12 octobre 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à FR3, à l'occasion de son voyage en Lorraine, Metz, lundi 12 octobre 1981

QUESTION.- Vous avez accepté notre invitation et disons qu'à travers nous la Lorraine vous souhaite la bienvenue. Tout d'abord j'ai remarqué une chose : c'est que par-rapport à vos prédécesseurs, il y a un changement de style radical. Finies les grandes messes, finie la grande lithurgie. Aujourd'hui c'est le travail, les réunions de travail concrètes.
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas par gout de me distinguer et je ne répugne pas aux grands rassemblements. Il est important qu'il y ait parfois lithurgie, surtout lorsqu'il s'agit d'affaires nationales. Mais enfin, ce voyage en Lorraine qui est le premier voyage organisé dans-le-cadre de ma fonction de Président de la République - première visite qui en annonce d'autres, celle du Premier ministre, celles des membres du Gouvernement, peut-être, sans doute irai-je dans d'autres régions, au-cours de l'année 1982 - s'inspire en effet d'une volonté d'aborder les problèmes difficiles qui aujourd'hui assaillent cette région de Lorraine d'une façon pratique, concrète. J'ai besoin d'abord d'entendre, d'entendre les élus, les responsables de tous ordres, de savoir vraiment comment ils ressentent leurs problèmes et puis aussi quelles sont leurs propositions. Nous sommes, voyez-vous décidés tous autour de moi et moi-même à engager, dans tous les domaines, le dialogue.
- QUESTION.- Ca veut dire qu'on était peut-être un peu trop habitué à voir les Présidents de la République arriver avec des promesses sans écouter. Là c'est vraiment le sens inverse.
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas dit cela. Ce serait peut-être injuste. En-tout-cas, pour ce qui me concerne, j'entends d'abord écouter les autres, avant de me prononcer. Sans doute ai-je connaissance des dossiers, sans doute ai-je par les membres du Gouvernement une possibilité de savoir ce qui se passe dans chaque région de France. J'en suis informé mais, je le répète, rien ne remplace ce contact direct, celui que je suis en train de vivre, comme cela, au-cours de ces deux jours, aujourd'hui et demain, et ce n'est que demain soir que je commencerai à tirer les conclusions de ce voyage.\
QUESTION.- Alors vous parliez des problèmes, monsieur le Président, aujourd'hui 72 000 demandes d'emplois non satisfaites en Lorraine, il y en avait 49 000 l'été dernier et on en prévoit - ce qui est inquiétant - 90 000 dans peu de temps. Il faut faire quelque chose et vite.
- LE PRESIDENT.- Bien entendu, je pense que vous avez porté attention au discours qui a été prononcé par M. Pierre MAUROY, le Premier ministre, devant l'Assemblée nationale, dans lequel il a développé le plan gouvernemental de lutte pour l'emploi, contre le chômage, l'ensemble des mesures qui sont déjà mises en oeuvre par les différents ministres responsables. C'est vrai que j'ai fixé la lutte contre le chômage pour objectif principal à l'action du Gouvernement. Et dès le premier instant, dès lors que ce Gouvernement et le précédent, le premier Gouvernement MAUROY ont été mis en place, la lutte contre le chômage a été pour nous comme une obsession.
- Mais il fallait d'abord s'attaquer à des réformes de structures : la décentralisation, c'est une façon pour vous Lorrains, d'examiner vous-mêmes tout ce qu'il est possible de faire sur place, bien entendu pas seuls, aidés par l'Etat et avec le -concours de la nation toute entière. C'est un élément très important pour aborder le problème du chômage. Et puis ensuite l'ensemble des projets touchant à des nationalisations, à la création d'un vaste secteur public, à la possibilité de sociétés nationales d'entrainer l'ensemble de notre industrie, de la restructurer, de la planifier, bref de disposer d'un corps de bataille pour gagner le guerre économique. Cela participe de la lutte contre le chômage. Et puis, toute une série de mesures particulières que vous connaissez. Mais si on ne les connaît pas, j'aurai l'occasion d'en reparler demain, s'il le faut, à ceux qui m'entendront à Metz, lors de la discussion devant le conseil régional.\
QUESTION.- Monsieur le Président, il y a eu un changement le 10 mai, une -majorité de Français s'est prononcée pour ce changement et il y en a qui s'étonnent aujourd'hui que dans les faits ne se traduise pas ce changement, je pense notamment aux mineurs de fer.
- LE PRESIDENT.- Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?
- QUESTION.- Eh bien que certaines mines ont dû être fermées.
- LE PRESIDENT.- Ce que je veux dire, c'est que pour l'instant il n'y a pas du tout de chômage qui soit dû à l'action du Gouvernement de M. Pierre MAUROY, absolument pas. Il y a une situation que nous avons recueillie, comment dirai-je, de plein fouet, au mois de mai, au mois de juin, avec les difficultés monétaires dont nous avions hérité. Une situation économique que chacun s'accorde à reconnaître comme délicate dans le domaine de la sidérurgie en-particulier, dans le domaine du textille. Votre région de ce point de vue a été particulièrement frappée par la crise et par l'absence de solutions dans les années qui ont précédé, et nous, il nous faut traiter tout cela à la fois.
