26 septembre 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, Co-Prince d'Andorre, sur la place "Del Poble" à Andorre-la-Vieille, notamment sur la réforme institutionnelle de la Principauté et l'identité andorrane, vendredi 26 septembre 1986.

Andorranes, Andorrans,
- Me voici parmi vous sur cette belle place "Del Poble" d'Andorre-la-Vieille. Les circonstances, en France, qui m'ont contraint à modifier le déroulement de ma visite, font de cette étape la première de mon voyage. Je suis heureux de ce premier rendez-vous dans les vallées et que ceux que je vois pour la première fois, ce soit tous ceux qui sont le peuple andorran. Je connais l'attachement qu'il porte au Co-Prince et je veux lui dire qu'au milieu de lui, je me sens chez moi dans la Principauté d'Andorre.
- J'adresse également mon salut cordial aux Français et aux citoyens des pays amis, qui se trouvent aujourd'hui sur cette place, qui ont peut-être choisi de vivre dans ces vallées, pour y travailler où y couler des jours heureux.
- Ce pays est un beau pays : il n'est pas très étendu certes, mais il est l'un des plus anciens, l'un des plus pacifiques, l'un des plus propspères d'Europe ! Voilà plus de 700 ans, que par les paréages, le Compte de Foix et l'Evêque d'Urgel ont posé l'acte fondateur de la Principauté. Pendant ces siècles, ce pays a bénéficié d'une paix, à laquelle, ailleurs on a trop peu goûté. Des relations fructueuses de confiance ont été nouées avec les deux grandes puissances voisines et les Andorrans, grâce à leur labeur, à leur volonté, à leur ténacité, ont transformé leurs vallées en un territoire prospère, dont la richesse, me dit-on et je vais le constater de moi-même, frappe le visiteur. Ainsi, le statut séculaire de l'Andorre a permis à ses habitants d'exprimer leur génie dans un climat de paix et d'amitié avec les peuples voisins.
- Eh bien, je crois que dans ses fondements, ce statut reste adapté à la situation du pays.\
Cependant, en cette fin du XXème siècle, on ne peut échapper à la nécessité de tenir compte dans les institutions, l'économie, la société, des turbulences d'un monde qui, de plus en plus, modifient les comportements et les relations humaines.
- L'une des questions les plus immédiates qui se posent à vous est celle de l'image que prendra l'économie à la suite de l'élargissement de la Communauté européenne aux pays ibériques. Aujourd'hui, le système des échanges n'est pas le même avec la France et l'Espagne £ demain, l'Andorre devra connaître un régime harmonisé, unifié dans ses relations avec la Communauté. Son avenir matériel en dépend, l'organisation future de ses activités, la richesse de ses habitants. La question concerne au premier chef les représentants élus du peuple andorran : son gouvernement, son conseil général. De même, je crois que votre Co-Prince, qui a le privilège d'être le Président de l'une des nations fondatrices du marché commun, l'un des pays dont la parole est respectée en Europe et dans le monde, la République française, qui a toujours été votre ami et, dans ses lois, a toujours considéré les Andorrans autrement que comme des étrangers, oui je crois que le Co-Prince peut vous apporter le soutien, l'appui, peut-être la voix qui permettra à l'Andorre d'être entendue et de garantir, dans le respect des règles de la Communauté, son actuelle prospérité. Entre autres choses, une grande liberté et facilité de circulation des biens et marchandises au sein de l'espace européen devrait consolider la qualité de la vie quotidienne et les facilités qui résultent de votre travail. Je sais que les discussions entre mes services et ceux du gouvernement ont permis d'arriver à une large identité de vue.
- Je souhaite que les contacts entrepris par ailleurs aboutissent rapidement, de façon que la délégation andorrane, composée des représentants des Co-Princes et de ceux du gouvernement ou du conseil général puisse prochainement se rendre à Bruxelles afin de négocier l'accord indispensable entre la Communauté et l'Andorre.
