15 avril 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution prononcée par M. François Mitterrand, Président de la République, à l'hôtel du gouvernement cantonal de Bâle, vendredi 15 avril 1983.

Monsieur le président du Conseil d'Etat de Bâle Ville,
- Mesdames et messieurs,
- Je vous remercie de l'accueil que vous-même, au nom du Conseil d'Etat, ainsi que les autorités assocées, sans oublier bien entendu la présence de M. le président du Conseil de la Confédération ainsi que les Conseillers fédéraux qui se trouvent ici, avez réservé au Président de la République française.
- Je peux vous dire que je me réjouis d'être à Bâle. C'est un site privilégié, par la géographie sans doute, par la politique, point de rencontre au bord d'un grand fleuve qui évoque tant d'événements de notre Histoire, qui réveille la conscience poétique de plusieurs peuples, à la rencontre de trois chaînes de montagnes et des hommes de trois pays.
- Votre ville est épanouie, vous venez de le rappeler, à nos frontières françaises, franco - suisses, et elle peut s'enorgueillir - vous avez eu raison de le dire - de son passé prestigieux, de sa réussite en tant que ville ancienne et historique, en tant que métropole moderne qui ne se contente pas de suivre ce que l'on appelle le progrès, en tout cas l'évolution des choses et même qui le précède sur de nombreux -plans et je voudrais vous dire la considération que je vous porte.
- Ce n'est pas par hasard, au demeurant, si je me trouve ici parmi vous. Mon voeu s'est rencontré avec celui des autorités de ce pays et nous avons inscrit avec un plaisir particulier ce que je n'ose appeler "le détour" par Bâle. Depuis ses origines, que je crois Celtes bien que je ne veuille rien revendiquer, Bâle a vécu une riche Histoire. Nous avons été nourris de cette Histoire et je vous rappelle que, au moins deux conciles - il est vrai qu'il y en a eu beaucoup à l'époque - mais de grande importance ont porté son nom. Au-delà des conciles anciens, qui touchaient au domaine religieux, que de conciles politiques qui ont marqué, notamment, l'évolution du mouvement ouvrier international !\
A la Renaissance, Bâle a inspiré bien de grands esprits ou de grands créateurs, d'Erasme à Holbein. Elle a donné au XVIIIème siècle les Euler et les Bernoulli. Aux XIXème et XXème siècles, elle a fait bénéficier l'Europe de ses capacités commerciales, industrielles et scientifiques. Je crois même qu'il passe dans cette ville un certain air qui donne aux usages, aux traditions, aux modes d'expression une forme d'esprit significative qui ajoute comme une sorte de finesse et de légèreté aux solides assises de cette ville et de ce pays.
- Il vous a fallu, tout au long de cette histoire, comme à d'autres, beaucoup de patience, de volonté, pour préserver votre indépendance, votre personnalité qui s'affirme aujourd'hui avec tout son éclat, comme tous vos voisins, contre les Armagnacs même autant que je m'en souvienne, contre les Autrichiens, mais je ne vais pas réveiller de vieilles querelles, qui voulaient vous soumettre à leur féodalité. Puis, pour aller jusqu'au bout, contre les Français eux-mêmes qui pensaient pouvoir vous entraîner - imaginez ! - dans leurs -entreprises révolutionnaires.
- Vous avez fort bien résisté, il faut le dire, au-delà peut-être du souhaitable, parfois, et vous avez, en entrant dans la Confédération, en 1501, choisi la voie de la sagesse et de la sécurité. Sorte d'intermédiaire ou bien de trait-d'union, vos bons offices ne se comptent pas dans l'histoire de la Confédération et je crois que vous n'êtes pas pour rien dans la façon dont on a posé les fondements de la neutralité helvétique.
- Les relations entre Bâle et la France sont, je le crois, bonnes. Elles sont anciennes, je viens de le rappeler, elles n'ont pas toujours été excellentes, çà ce sont les concurrences que l'Histoire nous apprend, concurrences aujourd'hui dominées de telle sorte que ces relations sont de plus en plus étroites.
- Pendant des siècles, vos ancêtres partaient travailleur plutôt faisaient travailler des ateliers de textiles un peu partout. Vous inauguriez déjà une période où la Suisse, en tant que telle, s'illustrerait parmi les pays dont les investissements sont les plus forts et les plus productifs dans le monde. Eh bien ! vous, vous faisiez travailler des ateliers de textiles dans les Flandres mais aussi, plus au coeur encore de chez nous, dans le Vivarais.
- Tous les persécutés d'Europe et, notamment, les Huguenots, chassés de France, ont trouvé chez vous un asile. Je crois qu'ils vous ont apporté beaucoup de choses en retour, indépendamment même de la connaissance de certaines techniques - je pense au tissage de la soie, la passementerie - ils vous ont apporté quelque chose de plus encore, qui vient du fond même de l'esprit et de la capacité à souffrir pour ce en quoi l'on croit.\
De nos jours, engagés dans la grande industrie, vos hommes d'affaires, vos banquiers, avisés, raisonnables, comme ceux de la Renaissance, ont fait éclater les limites contraignantes des frontières et attirer vers eux une activité économique très grande. D'ailleurs, c'est un des sujets que nous avons souvent à traiter, de nombreux frontaliers en vivent et, parmi eux, nombre de mes compatriotes français. Pour ce qui touche l'ensemble de la Suisse on les dénombre à 40000 mais je crois que, pour Bâle, c'est déjà 12000.
- Echanges très denses, symbioses avec les régions voisines de Franche-Comté et d'Alsace, les moyens de transport s'améliorent, je pense que nos conversations nous ont permis de constater que certains projets allaient entrer tout à fait dans les faits : aéroport (quelques détails encore à régler), autoroute (quelques kilomètres à poursuivre), tout cela est à notre portée aissément et on n'avait même pas besoin de mon voyage pour régler ces choses. Elles sont dans la -nature même du mouvement de notre temps.
- Je suis heureux de constater que nos voisins, qu'ils soient du Pays de Bade ou de la Haute-Alsace, qu'ils viennent ici pour apporter leurs produits maraîchers ou pour profiter des richesses de vos musées, retrouvent chez vous les racines culturelles, historiques, économiques, identiques aux leurs £ identiques et cependant différentes : se sont celles de l'Europe, avec les complémentarités que je célébrais hier soir.
- Je souhaite que ces contacts se renforcent. C'est une des raisons de ma présence parmi vous. Je suis flatté d'être le premier chef de l'Etat français à me trouver dans cette ville qui appartient au mémorial le plus important d'une grande culture, d'une grande civilisation qui est celle de l'Europe et, particulièrement, de l'occident de l'Europe dans lequel on retrouve l'Europe Centrle, bien entendu, à-partir de Milan jusqu'à Vienne et Berlin. On retrouve les linéaments, les formes d'expression qui complètent parfaitement l'harmonie du tout.
- Je souhaite tout le succès possible à la communauté de travail "regio basiliensis" qui, depuis 1963, poursuit avec conviction l'oeuvre de planification et de promotion du développement de l'espace géographique compris entre le Jura, les Vosges et la Forêt Noire. J'ai été sensible à la décoration de cette salle, dans cet hôtel de ville si bien rénové qui a sans doute nécessité beaucoup de soins.\