9 novembre 1987 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du dîner offert à M. le Président de la République populaire de Chine et Mme Li Xiannian, notamment sur les relations culturelles franco-chinoises, Paris, Palais de l'Élysée, lundi 9 novembre 1987.

Monsieur le Président,
- Madame,
- Mesdames et messieurs,
- Pour la première fois dans l'histoire, la France reçoit aujourd'hui sur son sol le chef d'Etat de la Chine.
- Elle l'accueille avec éclat, avec solennité, en mesurant l'importance d'un événement dont chacun sent bien ici le caractère exceptionnel. D'abord parce qu'il s'agit de la Chine, la plus ancienne civilisation du monde, avec laquelle la France, depuis près de mille ans, entretient des relations d'échange, d'estime et d'amitié.
- Nos pays, placés aux points les plus éloignés de l'immense continent eurasiatique, ne regardent pas naturellement l'un vers l'autre. Mais un lien singulier et fort, culturel, spirituel, n'a cessé au cours des siècles de les rapprocher et de les aider à se comprendre. Toute pléiade de voyageurs, tantôt célèbres comme Guillaume de Robrouk, envoyé de Saint-Louis, ou Jean Gerbillon, émissaire de Louis XIV et invité de Kang Hsi, tantôt obscurs, ont échangé d'un bout à l'autre de la route de la soie les messages, les idées, les techniques, les produits.
- Nos compatriotes rapportaient de l'empire chinois une image de sagesse, de mesure, et d'harmonie qui frappa Voltaire et contribua sans doute au grand mouvement des Lumières. Dans la révolution française, la jeunesse de votre pays allait trouver à son tour, au début de ce siècle, l'inspiration et la justification du long et courageux combat dont est issue la Chine d'aujourd'hui.
- Les Français ont suivi avec sympathie et souvent avec passion ce grand mouvement qui a précipité en moins d'un demi siècle, la Chine dans le monde moderne. Avec d'autant plus d'intérêt qu'ils avaient auprès de vous, témoins prestigieux, quelques-uns de leurs plus grands écrivains. Je pense à Saint John Perse, Victor Segalen, à Paul Claudel, d'autres encore. Avec d'autant plus de curiosité qu'ils avaient accueilli sur leur sol plusieurs des hommes exceptionnels qui allaient, comme Zhou En Lai et Deng Xiao Ping, conduire cette grande aventure.
- Aussi la France a-t-elle été tout simplement la première des grandes nations occidentales à reconnaître officiellement la Chine nouvelle. J'avais pu moi-même, quelques années plus tôt, lors de mon premier voyage en Chine, en 1961, mesurer l'importance d'une relation de dialogue et de coopération, et souhaiter qu'elle retrouve sa place, parmi les premières, dans les enceintes internationales.\
Il y a quatre ans, c'était alors mon troisième voyage chez vous, j'ai eu l'honneur d'accomplir une visite d'Etat en ma qualité de Président de la République française et je suis heureux, monsieur le Président, de vous recevoir à mon tour et au même titre, aboutissement significatif d'une démarche -entreprise depuis plus d'un quart de siècle.
- La Chine est aujourd'hui forte et respectée, elle fait entendre sa voix dans les affaires mondiales. Elle compte autour d'elle des partenaires chaque jour plus nombreux.
- Et la France ne peut que se réjouir de cette évolution. Nous sentons en effet, aujourd'hui mieux encore, combien, par-delà leurs différences, nos deux pays sont liés, dans un monde difficile, par des affinités singulières, l'attachement à leur indépendance, la volonté de préserver leur identité, la détermination à compter sur soi-même pour assurer sa sécurité.
- La Chine et la France sont des puissances pacifiques. Pour sa part, la France constate que depuis quarante ans la paix entre les grandes puissances s'est fondée sur la dissuasion nucléaire. Ce qui rejoint les leçons de l'histoire et la nécessité de l'équilibre des forces. Et si la France est attachée à ce principe, elle est ennemie de toute redondance et de toute surenchère. La dissuasion nucléaire doit s'exercer au niveau le plus bas, de même que l'équilibre des forces devrait être ramené d'une façon générale à un niveau très inférieur à celui que nous connaissons. C'est pourquoi j'ai approuvé, nous avons approuvé le projet d'accord d'élimination des forces nucléaires intermédiaires américaines et soviétiques, et c'est pourquoi nous souhaitons que la poursuite des négociations entre l'Union soviétique et les Etats-Unis permette d'aboutir à une réduction des armements stratégiques américain et soviétique, à une correction des déséquilibres conventionnels en Europe, à l'élimination de l'arme chimique.\
`Suite sur la politique étrangère`
- Nous voyons encore, autour de nous, trop de nations bafouées dans leur souveraineté, dans leur droit d'exister et de déterminer librement leur destin.