- Sachez en tout cas que votre Co-Prince sera là pour entendre vos préoccupations et vous appuyer de sa présence sur la scène européenne.\
Mais voilà que ces nouvelles perspectives, les perspectives européennes ont, s'il en était besoin, rappelé combien essentielle aussi était la question institutionnelle. J'ai évoqué à l'instant ce que votre statut si particulier avait, depuis le moyen-âge, apporté de positif à l'Andorre. Mais toute tradition, aussi positive soit-elle, doit vivre, évoluer, sinon elle se sclérose. Une réforme institutionnelle a été mise en oeuvre depuis 1981. Des résultats ont été obtenus : un gouvernement a été établi, les rapports du conseil général et du gouvernement ont été définis.
- Dans le domaine de la justice, l'élaboration d'un code administratif et la création d'un tribunal contentieux et fiscal sont en cours - et j'exprime une nouvelle fois le souhait d'une conclusion rapide des travaux préparatoires.
- Toutes ces réformes représentent autant de pas dans l'établissement d'institutions, dont l'organisation repose sur l'idée de cette séparation des pouvoirs si nécessaire à la démocratie. Mais il faut aller plus loin, et la tâche qui attend désormais l'ensemble des responsables andorrans est celle de la délimitation, la clarification nécessaire des compétences des uns et des autres. Sachez que le Président de la République française, Co-Prince d'Andorre, ne voit pour sa part que des avantages à ce que soient clairement définies les attributions des différents pouvoirs.\
Un pays, mesdames et messieurs, un pays, ce sont d'abord ses citoyens, et le sol sur lequel l'histoire les a réunis, et dans le cas de l'Andorre, un territoire empreint, là où les droits de la nature ont été respectés, d'une forte beauté, celle des Pyrénées.
- L'objectif-même de l'action des responsables de la Principauté, à tous les niveaux - et croyez-le, c'est mon souci - doit être l'existence d'une société, au sein de laquelle il fait bon vivre pour tous, au sein de laquelle les femmes et les hommes qui la composent se sentent libres, solidaires, en sécurité, ouverts sur le reste du monde.
- On le sait bien, la liberté règne dans les vallées. Eh bien, il faut la développer partout où cela est possible. Sur le lieu du travail, au sein des communautés humaines. Et le droit de vote accordé aux jeunes Andorrans à partir de 18 ans représente une avancée positive en ce sens.
- La solidarité est seule de -nature à créer une authentique sécurité, puisque celle-ci résulte du sentiment de chacun de voir justement reconnue sa place au sein de la société, d'obtenir une rétribution équitable et un secours légal efficace en tant que travailleur, une protection sociale raisonnable contre les dangers de la vie, je citerai la maladie ou bien la vieillesse.
- L'ouverture au monde extérieur est vitale pour les vallées et ses habitants. C'est l'un des objectifs, en même temps que le développement de la personnalité andorrane, de l'enseignement dispensé dans les écoles et le lycée du Co-Prince, que je visiterai tout à l'heure.
- Cette ouverture exige aussi des liaisons commodes pour les transports. Je sais que le gouvernement de la Principauté compte entreprendre dans un proche avenir le percement du tunnel d'Envalira, qui facilitera les communications routières avec la France. Et j'ai demandé au gouvernement français d'entreprendre, pour ce qui le concerne, les travaux nécessaires pour le raccordement au réseau des routes nationales.\
Andorranes, Andorrans, votre pays se trouve aujourd'hui à un instant important de son histoire. Un moment où s'élèvent les questions, les doutes, les inquiétudes, peut-être plus que jamais, mais aussi l'espérance !
- Je connais, par l'image, la sobre audace de l'architecture de votre sanctuaire national, Notre-Dame de Meritxell, et je pense que vous avez eu raison de donner un tel -cadre, si représentatif de l'esprit de notre temps, à un culte dans lequel s'enracine une large part de votre personnalité. Vous avez été audacieux dans la fidélité.
- Et je veux, moi, votre Co-Prince, partager cette audace pour l'Andorre, l'Andorre future, fidèle à l'Andorre modelée par les ciècles : ce que nous avons autour de nous, ce que vous représentez, mesdames et messieurs, l'Andorre qu'il faut construire, sur la base d'un passé respectable, et d'un passé que vous aimez. Comment finir autrement qu'en disant très simplement : "Visca Andorra" !.\