- Un certain nombre de dispositions qui auraient dû être prises il y a maintenant quelques mois, ou quelques années font que, aujourd'hui, nous sommes obligés de redresser une situation et on ne la redresse pas d'un coup. Bien entendu, je demande qu'on m'informe chaque fois qu'une entreprise sera menacée de fermeture. Le Premier ministre a créé auprès de lui une nouvelle institution, un organisme qui doit lui permettre, avant même qu'il y ait quelque licenciement ici où là en France, d'être informé : est-ce qu'il y a des refus de crédits, est-ce que les banques ont fermé le robinet comme on dit ? Est-ce qu'il y a de la mauvaise volonté ou de l'incompréhension administrative ? Est-ce que un certain patronat n'a pas compris son devoir ? Est-ce que vraiment il est impossible de faire autrement ? Cet examen sera fait au-niveau gouvernemental chaque fois qu'il y aura menace de fermeture. Et j'applique ce raisonnement aussi bien aux mines de fer. Et je pense que dans la proposition qui est la mienne, ce voyage en Lorraine ne sera pas inutile dans la façon d'aborder le problème des mineurs.\
QUESTION.- A propos du nucléaire, monsieur le Président, il y a ici en Lorraine la centrale nucléaire de Cattenom et il est pratiquement certain aujourd'hui que les tranches 3 et 4 vont être réalisées. Alors les observateurs disent, en mettant un "paquet sur le nucléaire" est-ce que cela ne va pas se faire au détriment de la relance charbonnière auquel vous êtes très sensible.
- LE PRESIDENT.- Non, vous savez le plan que j'ai développé comme candidat, que j'entends mettre en oeuvre comme Président, vise d'une part à maintenir un volant important de nucléaire, j'ai toujours dit cela pendant toute ma campagne. J'ai demandé simplement qu'il y ait une pause pour que le Gouvernement ait le temps de réfléchir et de mettre ensuite un programme à la disposition de l'Assemblée nationale. C'est ce qu'il faut, c'est ce qu'il a fait les jours précédents. Mais, il y a un certain volant de nucléaire qui permet d'assurer l'indépendance énergétique de la France.
- D'autre part le réveil de ce qu'on appelle les énergies traditionnelles, en-particuliers le charbon. Ces énergies traditionnelles peuvent être aujourd'hui réveillées par des moyens audacieusement modernes : il y a des techniques modernes qui doivent être mises à la disposition de la Lorraine.
- j'ai également fait -état naturellement, ça tombe sous le sens, de ce que l'on appelle les énergies renouvelables, ou les énergies nouvelles et à cet égard, j'entends doubler, peut-être même tripler la mise par-rapport aux propositions des gouvernements précédents.
- Et enfin, je veux engager une audacieuse politique d'économie d'énergie. Ce sont ces quatre éléments qui permettront à la France d'assurer son indépendance énergétique.
- Alors l'élément nucléaire naturellement est primordial, vous m'avez parlé de Cattenom. L'aspect le plus original des décisions gouvernementales est celui-ci : désormais les élus locaux, les gens qui vivent sur place, représentés par leurs élus diront leur mot. Les conseillers municipaux, la commune, le canton, le voisinage, seront consultés : ils diront leurs raisons, il s'expliqueront. Et de même les conseils généraux, les conseils régionaux, les assemblées de toutes sortes. Ce qui fera que si le Gouvernement doit, en fin de compte, décider, selon l'idée qu'il se fait de l'intérêt national, ce sera généralement avec le consentement populaire. En-tout-cas le consentement des élus dont le devoir est d'interprêter justement la volonté populaire. Et s'il arrive dans certains cas où le devoir national s'impose, eh bien le Gouvernement prendra ses responsabilités, ce sera l'exception. Et pour Cattenom nous entendons procéder de cette façon.\
QUESTION.- En parlant de relance charbonnière, monsieur le Président, à vous dire la vérité on a un peu peur en Lorraine, on a peur que le Nord soit privilégié par-rapport à notre région. Il y a eu quelques déclarations contradictoires entre M. Edmond HERVE `Ministre chargé de l'Energie` et le Premier ministre.
- LE PRESIDENT.- Diable, je n'ai pas relevé, peut-être ai-je été moins attentif que vous c'est bien normal aux relations entre le Nord et la Lorraine. Ce que je peux vous dire, c'est que pour toutes les mesures d'accompagnement de la production charbonnière et, notamment, pour la structuration du -cadre de vie des zones minières, j'ai précisément déjà décidé d'intervenir de telle sorte que la Lorraine dispose de son dû. Et à cet égard sans rien retirer bien entendu à la région du Nord qui a tant de besoins, je crois qu'il est nécessaire de rétablir un certain équilibre. Cela sera fait.
- QUESTION.- Monsieur le Président, quand on est Président de la République et que l'on examine la Lorraine, le textile, la sidérurgie, le charbon, ce sont des endroits très sensibles au-niveau de l'emploi. Est-ce que ce n'est pas une poudrière, un chaudron social ?
- LE PRESIDENT.- Eh bien, on se dit qu'il était temps que nous arrivions. On se dit que si cela avait dû continuer comme ça, où en serait-on l'année prochaine ? Et l'on se dit quel travail devant nous, quelle responsabilité ! Mériter la confiance des Français, la justifier et redresser l'économie française, ce qui est un facteur essentiel de notre indépendance nationale, oui c'est une immense tâche fort difficile. Voilà ce que l'on se dit. Mais je me sens avec ceux qui m'entourent tout à fait disponible pour m'attaquer avec énergie au problème de la sidérurgie, on l'a déjà fait, c'est bien commencé £ au problème du textile, on l'a déjà fait, c'est bien commencé, et je m'en expliquais ce matin à Epinal et à Saint-Dié. Et ainsi de suite. L'ensemble des industries de cette région sont frappées mais ne sont pas frappées à mort. Il y a suffisamment de réserves et de chance. Et alors c'est vers les Lorrains que je me tourne et je dis avec celles et ceux qui vivent dans ce pays : "tous les espoirs sont permis" parce qu'ils ont la volonté et la capacité. A nous bien entendu, à l'Etat de mettre les moyens à la disposition de tous ceux qui veulent redresser la Lorraine et redresser la France.\