- En Asie même, l'Afghanistan subit la guerre et l'occupation étrangère, malgré la résistance de son peuple. Je forme des voeux pour que l'organisation des Nations unies et particulièrement son secrétaire général, M. Perez de Cuellar, obtiennent des parties en cause les engagements d'où sortiront la paix dans cette région du monde et la liberté pour le peuple afghan.
- Le Cambodge, auquel la France est attachée par des liens que chacun connaît, soufre encore d'une domination militaire étrangère. Elle ne saurait y rester insensible. Elle apporte aux victimes réfugiées de ce conflit son aide et son soutien. Elle intervient pour faire comprendre la nécessité de trouver une issue, d'autant qu'elle conserve, avec le Vietnam, des liens de considération et d'amitié. Elle suit, de ce fait, avec intérêt, la démarche du Prince Sihanouk, pour rendre à son peuple indépendance et dignité.
- Monsieur le Président, de tels problèmes justifient l'étroitesse et l'intensité de la concertation entre la Chine et la France. Et votre visite à Paris nous apparaît bien comme le signe d'une volonté que nous partageons, d'approfondir et de relancer ce dialogue et qui retient d'autant plus notre attention que vous en êtes le messager.\
L'importance de votre présence tient, bien sûr, à une autorité qui s'attache à votre fonction, la plus haute, dans l'organisation de l'Etat, mais aussi à votre personne, celle d'un homme qui a écrit, sous les armes, puis dans la paix, certaines des pages les plus glorieuses de l'histoire contemporaine de votre pays, d'un homme qui a contribué à le libérer, à l'organiser, à le reconstruire, à l'ouvrir sur l'extérieur.
- Vous êtes, monsieur le Président, l'un des derniers témoins et acteurs d'une génération de géants.
- Votre visite advient à un moment où la Chine vient une nouvelle fois de démontrer sa capacité de renouvellement. Un immense mouvement de réforme et de modernisation dans lequel votre pays s'est engagé depuis près de dix ans, se trouve confirmé, consolidé.
- Voilà pourquoi à travers vous, monsieur le Président, je voudrais dire aux hommes qui conduisent ce mouvement, et à ceux qui s'apprêtent à prendre la relève, la sympathie et la disponibilité de la France. Les Français suivent avec une grande attention la démarche que vous avez -entreprise. Ils en admirent le réalisme et la détermination, ils en apprécient la portée.
- La France est convaincue qu'une Chine forte, prospère et ouverte est nécessaire à l'équilibre du monde. Elle est prête à répondre à son appel, à lui apporter le concours de ses hommes, de ses technologies, de ses ressources, à examiner avec elle les projets qui pourraient contribuer à renforcer ou accélérer, dans des domaines essentiels ou prioritaires, le rythme déjà impressionnant de votre développement. Cette volonté s'est manifestée, au cours des dernières années, dans des -entreprises remarquables, dont nous suivons de près la mise en oeuvre. Mais elle ne peut que se trouver renforcée par l'encouragement que vous nous donnez aujourd'hui, par le besoin que nous éprouvons nous-mêmes d'apporter encore davantage à la Chine amie, tournée vers l'avenir - oui nous souhaitons apporter notre soutien, notre solidarité et multiplier nos échanges -.
- Je ne voudrais pas terminer cette allocution sans, monsieur le Président, et vous madame, vous souhaiter une fois encore - mais il est bon de le répéter - la bienvenue en France. Je vais inviter les personnes ici présentes à lever leur verre avec moi, à la santé de M. Li Xiannian, Président de la République populaire de Chine, et Mme Lin Jia Me, son épouse, à la santé du vice-premier ministre Qiao Shi, et des membres de la délégation chinoise, au bonheur et à la prospérité du peuple chinois, à l'amitié franco-chinoise.\