultat de nos travaux puisque la conférence s'est renvoyée aux 11 et 12 février 1988 à Bruxelles, puisque l'alphabet le veut sous présidence allemande, afin de reprendre la conversation là où on l'a laissée, ou mieux encore, après que de nouvelles études préparatoires auront été mises au point et par la Commission, et par la Présidence.
- Ce qui veut dire en termes clairs, et sans farder la réalité, que le sommet de Copenhague n'a pu aboutir sur les points essentiels qui étaient le principal de son ordre du jour. Ce n'est pas la peine de vous donner le détail. Sans doute chacun des points n'était pas hors d'atteinte mais les jeux d'équilibre, plusieurs participants souhaitant sans doute préserver tous leurs moyens dans la discussion, cela a fait que l'élan sera repris et la Communauté se retrouvera dans deux mois.
- Ce qui n'était pas prévu, vous savez bien. Ce qui était prévu, c'était un autre sommet européen au mois de juin 1988, une fois passés un certain nombre d'incidents de parcours dont on m'a dit que faisaient partie les élections françaises `élection présidentielle`. Ce n'est pas le seul, il ne faut pas le croire.\
`Suite sur le bilan du Conseil européen`
- La France, précisément dans cette affaire, a été, je peux le dire, constructive autant qu'on pouvait l'être. Une proposition de la fin de la matinée, reprise dans l'après-midi, une proposition de la France exprimée par M. le Premier ministre `Jacques Chirac`, reprise par moi-même, non pas dans les mêmes termes mais dans le même esprit, - bien entendu de façon coordonnée - a failli, je crois pouvoir le dire, permettre à la Conférence de retenir comme acquis quelques dispositions qui représentaient un progrès par -rapport aux délibérations de Bruxelles et même par -rapport aux délibérations du Conseil des ministres de ce dernier week-end. Non pas un progrès sur l'analyse ou sur la connaissance des sujets, mais sur leur enregistrement, sur leur adoption par le Conseil européen.
- Cette demande française n'ayant pas été finalement retenue dans les faits, bien qu'elle avait été accueillie favorablement par tous, mais débordée pourrait-on dire par les revendications particulières qui ont repris dans le milieu de l'après-midi, il n'était pas raisonnable, ni digne de prolonger inutilement une réunion de cette importance, sans avoir la certitude d'aboutir à de meilleurs résultats.
- Et c'est encore la délégation française qui a demandé à ses partenaires de mettre un terme à une discussion à laquelle le Chancelier Kohl et quelques autres, dont nous-mêmes, avaient mis un terme, en plaçant cependant plus qu'un espoir, une proposition de travail, les 11 et 12 février où nous nous retrouverons.
- Sans doute était-ce dans l'esprit de tous les participants, mais nous avons pensé de notre côté qu'il fallait rappeler quelques données telles que la prochaine réunion de Washington, `négociation russo-américaine sur le désarmement`, telle que la perspective - elle aussi très prochaine - de l'ouverture du marché unique et donc la gravité de tout temps perdu en raison de la modicité du délai et puis comme vous le savez, les différentes tempêtes sur les places boursières. Incertitudes ou inquiétudes, tout cela méritera demain, car il faut continuer de vouloir - tout est dans la volonté politique - trouver réponse plutôt que de laisser les esprits "gamberger", les inquiétudes s'accumuler et donner le sentiment d'une Europe absente, tandis que les autres décideraient du sort du monde.
- Voilà ce que je puis vous dire. A quoi servirait-il que maintenant nous engagions une conversation qui serait sûrement très intéressante, bien que nous en ayons épuisé à peu près tous les charmes, sur les stabilisateurs et autres douceurs de Copenhague.
- Je vais bien entendu quand même répondre à vos questions puisque je suis là pour cela mais je pense en faire l'-économie. Il n'y a pas lieu de baisser les bras. Nous avons connu une situation de ce type déjà, pas très souvent mais quelquefois, trop souvent cependant, mais nous étions à l'époque loin de la perspective 92-93 `1992 ` 1993`. Nous nous en rapprochons dangereusement, ce qui fait que la France, d'une façon tout à fait pacifique et paisible mais en même temps très résolue, en appelle au bon sens et à l'intérêt de l'Europe : 1992 c'est demain.\
QUESTION.- (Bernard Volker - TF1) - Monsieur le Président, comment pensez-vous faire pour que le prochain Conseil en février à Bruxelles ne soit pas un échec, c'est-à-dire qu'il soit mieux préparé ?
