7 octobre 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à la mairie de Saint-Brieuc, notamment sur le développement des IUT et les difficultés de l'entreprise Construction Moderne d'Armor, lundi 7 octobre 1985.

Monsieur le maire,
- Oui, monsieur le maire, en effet depuis déjà de longues années j'ai souvent pris ce chemin qui m'a conduit jusqu'ici. Je compte parmi les briochins pas mal d'amis personnels qui ne sont pas forcément des amis politiques, bien que je n'en manque pas non plus.
- Avec vous, en particulier, nous entretenons aussi des relations amicales qui remontent dans le temps. On a pu voir la progression de nos espoirs, l'évolution de Saint-Brieuc et mieux la connaître, la Bretagne. Ce n'est pas un pays si facile à connaître. Les Bretons ont leur quant-à-soi, et quand on vient de l'extérieur il faut s'y faire. Disons que je m'y suis fait et j'en ai tiré beaucoup de joie. Parce que j'ai vu au cours de ces vingt, trente dernières années ce pays à la fois surmonter ses crises, son isolement, ses retards et devenir à la force du poignet - ce qui peut être discuté - à part deux ou trois autres régions d'Europe même, mais moi, je le crois, la première région d'Europe dans un certain nombre de domaines capitaux où s'affronte aujourd'hui la grande concurrence internationale.
- J'avais dit qu'il y a des ombres, bien entendu. On me précipite d'ailleurs ordinairement davantage du côté des ombres que du côté des lumières lorsque je voyage ici et là - je veux dire à droite et à gauche -. Mais il y a les lumières. Votre rôle n'est pas de souligner les ombres et moi les lumières ou alors ce serait un rôle stéréotypé, manichéen, absurde.
- Vous voyez ce qui nous attend, vous soulignez ce qui va. Je ferai comme vous, en sachant fort bien que rien n'est jamais acquis, comme le chantait si bien mais dans un autre domaine Aragon, que rien n'est jamais acquis et que tout dépend finalement de l'effort, l'effort de l'homme avec tout ce qu'il a comme moyen : ses mains, son coeur et son intelligence. Et j'ai confiance en la Bretagne, parce qu'elle a fait ses preuves non seulement au travers de l'histoire on le sait bien, mais aussi après cette dernière guerre mondiale alors que la Bretagne a fourni son contingent de sacrifices humains dans des conditions presque insupportables à deux reprises dans ce siècle. On pouvait la croire épuisée et voilà qu'elle est repartie. Je suis pour l'instant à Saint-Brieuc, dans un moment je serai dans le Trégor. Bon, on verra bien des hauts et des bas. Il n'empêche que la Bretagne est une région qui se bat et d'une certaine façon qui gagne. Cela est dû au beau temps, à ceux qui sont sur place, ceux qui travaillent et à ceux qui vivent, c'est dû pour beaucoup aux élus locaux, aux élus régionaux qui font leur travail quelles que soient les nuances dont ils se réclament - ce n'est pas mon affaire - il y a là un effort collectif tout à fait remarquable dont je vous remercie.\
Les problèmes propres à Saint-Brieuc, vous les avez cités. J'en ai retenu surtout un, celui qui touche à l'enseignement et spécialement à l'enseignement supérieur technique ou technologique comme on dit. C'est certain que Saint-Brieuc n'a pas été gâtée à travers ces dernières décennies et que cette ville soit restée comme cela, en plan, sans équipement d'IUT par -rapport aux autres régions ou secteurs de la région Bretagne, ce n'est pas normal.
- Alors la difficulté maintenant c'est : comment rattraper ? Je crois qu'il y a déjà six IUT. Est-ce qu'il ne va pas y avoir un suréquipement ? Donc ne va-t-on pas laisser Saint-Brieuc dans sa difficulté ? Je crois qu'avec vous monsieur le maire et d'autres, monsieur le président de la région, nous devrions parvenir à créer des établissements d'un niveau supérieur qui devraient répondre aux besoins. Mais il y a besoin là de faire preuve d'imagination et d'un bon -concours entre la région et l'Etat, car chacun reconnaît que Saint-Brieuc n'a pas son dû.\
Nous sommes attelés à cette tâche, monsieur le maire - croyez-le -. Vous avez parlé de la CMA, Construction Moderne d'Armor, si j'entends bien. Elle a ses lettres de noblesse cette entreprise, elle a aussi son caractère très particulier, elle a pris racine dans un terreau populaire et historique qui indépendamment de la qualité de son travail mérite le respect. Et le respect commence par les chances de survie.
