10 février 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue de sa rencontre avec le Premier ministre belge, M. Wilfried Martens, Bruxelles, mercredi 15 février 1984.

Mesdames et messieurs,
- Je viens de faire une visite à M. le Premier ministre `Wilfried Martens`, et je viens de rencontrer également, en compagnie du ministre français des affaires européennes `Roland Dumas`, M. le ministre des affaires étrangères, M. Tindemans. Nous avons débattu, durant le temps dont nous disposions, des problèmes qui touchent à la prochaine réunion du Conseil européen de Bruxelles, et nous essayons de faire avancer les choses pour que l'Europe cesse de piétiner.
- Nous avons donc évoqué entre nous les sujets que vous savez, qui sont le fond du débat, et qui concernent le budget, sa maîtrise, le rythme de la croissance des dépenses et donc des recettes, les aspects directement reliés au budget qui touchent aux contributions nationales, en-particulier à la contribution britannique et à la restitution que l'on pourrait imaginer, les ressources propres, les dépenses obligatoires, essentiellement le budget agricole, qui pose tout aussitôt le problème des excédents et plus particulièrement encore celui des excédents laitiers avec les questions subséquentes qui s'y rattachent tout aussitôt : produit de substitution d'origine agro-alimentaire américaine : telle ou telle disposition permettant de disposer de financements nouveaux, comme la taxe sur les matières grasses ou encore d'autres qui sont en discussion et non acquises, suggestions de la Commission `européenne` qui reste pour l'instant à l'étude. Nous en débattons entre nous, comme j'en ai débattu avec chacun de mes partenaires, au-cours de ces dernières semaines. Ensuite, nous avons discuté des politiques nouvelles, de ce que nous souhaiterions voir accepter par la Communauté `CEE` pour ouvrir, élargir l'horizon de l'Europe £ enfin, l'élargissement à l'Espagne et au Portugal.\
Certaines autres discussions ont été tout juste ébauchées, elles ne sont pas directement l'objet des litiges entre la Belgique et la France. J'ajoute qu'en la circonstance, j'agis davantage en Président semestriel de la Communauté, qu'en tant que représentant des intérêts de la France. Enfin, je n'oublie sûrement pas ceux de mon pays, mais c'est davantage en Hollande ou en Allemagne `RFA` que j'ai eu à débattre du problème des montants compensatoires monétaires.
- Vous connaissez les positions de la Belgique, bien qu'après tout il ne nous appartienne pas, à nous, de les définir. C'est un pays franchement engagé dans la construction européenne, qui souhaite donc qu'on avance, et sur ce terrain là nous n'avons pu parler utilement car nous partageons des opinions semblables. Je remercie beaucoup M. Martens de son accueil, nous nous connaissons déjà depuis quelque temps et nous avons coutume de pratiquer de franches discussions, de franches conversations.
- Je vais donc vous quitter pour visiter Sa Majesté le Roi des Belges. Je dirai aux journalistes qui resteront après moi, que nous allons revenir bientôt, dans un mois au plus, et quant aux journalistes ambulants comme moi, avec moi, ils viendront dès après-demain je pense à Copenhague.
- M. MARTENS.- Je voudrais seulement ajouter que le gouvernement belge est particulièrement heureux de cette rencontre. En effet, nous avons fait l'expérience, ces dernières années de nous trouver sur la même longueur d'onde, et nous sommes là pour renforcer, par nos rencontres, tous les efforts qu'entreprend le Président de la République française pour aboutir à un accord lors du prochain Sommet de Bruxelles `Conseil européen`. Donc, ce sont vraiment des gouvernements et des hommes qui ont les mêmes idées qui se sont rencontrés aujourd'hui.\
LE PRESIDENT.- Seulement, n'oublions pas qu'il s'agit d'une communauté à Dix `CEE` dont les habitudes, souvent fâcheuses, ont abouti à faire que toute décision, y compris la plus minime, exige l'accord de dix sur dix, ce qui est une -entreprise hors du commun. Alors, la structure même du système tel qu'il a évolué depuis le Traité de Rome ne facilite pas les choses. J'observe quand même d'une façon générale une bonne volonté, c'est indéniable. Ceux qui sont très engagés dans cette construction y mettent beaucoup du leur, ceux qui sont moins engagés comprennent quand même l'importance d'une réussite. Enfin, je ne fais pas de pronostics, je suis d'une -nature prudente.
- QUESTION.- (au sujet des étapes de la tournée européenne : optimiste ou pessimisme).
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas d'-états d'âme. Je fais ce que je dois, je ne néglige rien pour que la Communauté réussisse. Je dis à chacun que cala ne réussira - je veux dire le règlement du contentieux avant d'aborder les politiques nouvelles - que si chacun accepte sa part du compromis, c'est-à-dire de renoncer à certaines de ses exigences initiales. Il en est ainsi de toutes bonnes négociations. Je ne peux pas dire qu'on en soit là. Ce qui est vrai, c'est que dans ce cheminement difficile et multiforme, j'ai le sentiment d'avoir avancé, pas assez pour vous donner une note d'optimisme, d'autant plus que cela ne se décide pas, je le répète, à deux, et même pas à cinq fois deux. Cela se décide dans les instances communautaires. C'est donc le Conseil des ministres, puis le Conseil européen qui décide. Il serait vain de faire des déclarations publiques sur l'issue de ces conversations bilatérales, qui ne sont qu'une diplomatie de complément pour faciliter le travail collectif, et qui n'ont pas du tout la prétention de s'y substituer. Il faut que cela soit clair. Comme je vois que parmi vous il y a beaucoup de spécialistes de ces choses, ils comprennent très bien ce que je veux dire. Si même, avec M. Martens `Premier ministre belge`, nous allions aboutir à un miraculeux arrangement sur tout, on ne vous le dirait pas, parce que M. Martens et moi, nous n'avons pas qualité pour décider au nom de l'Europe. Simplement nous sommes des ouvriers consciencieux, nous apportons notre brique ou notre pierre pour que la construction monte un peu plus haut.\