21 mai 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Liaison visiophonique Paris-Biarritz entre M. François Mitterrand, Président de la République, et M. Louis Mexandeau, ministre des PTT, lundi 21 mai 1984.

M. MEXANDEAU.- Bonjour monsieur le Président.
- LE PRESIDENT.- Bonjour monsieur le ministre.
- M. MEXANDEAU.- Je vous remercie de nous permettre de vous présenter ce premier système mondial de vidéo-communication par fibres optiques, ici donc à Biarritz ce 21 mai.
- LE PRESIDENT.- Eh bien je vous remercie monsieur le ministre mais je vais vous poser une première quetion : qu'est ce que les Français demain pourront obtenir à l'aide de cet équipement ?
- M. MEXANDEAU.- Peut-être à l'aide de cet équipement, de ces fibres optiques que je présente ici pourront passer à la fois le téléphone, sur ces cheveux de lumière, 70 fibres, 35000 conversations téléphoniques simultanées, mais en plus le service télématique du Minitel et ensuite 12 ou 15 chaînes £ en tout cas ici déjà à Biarritz 15 chaînes de télé-distribution de télévision, ensuite des images, une douzaine de chaînes haute fidélité, des banques d'images, des données pour l'informatique et puis enfin le visiophone c'est-à-dire ce téléphone avec écran par lequel aujourd'hui je communique avec vous.
- LE PRESIDENT.- Voici plusieurs services à la fois. La visiophonie c'est ce que nous faisons pour l'instant, vous me parlez, je vous parle, nous nous voyons. Les chaînes de télévision, c'est-à-dire que les futures télespectateurs de Biarritz d'abord, de Lille, Roubaix, Tourcoing ensuite je crois, pourront disposer, pourront rechercher toute une série de chaînes de télévision françaises et étrangères sous certaines conditions. Bon également, vous avez une chaîne de haute fidélité pour les amateurs de musique, de haute musique, de grande musique £ ensuite les communications c'est ce que nous faisons mais dans les documents qui m'ont été remis avant cette conversation j'ai vu qu'il pouvait y avoir des communications dans les deux sens, c'est-à-dire interactives.
- M. MEXANDEAU.- Je crois que c'est le choix que le gouvernement a fait sous votre impulsion en novembre 1982, c'est le câblage en fibres optiques avec une certaine architecture dite en "étoile" qui permet l'interactivité c'est-à-dire la communication au téléphone entre personnes qui se voient et aussi la communication entre ordinateurs, la communication entre télespectateurs et présentateurs de télévision. Cela va compliquer comme vous le voyez la tâche de monsieur Mourousi.
- LE PRESIDENT.- Donc il y a des services de -nature différente. Il y a les services qui viennent vers le télespectateur, qui les reçoit mais il ne peut rien faire d'autre, et il y a les services que vous appelez interactifs qui permettent aux télespectateurs, enfin à celui qui écoute de répondre, de poser des questions, d'engager un dialogue. C'est donc une invention ou une technique industrielle dont les conséquences sociales seront multiples.
- M. MEXANDEAU.- Je crois que cela va modifier, quand le plan de câblage sera établi vraiment, les conditions de la vie sociale et de la vie culturelle dans le sens d'ailleurs d'une très grande convivialité.
- LE PRESIDENT.- L'importance de cette conversation ne tient pas tant aux côtés disons ou pittoresques ou singuliers de deux personnes qui se voient tout en se parlant.
- M. MEXANDEAU.- C'est déjà un progrès.
- LE PRESIDENT.- C'est un très grand progrès mais j'aperçois au travers de ce que nous venons de dire une multitude de services différents qui peuvent modifier profondément la vie quotidienne des Français puisque nous parlons d'eux pour l'instant.\
`Suite` Mais c'est un peu mon rôle d'insister sur ce point à votre égard, donc à l'égard du gouvernement, j'aperçois dans cette expérience, enfin c'est déjà plus qu'une expérience c'est une pratique, le début d'une phase industrielle dont j'attends beaucoup. Vous savez mieux que personne que la compétition mondiale est rude et là nous sommes très bien placés. Le plan que nous avons lancé doit nous permettre, à partir de Biarritz, Lille, Roubaix, Tourcoing mais ensuite dans toutes les villes qui le souhaiteront, devrait nous permettre de disposer d'une technique dont les enjeux économiques seront si importants que cela contribuera je le crois utilement au redressement national.
- M. MEXANDEAU.- Je crois en effet que dans la bataille technologique dans laquelle les télécommunications et les PTT sont largement engagés avec le téléphone, avec la télématique, nous avons là un nouveau palier et du point de vue industriel et du point de vue commercial - du reste cela est attesté par la présence ici de plusieurs ministres étrangers, que je salue, représentants de dizaine de pays étrangers, des télécommunications, d'administrations qui montre bien l'intérêt que le monde porte à ce qui est plus qu'une expérience £ c'est vraiment grandeur -nature, cela indique que ça marche, et cela marche bien comme nous pouvons effectivement le voir. Les télespectateurs peuvent également le voir, cela modifiera la vie culturelle permettant aux professeurs des contacts au-delà de la classe, aux médecins. Je crois qu'il n'y a pas de limites à cette explosion de la communication, c'est en même temps un enjeu technologique et industriel capital comme vous l'avez souligné.
