20 juin 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, à la télévision espagnole, Paris, dimanche 20 juin 1982.

QUESTION.- Monsieur le Président, dans quelques jours vous faites votre premier voyage officiel en Espagne. Cela fait quelques jours, dans la conférence de presse, vous avez parlé que les relations malheureusement n'étaient pas chaleureuses. Qu'est-ce que vous envisagez de faire pour les améliorer ?
- LE PRESIDENT.- Tout d'abord y aller. Si je vais en Espagne, c'est parce que je tiens en grande estime et amitié personnelle le peuple espagnol, parce que l'effort fait dans ce pays pour la reconquête de la démocratie, parce que j'apprécie beaucoup le rôle rempli par le roi d'Espagne et parce que j'aperçois tout le travail accompli par ce peuple dans la difficulté, comme nous tous, mais qui tout de même a marqué de grandes réussites sur bien des -plans. Je vais dire au peuple espagnol que je viens ici en ami, qu'il existe des problèmes difficiles à règler très antérieurs à ma propre responsabilité. Les politiques de l'Espagne et de la France ont de la peine à s'accorder sur quelques points sensibles, mais tout est dans la volonté politique et dans la disposition d'esprit, le reste suivra. Je serai bientôt un visiteur amical en Espagne et j'espère saisir cette occasion pour parler franchement et clairement des problèmes qui nous préoccupent.
- QUESTION.- Il y a quelques mois, vous avez été une des personnalités mondiales à défendre la démocratie en Espagne dans des moments difficiles pour nous. Mais, maintenant, le peuple espagnol, l'opinion publique, les partis se sentent un peu vexés par les deux dossiers brulants c'est-à-dire ETA et l'affaire de l'entrée de l'Espagne dans le Marché commun `CEE`. Vous pensez qu'on pourra arriver à un accord ?
- LE PRESIDENT.- La France pourrait se sentir un peu vexée de la façon dont on la traite aussi car si la France doit aborder avec le plus grand sérieux le problème que nous pose l'Espagne dans un esprit de compréhension, il n'en reste pas moins que la France est souvent responsable d'événements qui dépendent de la politique espagnole.\
QUESTION.- D'un autre côté, il y a plusieurs ministres qui vous accompagnent, notamment l'éducation, sans doute aussi la recherche, je crois. Alors, ça veut dire que vous êtes aussi notre deuxième client, vous êtes notre troisième fournisseur. Il y a des -rapports, l'espagnol c'est la deuxième langue pour la France et vice et versa, il y a 450 000 Espagnols. Tous ces points vont être approfondis.
- LE PRESIDENT.- Je le souhaite. Il y aura des conversations bilatérales entre les ministres homologues d'Espagne et de France et il ne faut pas négliger cet aspect des choses. D'ailleurs, nous aurions encore beaucoup plus à nous dire. Mais je ne peux pas venir avec tout le gouvernement. J'ajoute que j'espère tirer le meilleur des conversations que j'aurai d'abord avec Sa Majesté le roi d'Espagne, ensuite avec le gouvernement. Je rencontrerai aussi d'autres personnalités et en particulier des membres de l'opposition. C'est bien normal, je le fais dans tous les pays dans lesquels je me rends. J'essaierai de recueillir le meilleur de leurs avis. Je me rendrai aussi, je crois, à l'hôtel de ville de Madrid. Je pourrai donc revenir en France avec une vue plus complète de ce qui est le fond des préoccupations espagnoles en dehors des polémiques inutiles.\
QUESTION.- Monsieur le Président, on connaît votre vocation atlantiste, celle de la France. l'Espagne vient de rentrer dans l'OTAN. Qu'est-ce que vous en pensez ?
- LE PRESIDENT.- Je ne suis pas particulièrement atlantiste. Je suis loyal au-sein de l'Alliance à laquelle appartient la France déjà depuis bien longtemps. Tous mes prédécesseurs ont maintenu la présence de la France dans l'Alliance Atlantique et c'est une erreur de penser que nous avons quitté cette alliance militaire défensive parce que nous avons quitté le commandement intégré `OTAN`. Je suis constamment obligé de corriger cette erreur d'appréciation, donc nous sommes des alliés loyaux, notre sécurité repose sur deux assises : la première est notre capacité nationale de défense par la stratégie de dissuasion et la détention de la force nucléaire £ la deuxième, c'est l'alliance et, bien entendu, nous en connaissons les obligations mutuelles et c'est une chose à laquelle la France en tant qu'Etat a soucrit. C'est vous dire l'intérêt que représente la présence de l'Espagne dans l'Alliance Atlantique.
- Quant à l'appréciation sur la politique étrangère dans les -rapports de l'Est et de l'Ouest, quant à l'appréciation de la politique américaine en Amérique latine, en Amérique centrale, dans le tiers monde, quant à l'appréciation de la politique économique et monétaire, je me sens bien peu atlantiste. Je me sens Français, qu'est-ce que vous voulez, et aussi Européen. Et quand il le faut, c'est-à-dire lorsqu'il s'agit de défendre une certaine conception de la liberté, de la démocratie - oui, je me sens très à l'aise dans l'Alliance à partir du moment où je préserve l'essentiel, c'est-à-dire l'idée que la France se fait de ces grandes idées..
- QUESTION.- Les idées françaises, les idées espagnoles vers l'Amérique latine comme pays méditerranéen ou vers les pays africains, on peut faire en commun un des plans envisagés ?
- LE PRESIDENT.- Sûrement, c'est un des sujets non pas pour échapper aux sujets difficiles mais tout de même il y a tellement de grands, de vastes domaines politiques, économiques, culturels où l'Espagne et la France doivent avoir une démarche commune où elles peuvent l'avoir, où ce serait même une présence considérable dans le monde. Il faut en parler aussi, pas simplement s'accrocher, se quereller sur un certain nombre de points qui ne sont pas négligeables, je le répète, mais que beaucoup de sagesse parviendra à dominer.\