28 juin 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de la sortie de la 34ème promotion des commissaires de police de Saint-Cyr au Mont-d'or, jeudi 28 juin 1984.

Mesdames, messieurs,
- En assistant aujourd'hui à votre cérémonie traditionnelle, et en vous remettant les écharpes tricolores, symbole de l'autorité que vous exercez au nom de la nation, j'ai voulu marquer l'importance que j'attache à votre mission, et à travers vous, à celle de la police nationale.
- Je suis heureux de me trouver dans cette cour, face à ces bâtiments, où se sont déroulés, depuis déjà longtemps tant de travaux, où se sont déterminées tant d'espérances, tant de volontés pour une carrière très exigeante. J'imagine que pour beaucoup de vos anciens, il y a dans ces instants le rappel de ce qui fut pour eux un moment décisif de leur engagement.
- Votre promotion - la 34ème depuis la création de votre Ecole où se sont succédés déjà plus de 2200 de vos anciens - a choisi pour nom celui d'un d'entre eux, ici même présent à votre place, en l'été 1979. Il s'appelait Fernand Chaudières et il est mort en service commandé trois ans plus tard en octobre 1982. L'hommage que vous lui rendez prolonge la citation à l'Ordre de la nation méritée par son courage et par son dévouement. Je m'incline devant la mémoire de ce policier et de tous ceux qui ont payé de leur vie leur dévouement à la collectivité, et je souhaite, madame, vous exprimer ma sympathie et m'associer à la peine de celles qui comme vous portent pendant tant et tant d'années le poids de ces événements terribles que l'actualité oublie trop vite. Tout à l'heure en remettant quelques décorations, dans l'Ordre de la légion d'honneur et dans l'Ordre national du mérite, je pensais précisément à ces moments où l'on peut s'arrêter pour considérer son passé, son avenir, fier des marques de reconnaissance de la nation, à tout ce que cela signifie pour ceux qui ont mérité cet honneur et pour celles et ceux qui tout autour savent bien ce que cela représente, cruellement parfois, de sacrifice.\
En revendiquant l'honneur de servir dans la police nationale aux postes qui seront les vôtres, vous avez témoigné d'un idéal, celui du service public et accepté de satisfaire aux exigences qu'il comporte.
- Dépositaires naturels de l'autorité, il vous reviendra de veiller au strict respect de la discipline sans laquelle les missions de la police ne sauraient être accomplies. Mais aujourd'hui l'affirmation de la hiérarchie qui n'a jamais été et ne doit pas être remise en cause, commande de plus en plus la -recherche de l'adhésion. Vous chercherez à encourager l'expression de vos subordonnés et le dialogue avec eux. Vous veillerez à développer systématiquement la formation continue de ceux qui vous entourent. Bien que ce besoin soit chaque jour davantage ressenti, il serait vite étouffé sans votre pleine et entière collaboration.
- Tout ce que je vous dis n'est pas simplement dicté par le souci d'obtenir des inspecteurs, officiers, gradés, gardiens qui serviront sous vos ordres un -concours entier à l'accomplissement d'une oeuvre commune. Elles tiennent au devoir qui est le vôtre de tenir compte dans votre commandement des préoccupations et des aspirations de vos collaborateurs.
- Il est vrai que trop souvent la marge d'initiative laissée aux chefs de services est réduite en raison du caractère trop centralisé des structures administratives. C'est un point qui a retenu mon attention. Cela n'est pas sain. Je sais que M. le ministre de l'intérieur et de la décentralisation s'en préoccupe. Il est d'accord pour y veilleu avec un soin particulier.
- L'Ecole nationale de police a été récemment reconnue officiellement comme une grande école, vous le savez, et classée en première catégorie. Dans votre métier, l'expérience sur le terrain, forgée au fil des ans, est irremplaçable, mais elle n'est pas tout à fait suffisante. Vous êtes, comment dire, des généralistes de la vie publique : les commissaires de police doivent à tout moment se recycler, s'adapter, éprouver les transformations internes d'une société dont ils ont pour une large part la charge. C'est tout le sens de l'effort entrepris depuis trois ans déjà par le ministre responsable et par le secrétaire d'Etat à la sécurité publique `Joseph Franceschi` qui mettent le plus souvent l'accent sur la formation par le réaménagement des structures administratives avec l'ouverture du Centre national d'étude et de formation de Gif-sur-Yvette et l'introduction de nouveaux enseignements et de méthodes inédites sont des instruments qui doivent être utilisés au mieux selon la haute conception que vous avez de votre charge.\
Sans doute, à la veille de prendre vos fonctions, vous interrogez-vous sur les conditions dans lesquelles votre mission quotidienne pourra être accomplie alors que vous serez de plus en plus sollicités pour répondre au besoin grandissant de sécurité. Apaiser l'inquiétude des Français, répondre à leur attente, c'est une priorité à l'application de laquelle il vous reviendra de penser constamment.
- Sur l'analyse des causes de la montée de la violence, l'accord est à peu près général, les travaux des commissions présidées par MM. Bonnemaison et Dubedout où tous les courants d'opinion étaient représentés l'ont clairement montré : une urbanisation mal maîtrisée, ses répercussions sur les conditions de vie, le chômage des jeunes, les conséquences durables de la prison sur les adolescents, lorsque ce sont des délinquants primaires, tout cela joue un rôle essentiel.
- Et pourtant que de divorces dans l'interprétation interviennent lorsque des solutions doivent être trouvées ! Les remèdes simplistes aboutiraient au reniement des valeurs que nous entendons, que vous entendez sauvegarder. Et ce n'est certes pas à la loi de légitimer les réflexes de brutalité ou d'exaspération de la collectivité face à la violence.