- LE PRESIDENT.- Je vous ferai seulement deux observations : la première est que à compter du moment où cela aura un grand effet culturel alors il faut veiller à ce qu'il y ait des programmes, c'est-à-dire qu'il n'y ait pas seulement un instrument qui permet de communiquer mais aussi un contenu, c'est-à-dire que tout ce qui est création, invention, imagination, expression artistique, intellectuelle et culturelle puisse être encouragé de telle sorte que nous puissions donner à cet instrument sa véritable signification, toute sa portée.\
`Suite` La deuxième observation c'est que j'attends naturellement du gouvernement et aussi des administrations et des techniciens qu'il faut remercier pour leur très grande réussite, j'attends que grâce à cette technique et aussi à cette première en direct on sache partout que nous sommes engagés dans un combat et que nous sommes en train de constituer le fer de lance de nos industries de l'électronique et sans l'électronique, on ne pourrait pas entrer dans la modernité, c'est-à-dire dans le monde moderne où la France doit disposer de tous ses atouts.
- M. MEXANDEAU.- En effet, la filière électronique c'est le fer de lance de la bataille industrielle et technique de la fin du siècle : nous sommes bien placés, nous espérons pouvoir réunir beaucoup de partenaires européens avec la France dans ce domaine comme en quelque sorte nation pilote, de façon à pouvoir équilibrer les autres grands ensembles économiques, et en même temps, comme vous l'avez dit, pour le contenu, par l'exploitation de notre patrimoine culturel si immense. Le maintien du développement, notre influence, nous pourros aussi demain proposer nos produits, des produits français et aussi des produits européens. C'est une étape importante pour cette grande bataille je crois qui vaut d'être menée et qui, je le sais, mérite de votre part une attention constante.
- LE PRESIDENT.- Pour la gagner, il faut travailler.
- M. MEXANDEAU.- Nous travaillons. Est-ce que vous me permettez de vous passer M. Mourousi ?
- LE PRESIDENT.- Mais je vous en prie.
- M. MEXANDEAU.- Merci, au revoir monsieur le Président.\
M. MOUROUSI.- Monsieur le Président bonjour. Simplement une question. Je viens d'entendre en tant que journaliste de dialogue avec M. Mexandeau, je voudrais vous poser une question : est-ce qu'il y a d'autres paris possibles aujourd'hui et ce pari là tel que vous l'avez engagé, voyant se réaliser au moins une étape aujourd'hui, est une image de ce que la France peut reconquérir comme terrain ou défricher comme nouvelle terre ?
- LE PRESIDENT.- Oui, nous sommes déjà bien engagés dans cette lutte mais je dois tout de suite répondre qu'il ne s'agit pas tellement de substituer une industrie qui serait tout à fait nouvelle aux autres qui seraient anciennes ou périmées. Ce serait une vue beaucoup trop simpliste. C'est grâce à cette technologie nouvelle à partir de l'électronique, de l'informatique que nous pouvons rénover toutes les autres industries. C'est dire qu'il y a des industries que beaucoup de gens considèrent comme à bout de souffle et qui peuvent et qui doivent revivre grâce à cette nouvelle technologie qui va entrer dans le circuit notamment l'automobile.\
M. MOUROUSI.- Bien, un dernier mot, vous avez parlé de programme il y a quelques instants, c'est donc effectivement, alors que la France a souvent été absente de la constitution de programmes en matière électronique, mais maintenant au-delà des programmes simplement disons électroniques, il y a des images à mettre, un mot monsieur le Président de la République : dans quelques instants, nous irons à Cannes pour le festival, je sais qu'il y a de cela quelques temps vous avez décoré des créateurs, le cinéma et la création c'est aujourd'hui quelque chose qui vous laisse encore sensible ?
- LE PRESIDENT.- Oui, vous avez des écrivains, des auteurs, des créateurs, vous avez des réalisateurs qui créent des oeuvres originales, personnelles à partir des données qui leur sont fournies, ce sont ceux qui créent les images dont le public a le plus grand besoin pour sa formation, son développement, ses loisirs et son plaisir de vivre. Si l'on développe comme on le fait, si l'on pousse à fond tous les instruments qui permettent de communiquer en négligeant surtout sur le -plan français car nous avons beaucoup de créateurs français qui ont besoin de vivre, en plus qui nous sont nécessaires pour préserver notre façon de penser, notre façon de nous exprimer, notre langage, bien, je pense qu'il faut faire un très gros effort maintenant pour que les programmes soient à la hauteur des moyens techniques dont nous voulons faire la démonstration.\