11 juin 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, à TF1 le 11 juin 1987, lors de l'inauguration du Salon de l'aéronautique et de l'espace au Bourget, notamment sur l'Airbus A 320, la fusée Ariane et l'avion Rafale.

YVES MOUROUSI.- Bonjour, ici le Bourget, monsieur le Président de la République, merci d'être avec nous. Vous venez de terminer votre visite de ce salon qui est le 6ème salon avant l'an 2000. Nous sommes en train de regarder ce que seront, en définitive, les avions de l'espace du XXIème siècle ?
- LE PRESIDENT.- Oui, on ne peut concevoir un salon autrement, à la fois on vous montre ce qui est, et on vous montre, surtout, ce qui sera. Ce sont des prototypes, ce sont des essais, ce sont des projets. C'est là que se fabrique ou que se construit le visage de l'aviation de la fin du siècle.
- YVES MOUROUSI.- Dans l'aviation de la fin du siècle, nous sommes dans le vent, ici, sur la piste, vous allez partir dans quelques instants à bord de cette passerelle de l'A 320, un fleuron de ce que vous, vous croyez être l'avenir européen de l'aéronautique ?
- LE PRESIDENT.- Je le crois tout à fait, sans quoi je n'en aurais pas pris, avec le gouvernement de l'époque, la décision. L'A 320, c'est déjà une réussite y compris commerciale en raison du nombre de commandes. Je crois qu'on peut dire que ce Salon sera significatif, en particulier, par trois ou quatre initiatives dont celle de l'A 320, avion qui précède toute une série.
- YVES MOUROUSI.- C'est pendant la première partie de votre mandat présidentiel, entre 1981 et 1984 que tout a été lancé, donc cet avion voit le jour, il n'est pas encore conforme, il est commandé par 61 compagnies dans le monde, il y a plus de 400 commandes d'unités. Dernièrement, au Conseil des ministres, la décision a été prise, sous votre autorité, de lancer les programmes A 330 et A 340, c'est parce que les familles de l'avenir, c'est cela qui fait que l'on peut développer technologiquement et assurer une promotion commerciale ?
- LE PRESIDENT.- Oui, je veux dire surtout qu'à chacun sa part et sa tâche. Et c'est cela la continuité française, quel que soit le gouvernement, quelle que soit la majorité, chaque fois on doit enregistrer des progrès, donc des décisions nouvelles. Il y a eu celles d'avant hier, celles d'hier, celles d'aujourd'hui et, j'aperçois à travers tous ces efforts français et européens que l'Airbus, sous toutes ses gammes, est aujourd'hui en mesure de concurrencer n'importe quel avion dans le monde et même de l'emporter. Je crois que c'est un grand témoignage de très haute technologie en même temps qu'un effort collectif européen très significatif, la France occupant une place éminente.
- Alors, quand vous me dites, est-ce que c'est cela l'avenir, c'est en tout cas l'avenir, dans les prochaines décennies pour le moyen courrier, puis avec l'A 330 et l'A 340 pour les très longues distances.
- YVES MOUROUSI.- C'est la meilleure démonstration possible de ce que peut être une véritable coopération européenne à laquelle vous êtes attaché ?
- LE PRSIDENT.- C'est un des plus beaux exemples avec Ariane. Je pourrais en énumérer quelques autres. Mais dans le domaine aérien, dans le domaine de l'aviation et dans le domaine de l'espace, c'est tout à fait ce qu'il faut faire.\
YVES MOUROUSI.- Alors, hier, au cours de cette édition, nous étions à côté de la maquette d'Hermès, là, vous croyez qu'Hermès, effectivement, tiendra le cap ?
- LE PRESIDENT.- Naturellement, il faut d'abord, et on y travaille, parachever Ariane, parvenir à un lanceur dit "Ariane V" qui permettra de propulser des poids plus lourds encore. Vous savez qu'Ariane a un programme de tir fixé pour la fin août. Il ne faut pas croire que cela s'arrête. Quand il y a une difficulté, on la maîtrise, il faut du temps, c'est ce que nous faisons. Donc, à partir d'août - septembre, on ira vers Ariane V, qui lancera en particulier l'avion. L'avion qui est aussi une fusée - je ne sais pas comment l'appeler, puisqu'il est à la fois dans l'air et dans l'espace - un petit avion-fusée qui va et vient, qui ira desservir les stations spatiales habitées, comme je l'ai demandé au nom de l'Europe en 1984, lors d'un discours que j'ai prononcé à La Haye. J'y tiens essentiellement, c'est par l'Europe et par l'espace que nous affirmerons notre présence dans le monde et notre présence parmi les plus grands compétiteurs de la haute technologie.