- L'apparition de groupes d'autodéfense n'est pas non plus tolérable. Vous êtes les agents de l'ordre républicain. Le -cadre de votre action est la loi et la loi ne souffre pas d'exception ni dans le temps, ni dans l'espace, quelque compréhension que l'on mette à l'appliquer comme il convient.
- Cela ne signifie pas que la répression de la délinquance ne soit pas essentielle. Elle ne faiblit pas contrairement à ce que l'on dit ici ou là. Elle ne doit pas faiblir.
- Un effort budgétaire considérable, sans précédent a été fait depuis quelques années plus que 9600 emplois nouveaux ont été créés dans la police en deux ans. Vous le savez, le nombre d'agents chargés de veiller sur la sécurité est en France proportionnellement l'un des plus élevés quant au nombre d'abitants. Et cependant, on sait aussi que l'augmentation des effectifs n'est pas, et loin de là, la seule réponse pour faire reculer la criminalité.
- Vous allez avoir à vous adapter aux formes nouvelles de la petite et de la moyenne délinquance, celle de la rue, et vous avez été formés à cet effet. La gestion de vos effectifs, l'organisation de votre temps vous conduiront à remettre en cause quand il le faudra les habitudes acquises.\
Toutes les voies s'ouvrent à vous pour progresser dans la lutte contre l'insécurité et ce qui vaut pour vous, vaut pour la puissance publique dont vous êtes les représentants, vaut pour le gouvernement. Cela suppose une mobilisation collective des énergies et de volonté, une transformation en profondeur de l'exercice du métier de policier, fidèle à ses enseignements et à ses traditions et toujours disponible pour affronter le monde tel qu'il devient.
- Le gouvernement a mis en place des conseils départementaux et locaux de prévention qui permettent à tous, élus locaux, responsables de la vie associative, travailleurs sociaux, enseignants, policiers de mieux unir leurs efforts sur ce terrain. Vous comprenez leur importance. Vous êtes appelés à vous intégrer toujours davantage dans le tissu social. Ni vous, ni moi, ne voulons de cet isolement dans lequel vous êtes parfis, où l'on voudrait vous confiner, et notamment l'aspect répressif qui n'est qu'une de vos interventions, alors que vous rendez tant de services à notre pays sur tant d'autres -plans. Et je tiens à vous le dire : il faut préserver cette diversité de votre fonction, le sens qu'elle a dans votre esprit de femmes et d'hommes engagés. Oui, la répression est nécessaires, mais la conception que vous avez vous-mêmes de votre rôle et de la société et de son devenir vous indique par là-même vers quels horizons il faut élargir à tout moment votre fonction.\
Un professionnalisme sérieux, incontestable est la base de tout et c'est pourquoi je me réjouis de voir l'enseignement et les leçons que vous recevez dans une école comme celle-ci. L'importance de la formation, la réflexion qu'elle nécessite sur les conditions, sur les méthodes de travail, jusqu'au détail, je pense en cet instant à l'inadaptation du parce immobilier, du matériel, au caractère souvent désuet des procédures administratives, aux travaux répétitifs. Il n'est pas de détail qui puisse être négligé. Vous avez besoin de disposer de moyens pour connaître dans votre carrière, non seulement, les exigences que je viens de rappeler plusieurs fois, mais aussi les possibilités d'accomplir au mieux, par l'Etat la tâche qui vous attend.
- Bien des innovations sont déjà présentes à l'esprit : le développement de la bureautique qui est entré dans une phase d'expérimentation active dans plusieurs commissariats et qui permettra de libérer les politicier de contraintes afin qu'ils se concentrent sur le travail actif, plus conforme à leur vocation et à leur métier. J'ai demandé également au gouvernement de définir rapidement l'ensemble des mesures qui permettront de moderniser la police dans une période difficile où il nous faut veiller à ce que le budget de la nation reste dans des limites précises. Mais les actions proposées devront prendre en compte tous les aspects de la vie policière et recevoir une application concrète. Je le répète, à bref délai.\
Voilà un métier, le métier des policiers, un métier bien difficile, il exige dévouement, courage, disponibilité face à la détresse humaine qu'il côtoit quotidiennement. J'ai fait des visites dans divers commissariats de quartier, à Paris, j'ai constaté l'esprit et la compétence, la façon dont le travail était accompli dans de mauvaises conditions souvent, et je puis témoigner que ce travail est apprécié de la population.
- Mesdames et messieurs, les commissaires de police que vous êtes maintenant constituent l'un des nombreux corps de la police nationale, inspecteurs, officiers des corps urbains, des CRS, enquêteurs, brigadiers, sous-brigadiers, gardiens de la paix, diversité qui a pour rraison d'être de mieux concourir à la tâche qui vous est commune.
- Une cérémonie comme celle de cet après-midi est pour moi l'occasion d'affirmer l'unité d'action qui doit animer l'ensemble de la police nationale. Notre pays, parce qu'il a la certitude de se retrouver en vous, attend de vous l'accomplissement d'une tâche quotidienne mais exaltante, obscure souvent, mais indispensable, celle qui doit aussi assurer la tranquilité, la sécurité des femmes et des hommes de notre pays.
- Je souhaitais pouvoir vous dire ces choses. Venir dans cette école est pour moi, je dois vous le répéter, une satisfaction parmi tant de cérémonies auxquelles il n'est donné de participer. Je reconnais dans votre façon d'être, dans votre volonté, l'un des éléments forts, nécessaires, et des plus utiles à notre vie nationale. Je veux en rendre témoignage et je vous dis, mesdames et messieurs, que pour le reste de votre carrière qui s'affirme désormais, au travers de l'enseignement reçu, les valeurs qui sont les vôtres restent le meilleur de vous-même.\