4 janvier 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de la présentation des voeux des forces vives de la nation, Paris, Palais de l'Élysée, vendredi 4 janvier 1985.

Mesdames et messieurs,
- L'usage a été créé il y a peu d'années, avec l'invitation de ce que l'on appelle d'un terme générique "les forces vives", façon de résumer en deux mots les activités les plus diverses de celles et de ceux qui concourent éminemment à la vie nationale parce qu'ils représentent à la fois les métiers, les professions, les catégories socio-professionnelles, les productions, parce qu'ils représentent aussi l'ensemble des activités sociales, celles qui touchent à toutes les catégories parce qu'ils représentent les forces éducatives. Et j'en passe.
- Tout cela prend à mes yeux une signification particulière et puisqu'il s'agit dans ces deux journées du début de l'année d'exprimer des voeux, j'en forme pour vous, et au-delà de vos personnes je les adresse à vos mandants, ayant le sentiment que c'est avec vous que je puis compléter cette relation avec les pays dans ses composantes et par ses représentants les plus qualifiés.
- Recevoir comme c'était la coutume les Assemblées parlementaires, c'est une bonne chose, la Ville de Paris aussi, recevoir le gouvernement, cela va de soi, bien que nous ayons assez souvent l'occasion de nous voir £ recevoir enfin tous ceux qui ont occupé ma journée d'hier et ma matinée, c'est nécessaire. J'avais pensé, il y a trois ans et demi, que cette rencontre l'était tout autant, c'est donc pour cette raison que j'ai le plaisir de vous rencontrer en cet instant.\
Les voeux que l'on formule doivent s'adresser d'abord à votre raison d'être, votre raison d'être professionnelle et sociale, puisque c'est à ce titre que vous vous trouvez là. J'exprime donc des voeux pour que les activités de la France tournées vers l'avenir, bien accrochées dans le présent, fidèles au meilleur de nos traditions s'affirment dans les mois qui viennent, de telle sorte que se prépare, chaque jour davantage, un proche avenir, le proche avenir où nous commencerons à voir maîtrisées les forces jusque là incontrôlées qui depuis dix à douze ans se sont abattues sur le monde occidental mettant en péril les efforts de nos sociétés.
- Mais des expériences diverses ont eu lieu. Elles avaient toutes pour objet de combattre ces maux. Il ne m'appartient pas d'apprécier leurs résultats en cet instant. Disons seulement que ces efforts excessifs orientés vers la même direction, à savoir retrouver la matrise de l'événement, nous permettent d'apercevoir le moment où la crise, comme on dit, terme un peu trop facile, sera derrière nous.
- Serait-ce possible, l'aurait-ce été sans l'élément primordial, celui qui se trouve à l'origine de tous les autres, le phénomène de production à partir duquel, acte précis, cette production doit s'organiser ? De telle sorte qu'elle place notre pays dans un rang supportable, honorable, meilleur encore s'il se peut en raison des ambitions légitimes de notre histoire. Tous les problèmes se posent, et il faut savoir dans quelles conditions les femmes, les hommes qui participent à cette production, en tireront pour eux-mêmes, pour le pays, des meilleurs résultats. Comment cela sera réparti et comment l'ensemble des consommateurs recevront-ils cette production ? Qu'elle sera leur part en qualité, en quantité ? Que d'intérêts complémentaires ou divergents ? C'est toute l'histoire de notre société depuis l'époque industrielle qui se trouve ainsi résumée. Quand on parle de production, de distribution, de consommation, on pense d'abord aux biens matériels, mais le même raisonnement doit être tenu avec plus de force encore dès qu'il s'agit des biens de l'esprit, la transmission de l'héritage intellectuel et spirituel. Lorsqu'il s'agit, bref, d'enseigner aux enfants, d'en faire des hommes capables de mieux comprendre à la fois ce qui se passe dans le monde et ce qui se passe en eux-mêmes.\
Alors, le terme "forces vives" trouve un sens et ma définition n'est pas même exhaustive, on pourrait y ajouter beaucoup d'autres considérations : ceux qui tentent avec succès de réveiller les forces naturelles qui résident dans notre jeunesse, qui leur donnent un rayonnement, de l'éclat, qui montrent que la jeunesse peut dans tous les jeux du corps et de l'esprit affirmer ses capacités spécifiques. Et puis, l'immense besoin qui se fait ressentir partout, surtout dans les sociétés qui vieillissent. Grâce aux techniques médicales, bio-médicales, la vie s'allonge, non seulement la vie physique, mais aussi la capacité de l'esprit à appréhender les problèmes du moment, grâce à la recherche, toujours la recherche, pour en savoir plus, en savoir mieux, à quelque âge que l'on soit. Tout cela, eh bien, c'est vous, mesdames et messieurs, qui le représentez, qui l'exprimez, chacun à sa façon. Et il serait stupide de nier les antagonismes qui sont des antagonismes naturels secrétés par notre société comme le règne animal secrète lui-même ses toxines ou bien au contraire, si l'on ne veut pas prendre une comparaison péjorative, comme, naturellement, tout corps humain, tout corps social produit un certain nombre de phénomènes contradictoires. Il n'y a pas lieu de s'en étonner, c'est une naïveté, c'est toujours une erreur historique que de se choquer dès lors que le débat s'organise. Tout est dialectique, la vie elle-même est dialectique.