- Je crois que beaucoup d'efforts se sont liés et qu'il n'y a pas lieu de jeter le manche après la cognée. Beaucoup d'efforts se sont liés, c'est une entreprise qui dispose d'un bon capital, qui a des carnets de commande, qui a une très forte capacité de travail. Et s'il est vrai que, à l'horizon immédiat, il lui faut affronter des moments difficiles, alors il importe aux autres tout autour, à ceux qui peuvent agir, d'apporter leurs concours. Vous savez bien monsieur le maire que les ministères intéressés, ministère de l'économie et des finances, ministère de l'urbanisme et du logement, ministère du travail sont à l'heure actuelle - et déjà depuis quelques temps - avec ce dossier sur leur table, qu'ils discutent, qu'ils débattent, qu'ils débattent avec les intéressés. Vous savez que les syndicats doivent être incessamment reçus par le CIRI. Mon rôle n'est pas de trancher ce genre de débat. Mais puisque je suis là, naturellement c'est à moi que l'on s'adresse et je le comprends bien.
- Je pense tout-à-fait que c'est une entreprise qui devrait repartir du bon pied. S'il s'agit de l'Etat, que je peux d'une certaine façon engager, ce qui doit être fait sera fait. Et je ne suis pas pessimiste sur l'issue de ce difficile dossier.\
Ce sont les deux principaux dossiers. L'enseignement supérieur afin de disposer de la formation humaine indispensable. Il faut adapter la Bretagne à l'extraordinaire transformation, mutation quotidienne des normes industrielles parmis lesquelles l'industrie agro alimentaire qui trouve ici des bases peu comparables dans le reste de la France. Et puis ce bâtiment avec la signification propre aux Côtes-du-Nord qui a toujours su être un département - dans le bon sens du terme - avancé. On a vu vraiment beaucoup d'intelligence, aller un peu plus vite et pas simplement dans le domaine social ou économique mais aussi dans le domaine intellectuel et spirituel, on le sait bien.
- Les Bretons d'ici sont des gens exigeants, mais exigeants aussi pour eux-mêmes, et c'est pourquoi je crois beaucoup à votre force, à vos chances de réussite. Bon en venant simplement le président du Conseil général qui est un petit peu chauvin me disait comme cela en passant : "Vous savez que l'on a beaucoup de champions de France". Mais oui, je le sais bien, Bernard Hinault, bon, qui ne le sait pas. Le Tour de France et puis le Tour de France à voile et oui, c'est vrai,les Côtes-du-Nord ont battu les Charentes-Maritimes, cela m'a un peu embarassé, mais après tout, pourquoi ne pas rendre hommage à ceux qui gagnent. Ce qui est vrai dans le sport, qui n'est pas une activité négligeable, est vrai aussi de beaucoup d'autres domaines, ceux que je vais visiter cet après-midi, ce matin encore, cet après-midi et demain.
- J'apercevrai le paysage dans sa rigueur, j'approcherai l'inquiétude sinon l'angoisse du travailleur de l'industrie spécialement dans l'électronique.
- Bon je verrai la Bretagne telle qu'elle est. Et j'espère que lorsque je serai rentré à Paris, demain soir assez tard, je garderai de votre région, de votre Bretagne le souvenir très proche et très vivant d'une activité, d'une force, d'une volonté, d'une capacité qui permettra aux moyens dont vous disposez d'être multipliés. Oui, il faut gagner, il faut être du côté de ceux qui gagnent parce qu'on gagne soi-même. Et si l'on ne fait pas cet effort que deviendra la France, que deviendrons-nous ? Mais je n'insiste pas je suis tranquille. J'ai vu dans l'ensemble du pays assez d'énergie qui s'emploie, assez de volonté qui s'exerce, assez de solidarité qui s'impose, le reste passe après.
- Voilà pourquoi en vous remerciant monsieur le maire pour votre accueil je vous dirai non seulement tous les voeux que je forme pour la population briochine, mais aussi les satisfactions que je retire de ces rencontres. Il m'est très aisé, monsieur le maire, mesdames et messieurs de clore ce bref exposé par ces mots qui vous paraîtront rituels, mais qui viennent du fond de moi-même,
- Vive Saint-Brieuc
- Vive la République
- Vive la France !\