- LE PRESIDENT.- Je ne dirais pas cela, mieux préparé. Il a été préparé avec beaucoup de soin, mais voilà c'est comme cela. Il faut que les propositions mûrissent. Je crois aussi que l'Europe, comme beaucoup d'autres sociétés, a souvent besoin de crises pour comprendre que si elle ne domine pas ses problèmes, elle se perd. C'est dommage que l'on soit obligé de passer par ce genre d'épreuve et par amour de la guérison, de passer par la maladie. Mais je pense à tous les éléments qui ont été triturés au cours de ces quarante-huit heures et M. le ministre des affaires étrangères `Jean-Bernard Raimond` est là, il en sort à peine et puis les ministres de l'agriculture pourraient dire la même chose, les ministres des finances à peu près autant ! Vraiment, si au mois de février on ne peut pas mettre un terme aux quatre principaux débats qui nous ont occupés, alors c'est que dans ce cas-là, l'Europe est gravement blessée.\
QUESTION.- (Pierre Babey - Soir 3).- Monsieur le Président, pensez-vous que vis-à-vis de l'extérieur, il valait mieux un échec franc qu'un mauvais compromis ?
- LE PRESIDENT.- Est-ce que vous êtes sûr qu'un mauvais compromis eût été lui-même possible. Je ne sais pas, nous sommes parmi les Douze, nous ne pouvons pas parler pour les onze autres. Je pense qu'un langage franc, la volonté d'en finir avec ce côté lassant et finalement nuisible de discussions vaines eût été préférable même un peu plus tôt. Je préfère en effet la situation de ce soir à un mauvais compromis. Nous étions favorables à un compromis, tout compromis n'est pas mauvais, c'est l'essence même de sociétés auxquelles nous participons.\
QUESTION.- (Paul Amar - A2) - Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, comment la France s'est-elle comportée aujourd'hui ? Je veux dire les deux acteurs de la coexistence ont-ils réagi ? Nous avons été impressionnés par l'insistance avec laquelle vos collaborateurs respectifs ont mis en avant votre bonne entente. Comment ce miracle s'est-il produit ?
- LE PRESIDENT.- Mais pourquoi, vous n'étiez pas habitués ?
- Paul AMAR.- Il y avait quand même quelques nuances dans les autres sommets. Cette fois on a l'impression qu'il y a eu une parfaite symbiose.
- LE PRESIDENT.- Ca, c'est vous qui le dites. Ce qui est vrai c'est ce que vous appelez très obligeamment la coexistence est le reflet d'une situation politique qui a été voulue par le peuple français à deux moments différents et ceux qui gouvernent à des titres divers, ceux qui président, qui ont leur mot à dire, se sont conformés à cette double volonté. C'est donc forcément, si on voulait employer des termes savants pour le dire, une situation essentiellement dialectique, qui suppose un ajustement permanent. Mais autant cela peut-être difficile dans le domaine de la vie quotidienne, la politique intérieure, autant cela n'est pas souhaitable dans le domaine de la politique extérieure où nous avons le sentiment qu'un seul et même devoir nous commande. Je pense que c'est cette attitude qui explique votre étonnement d'aujourd'hui, étonnement quand même qui m'étonne.
- C'est vrai que sur tous les problèmes qui nous ont été posés, sans discussion difficile, en tout cas les problèmes d'une apparence compliquée étaient simples et touchaient à l'évident intérêt de l'Europe, sans contrarier pour l'essentiel l'intért de la France £ la France n'a parlé que d'une voix, même avec des interprètes différents. Je crois qu'il n'y a rien à ajouter à cela parce que nous n'avons pas eu besoin de faire d'efforts particuliers, et je dois dire que chaque fois que nous avons constaté que des interprétations ont pu varier, chacun d'entre nous en a ressenti le danger pour le pays. Cela n'est jamais allé très loin. Mais c'est encore mieux quand c'est comme ça. L'intérêt national ça existe et nous en avons profonde conscience.
- Mesdames et messieurs, évidemment je reconnais que la matière, la substance a coulé entre nos doigts, de ce fait votre ardeur est un peu simplifiée. Mais moi il m'est épargné de répondre sur ces matières parfois confuses dans lesquelles se débattent les pourcentages, les prévisions, les discussions un peu trop fines dont on nous a abreuvés. Alors, nous en sommes quittes, n'en parlons plus pour aujourd'hui. Cela reviendra sous peu. Nous nous retrouverons à Bruxelles, la France restera volontaire pour réussir l'Europe.\