- Alors cet avion qui va, qui vient, qui va dans l'espace, qui revient à terre, va surtout établir la liaison et la liaison humaine avec la station spatiale. Je crois que cela peut contenir quatre personnes, quatre pilotes et nous allons faire avancer de façon considérable...
- YVES MOUROUSI.- Pardon, quatre, parce qu'on avait parlé de six au début. Il semble bien que l'on soit revenu à trois maintenant, vous seriez plus partisant d'un juste milieu ?
- LE PRESIDENT.- Je ne suis pas suffisamment compétent pour vous dire il faut plutôt ceci que cela. J'ai constaté que c'était prévu pour quatre personnes.
- YVES MOUROUSI.- Monsieur le Président, les Allemands paraissaient réticents sur le projet Hermès, vous en avez parlé avec le Chancelier Kohl à Venise ?
- LE PRESIDENT.- Ils l'ont été, peut-être surtout, quant à l'opportunité d'une annonce. Le Chancelier préférait attendre les élections qui ont eu lieu récemment, avant de dire voilà, on va faire ceci, on va faire cela. Mais, en raison de l'urgence, il nous avait déjà autorisés à nous prévaloir d'une sorte d'engagement allemand sur Hermès et cela continue de se faire.\
YVES MOUROUSI.- Alors, juste à côté de nous, le Rafale de chez Dassault, alors là, c'est la partie militaire. Il est à noter, du reste, que ce matin le Rafale en présentation en vol a reçu un véritable triomphe, comme l'Airbus du reste, mais le Rafale, est-ce qu'il n'y avait pas derrière les applaudissements un sous-entendu sur "il est nécessaire que nous fassions quand même". J'ai entendu le secrétaire d'Etat à la Défense `Jacques Boyon` dire que ce n'était peut être pas le bon avion, qu'il faudrait peut-être se diriger vers un autre type d'appareil, peut-être américain pour équiper une partie de l'armée française. Vous, quelle est votre position ?
- LE PRESIDENT.- En tout cas, la démonstration était très impressionnante et je ne pense pas qu'il ait pu y avoir des arrière-pensées. Voilà un bel avion, d'une technique démontrée sous nos regards à nous qui ne sommes pas des techniciens et des professionnels, c'était évident.
- Quant à l'avenir du Rafale, il s'est posé deux types de problème. Le premier, c'est qu'il a été question, il est toujours question, bien entendu, d'avions européens, et cet avion Rafale s'est trouvé en compétition avec un autre type d'avion qui n'avait pas les mêmes caractéristiques et auquel se sont attachés quelques-uns des pays d'Europe, les Anglais, les Allemands notamment. Alors, on s'est posé la question, faut-il prendre ceci, faut-il prendre cela ? Finalement on fait le Rafale.
- La deuxième question posée, c'est celle de la date de sa mise en service. Cette date peut difficilement être avancée au-delà de 1996 et, il y aura besoin d'une certaine soudure entre la fin des équipements actuels, du type d'avion actuel, entre 1993 environ et 1996. C'est à l'étude. Mais il y a, à mes yeux, un impératif, nous devons d'abord servir notre industrie et notre aviation nationales et si je suis tout à fait partisan des arrangements et des coopérations européennes puisque j'y travaille, cela ne peut pas se faire au détriment de notre technique qui est de ce point de vue, je le crois incomparable.
- YVES MOUROUSI.- Est-ce qu'on peut rester industriellement compétitif et français en assumant aussi les tâches européennes de l'avenir ?
- LE PRESIDENT.- C'est tout à fait compatible. Quant au Rafale, je peux le dire, il existe, il existera sur le -plan militaire, c'est un avion dont nous avons le plus grand besoin. Ce n'est pas la peine de parier sur le Rafale, mais si c'était nécessaire, je le ferais.
- YVES MOUROUSI.- Merci monsieur le Président de la République.\