- Je me réjouis qu'il y ait dans cette salle tant de femmes et d'hommes qui représentent des intérêts, parfois même concurrents, qui les défendent avec ardeur, qui veulent être dignes du mandat qu'ils expriment, mais qui savent aussi à partir d'un moment reconnaître qu'il est quelques domaines communs qui font que nous sommes un peuple et une nation et que ces données-là doivent dans les moments utiles, prévaloir sur les autres considérations.\
Mesdames et messieurs, vous me faites plaisir et vous m'honorez en venant de par ce 4 janvier célébrer l'année nouvelle. Je lis et j'entends beaucoup de descriptions plus ou moins futuristes sur ce qui se passera cette année. Moi, je ne le sais pas. Sinon que le gouvernement, et ici se trouve parmi vous le Premier ministre, le gouvernement persévèrera dans l'être et dans l'action et commencera d'engranger les résultats de sa ténacité, de la ténacité du pouvoir exécutif qui depuis trois ans et demi, à sa façon aussi, a pris en charge les intérêts du pays.
- Il ne s'agit pas seulement d'une politique volontariste, cela ne serait pas suffisant. On ne peut se passer de toutes les données de l'analyse et on ne peut croire que la volonté humaine soit en mesure de tout régler. Mais sans elle on n'arrive à rien. Chacun, c'est mon cas, c'est celui du gouvernement, à sa façon d'imaginer ou de construire la société dont nous sommes partie intégrante.
- Admettons que chacune de ces conceptions mérite le respect. Considérons que telle façon de penser, dès lors qu'elle s'inscrit dans le -cadre des principes fondamentaux qui ont bâti la République, doit être admise, contredite sans doute s'il le faut, mais reconnue et que nul n'est indigne dès lors que sa pensée est libre.
- Au contraire, considérons qu'il est naturel et juste que les intérêts que j'évoquais s'expriment. Où en serait-on si par de lentes conquêtes, parfois fort difficiles, ceux qui étaient au début du XIXème siècle et même tout le long de ce siècle et au-delà, les victimes d'une société naissante qui n'avait pas encore découvert ses propres lois, où en serait-on s'ils ne s'étaient révélés des hommes de talent et d'ardeur qui avaient pris en compte leur part de lutte, de sacrifices et de renoncements pour que le progrès particulier procède du progrès général ?\
L'année 1985, eh bien accueillons la les yeux bien ouverts, regardons la bien en face : il n'y a rien qui ne puisse être dominé. Tout est à notre portée. Et je l'aborde, pour ma part, si vous voulez bien le savoir, avec une détermination sans faille. On aura l'occasion, je l'espère, de s'en apercevoir. La détermination qui est tout simplement celle de la France. Non que je prétende à moi seul représenter la totalité des aspirations des Français, mais je représente les aspirations de la France. Quant aux aspirations des Français, heureusement que vous êtes là. C'est à vous de me le dire et d'exprimer au gouvernement votre façon d'être, de quelle façon, sous quel angle de vue vous apercevez l'intérêt du pays.
- Voilà pourquoi ce sont des rencontres et des dialogues qui doivent en toutes circonstances se substituer aux affrontements dès lors que l'affrontement ne serait pas nécessité. Et je n'aperçois pas une nécessité si évidente que nous ayons à aborder les années qui viennent dans une sorte de hérissement des opinions, des volontés, jusqu'à hausser le ton au point que nos personnes ne s'entendent plus.
- Bonne année, mesdames et messieurs,
- Bonne année 1985, bonne année pour vous-mêmes, pour vos personnes, pour celles et ceux qui vous sont chers, les gens que vous aimez ou tout simplement les gens de votre voisinage pour lesquel vous avez amitié ou estime et puis, pour tous les autres.
- Bonne année à la France, mesdames et messieurs.
- Bonne année aux Français, surtout à ceux qui souffrent le plus, aux plus malheureux, ceux qui manquent de l'essentiel. Bonne année à tous les autres, car ceux qui on été favorisés par le sort ne sont plus négligeables et ne doivent pas être négligés dès lors qu'ils concourent, et que chacun concourt au bien public.
- Je vais maintenant vous saluer individuellement et puis nous pourrons rester quelques moments ensemble une fois par an. Oh ! vous êtes quelques-uns que je vois plus souvent, mais une fois par an tous ensemble dans ce Palais qui est celui de la Nation. C'est en tout cas pour moi une heureuse occasion d'approcher d'un peu plus près l'activité de la France. Je vous remercie.\