6 janvier 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de la présentation des voeux des forces vives de la nation, Paris, Palais de l'Élysée, mardi 6 janvier 1987.

Mesdames et messieurs,
- La tradition instaurée depuis peu et qui me vaut de vous rencontrer pour cet échange de voeux au début de l'année est une bonne tradition. Ce n'est pas que mes journées ne soient pas déjà assez remplies avec ce rituel. Mais il y a là un aspect particulier dans notre rencontre qui ne serait pas satisfait autrement.
- Je vois des catégories de Français, à commencer par le gouvernement, en continuant par les corps constitués, les armées, la Ville de Paris, les autorités religieuses, la liste est assez longue. Mais je ne vois pas qui pourrait se substituer à vous ou plutôt aux forces que vous représentez en dehors, peut-être, des représentants spécifiques du Conseil économique et social reçus en même temps que les représentants parlementaires, mais ce serait encore trop incomplet.
- Ces forces sont si réelles que j'en ai reconnu l'évidence en instaurant une habitude qui, je l'espère, se continuera après moi, parce que cela correspond à une réalité. Chaque jour que nous vivons nous montre bien que lorsqu'on aborde ce qu'on appelle les problèmes de société et les problèmes sociaux - les problèmes sociaux en font partie -, il y a des femmes et des hommes responsables ayant consacré une part de leur vie, l'essentiel de leurs activités à ce type de préoccupations qui peuvent parler, peuvent répondre, peuvent agir. Cela vaut pour les questions d'éthique, pour les principes moraux, pour les attitudes culturelles qui font partie beaucoup plus qu'on ne le dit généralement de la réalité française. Voilà des raisons que je vous rappelle pratiquement chaque année et qui se précisent à mesure que le temps passe parce que l'expérience n'est pas inutile.
- Par définition, vous représentez des forces et des mouvements très disparates, qui retrouvent leur unité, leur valeur commune au niveau de la nation. Car certains d'entre vous peuvent mener leur activité sans avoir pratiquement jamais à se rencontrer, sauf lorsqu'il s'agit d'exprimer le sentiment national le plus profond, souvent le moins connu, et également très souvent dépassé, dans la pratique quotidienne, par l'expression politique qui exprime moins souvent le fond mais qui apparaît davantage. Je ne dis pas cela pour tous, car la réalité syndicale s'impose au premier chef. Mais enfin il n'en va pas de même de toutes les associations de caractère national - elles le sont, puisqu'elles sont ici - représentatives de différentes formes d'esprit et d'action des Français. Je forme des voeux pour les personnes qui sont ici devant moi et pour les êtres qui leur sont chers. J'en forme aussi pour les membres de vos organisations que vous représentez ici. S'ils devaient tous être là, il n'y aurait pas assez de place, il faudrait prévoir d'autres grands projets, monsieur le Premier ministre, pour contenir tout ce monde. Il n'y en a pas besoin. C'est bien l'intérêt de la représentation populaire, de la représentation dans une démocratie qui en a besoin pour pouvoir établir tout simplement une relation directe entre ceux qui assument les responsabilités de l'Etat et ceux qui y participent d'une façon ou d'une autre. Vous aurez l'obligeance de bien vouloir transmettre à vos adhérents, aux membres de vos organisations ou associations, les voeux du chef de l'Etat au nom de la République. Chacun d'entre vous aurait sans doute, ou du moins chacune de vos associations, organisations, aurait sans doute tout un discours à tenir touchant à l'essentiel de ses soucis, à sa raison d'être, mais comment faire ?
- Je passerai dans un instant parmi vous et toutes les trois ou quatre personnes... l'ordre principal des pensées changera. Il est donc difficile de tenir un discours commun sauf pour dire ce que je m'efforce de vous dire depuis un moment.\
Vous êtes les représentants de formes d'actions, de formes de pensées, d'engagements et de combats de la société française, de la société française tout entière, et souvent dépassant les limites de la société française, touchant à quelques données universelles qui engagent alors tous les êtres pensants sur la surface du globe. C'est à ce titre que je m'adresse à vous.
- Problèmes de société, problèmes d'éthique, organisations et luttes syndicales, de toutes sortes, de toutes les catégories qui se sont organisées ainsi, avec tout ce que l'on sait de la diversité, parfois même des antagonismes pris dans le bon sens du terme qui sont l'explication-même de la démocratie. La confrontation des intérêts, vous en avez la charge. En tant que citoyen vous avez aussi pour charge de tenter de trouver les synthèses. En tant que représentants de vos organisations vous avez pour mission de défendre les intérêts légitimes ou que vous jugez légitimes de vos mandats.
- A quel niveau se réalise l'harmonie ? Elle est bien rare. Mais tout de même, de temps à autres heureusement, lorsque la nation est en danger ou lorsqu'elle est gravement atteinte dans ses fondements, lorsqu'elle est menacée à partir de l'extérieur, se réveille le vieux et sain réflexe qui veut que chacune, que chacun des Français, se range derrière le drapeau de la patrie, derrière le drapeau de l'unité nationale et du bien public. Pour le reste, c'est la vie quotidienne avec ses exigences. Et les jours que nous vivons, soulignent d'une façon aigüe la diversité des exigences £ comment allier ses exigences avec la nature-même de l'Etat, avec l'homogénité de la nation, avec l'intérêt de la production, avec le devenir de notre économie, donc avec l'indispensable justice due à chaque individu ou à chaque groupe socio-professionnel, tout simplement social ?
- Le voeu principal que j'exprimerai, c'est d'y parvenir. Non pas ce gouvernement, non pas le chef de l'Etat, mais d'y parvenir tous ensemble, chacun à sa façon, voilà le voeu que je forme pour vous, mesdames et messieurs, et surtout que je forme pour la France.
- Je vous remercie d'être venus me voir, d'avoir participé à ces cérémonies. J'ai presque envie de vous dire : "à l'année prochaine". Je commence à en prendre l'habitude, non pas au point d'en prendre un goût invétéré, mais puisque c'est ma charge, je suis très heureux de vous dire que vous êtes ici les bienvenus. Meilleurs voeux, mesdames et messieurs.\