8 avril 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Message de M. François Mitterrand, Président de la République, adressé au Parlement, à l'occasion de l'ouverture de la session parlementaire, sur les pouvoirs respectifs du Président de la République, du Gouvernement et du Parlement, Paris, mercredi 8 avril 1986.

Mesdames,
- Messieur,
- Je vous prie d'agréer, en ce début de législature, les voeux que je forme pour vous, aussi bien dans votre vie personnelle que dans l'exercice de votre mandat £ pour le Parlement où j'ai siégé longtemps et qui m'est toujours apparu comme la pierre angulaire de notre démocratie £ pour la France que nous représentons tous ensemble.
- Les Français avaient déjà choisi en 1981 l'alternance politique. Ils viennent en majorité de marquer à nouveau, mais en sens contraire, leur volonté de changement. Dépassons l'événement que chacun jugera selon ses convictions.
- Réussir l'altenance aujourd'hui comme hier, demain comme aujourd'hui, donnera à notre pays l'équilibre dont il a besoin pour répondre, dans le temps - et je l'espère, à temps -, aux aspirations des forces sociales qui le composent. Mon devoir était d'assurer la continuité de l'Etat et le fonctionnement régulier des institutions. Je l'ai fait sans retard et la nation sans crise. Le Premier ministre nommé et le gouvernement mis en place sont désormais en mesure de mener leur action.\
Mais nos institutions sont à l'épreuve des faits. Depuis 1958 et jusqu'à ce jour, le Président de la République a pu remplir sa mission en s'appuyant sur une majorité et un gouvernement qui se réclamaient des mêmes options que lui. Tout autre, nul ne l'ignore, est la situation issue des dernières élections législatives.
- Pour la première fois la majorité parlementaire relève de tendances politiques différentes de celles qui s'étaient rassemblées lors de l'élection présidentielle, ce que la composition du gouvernement exprime, comme il se doit.
- Devant un tel -état de choses, qu'ils ont pourtant voulu, beaucoup de nos concitoyens se posent la question de savoir comment fonctionneront les pouvoirs publics. A cette question, je ne connais qu'une réponse, la seule possible, la seule raisonnable, la seule conforme aux intérêts de la nation : la Constitution, rien que la Constitution, toute la Constitution.
- Quelqu'idée qu'on en ait - et je n'oublie pas moi-même ni mon refus initial, ni les réformes qu'au nom d'un vaste mouvement d'opinion j'ai naguère proposées et que je continue de croire souhaitables - elle est la loi fondamentale. Il n'y a pas, en la matière, d'autre source du droit. Tenons-nous en à cette règle.\
Les circonstances qui ont accompagné la naissance de la Vème République, la réforme de 1962 sur l'élection du Chef de l'Etat au suffrage universel et une durable identité de vues entre la majorité parlementaire et le Président de la République ont créé et développé des usages qui, au-delà des textes, ont accru le rôle de ce dernier dans les affaires publiques. La novation qui vient de se produire requiert de part et d'autre une pratique nouvelle.
- Je ne m'attarderai pas ici sur l'énoncé de compétences présentes, je le suppose, à votre esprit. Je rappellerai seulement que la Constitution attribue au Chef de l'Etat des pouvoirs que ne peut en rien affecter une consultation électorale où sa fonction n'est pas en cause.
- Fonctionnement régulier des pouvoirs publics, continuité de l'Etat, indépendance nationale, intégrité du territoire, respect des Traités, l'article 5 désigne de la sorte - et les dispositions qui en découlent précisent - les domaines où s'exercent son autorité ou bien son arbitrage. A quoi s'ajoute l'obligation pour lui de garantir l'indépendance de la justice et de veiller aux droits et libertés définis par la Déclaration de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946.
- Le gouvernement, de son côté, a pour charge, aux termes de l'article 20, de déterminer et de conduire la politique de la nation. Il assume, sous réserve des prérogatives du Président de la République et de la confiance de l'Assemblée, la mise en oeuvre des décisions qui l'engagent devant les Français. Cette responsabilité est la sienne.
- Cela étant clairement établi, Président et gouvernement ont à rechercher, en toutes circonstances, les moyens qui leur permettront de servir au mieux et d'un commun accord les grands intérêts du pays.\
Mais, mesdames et messieurs, qu'en est-il du Parlement ? Pouvoir législatif, il garde et doit garder la plénitude de ses droits. Certes, l'article 38 autorise les ordonnances et la plupart des gouvernements, y compris dans la période récente, ont eu recours à cette procédure.
- Aussi n'ai-je pas cru devoir en refuser la faculté au gouvernement actuel, après lui avoir rappelé cependant que de grandes réformes de la précédente législature, comme la décentralisation, les nationalisations, les droits des travailleurs, les nouvelles libertés, l'aménagement du temps de travail, avaient suivi la voie législative normale.
- Je pense donc que les ordonnances, dont j'ai déjà dit qu'elles ne pourraient revenir sur les acquis sociaux, devront être peu nombreuses et les lois d'habilitation suffisamment précises pour que le Parlement et le Conseil constitutionnel se prononcent en connaissance de cause. J'ai fait part de cette observation à M. le Premier ministre, lorsque m'ont été présentés les deux projets de loi qui seront examinés demain par le Conseil des ministres.
- Elle me paraît d'autant plus nécessaire que la combinaison des ordonnances et de l'article 49, 3ème alinéa, de la Constitution risquerait en fin de compte de réduire à l'excès la délibération des Assemblées.\
Mesdames et Messieurs,
- S'il est une constante depuis plusieurs décennies pour tout gouvernement et toute majorité, c'est bien d'avoir à faire face à l'une des plus profondes révolutions scientifiques et techniques des temps modernes. La tâche de votre assemblée sera de contribuer à son tour à en dominer les effets.
- Parachever le redressement économique qui a connu d'importants succès dans les années passées, exigera encore beaucoup d'efforts et de ténacité. Nul ne s'en tiendra quitte tant que le chômage restera la pire de nos plaies sociales. Souhaitons que la bonne santé de notre économie et que l'action persévérante de la solidarité nationale offrent une base solide aux politiques qui seront -entreprises.
- Sachons également qu'il n'y aura pas de redressement économique sans justice sociale et que de cette justice ne peut, ne doit être exclu aucun de ceux qui contribuent, par leur travail et leurs capacités créatrices, à l'expansion et à la grandeur de notre pays.
- Le rayonnement de la France dépend plus qu'on ne croit de sa façon d'être à l'égard des siens. Ce rayonnement, qui nous vaut d'être reconnus parmi les grands peuples de la terre, nous le servirons, unis et résolus, en continuant d'agir là où l'Histoire nous fixe rendez-vous : l'Europe, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, le développement des pays pauvres, la paix.
- Vive la République ! Vive la France !.\