17 février 2015 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur la profonation du cimetière juif de Sarre-Union et sur la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, à Sarre-Union le 17 février 2015.


Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de l'Assemblée nationale,
Madame, messieurs les ministres,
Mesdames, messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Maire,
Monsieur le président du Consistoire israélite central,
Monsieur le président du CRIF,
Monsieur le Grand Rabbin,
Messieurs les représentants des cultes de notre pays,
Mesdames, messieurs.
Je tenais à être ici avec vous, parmi vous, pour exprimer l'émotion que notre pays a ressentie lorsqu'il a appris qu'un acte odieux s'était ici marqué, par une profanation.
D'autant que cet acte s'est produit au moment même où, à Copenhague un homme a été abattu devant une synagogue parce qu'il était juif.
Nous avons ici le devoir de nous recueillir, nous l'avons fait devant ces tombes renversées £ devant ces sépultures qui avaient été brisées £ devant ces caveaux ouverts, et le monument aux victimes de la déportation qui lui-même avait été défiguré.
Ce n'est pas la première fois que ce lieu du judaïsme alsacien est ainsi dévasté £ déjà en 1988, puis plus tard en 2001, des dégradations avaient été commises mais jamais avec cet acharnement. Jamais avec cette intensité. Jamais avec cette frénésie.
La justice dira ce qui relève de l'inconscience, de l'ignorance ou de l'intolérance. Mais le mal est d'ores et déjà fait. Parce que ce qui nous a envahi lorsque nous avons appris cette profanation, ce saccage, c'est un sentiment de honte. La honte une fois encore, une fois de trop, que la France ait à supporter une telle blessure.
Le cimetière de Sarre-Union témoigne de la présence ancienne, continue, des juifs d'Alsace sur ce sol depuis plusieurs siècles. Ce cimetière restitue, avec la mémoire des femmes et des hommes qui reposent ici, le lien qui unit les juifs à la République.
J'ai retrouvé ce que disait le Grand Rabbin de Strasbourg en 1848 quand a été proclamée la République. « Le drapeau qui flotte aujourd'hui sur le parvis national de la République française, disait-il, c'est le symbole des droits de l'humanité que nos prophètes ont proclamé courageusement ». Comme pour marquer cet attachement. Attachement qui ne s'est jamais démenti par delà les épreuves que notre pays a pu traverser.
Aussi, je sais que les familles, j'ai entendu leur témoignage, je sais que les familles ont pu ressentir douloureusement cette nouvelle qui leur est parvenue, que les tombes de leurs parents avaient été saccagées. La douleur qu'elles ont éprouvée devant une telle agression est sans limite. Une fois encore, les mêmes interrogations sont revenues en apprenant le renouvellement d'un tel acte ici dans ce cimetière. Comment comprendre l'innommable, l'injustifiable, l'insupportable !
Le pire aurait été, pour les plus hautes autorités de l'Etat, de traiter l'atteinte faite à ces morts, comme un simple fait divers. Un de plus. Non, car derrière cet acte, il ne s'agit pas d'un fait divers. Il ne s'agit pas d'un incident. Il ne s'agit pas d'une banale agression. Derrière ce qui s'est produit ici, c'est-à-dire dans ce cimetière, il y a l'expression des maux qui ronge notre République.
La République c'est le respect, le respect que chacun d'entre nous doit à autrui, quelle que soit son origine, quelle que soit sa religion, quelles que soient ses convictions. La République, c'est le respect que chaque citoyen doit à la loi et aux institutions qui la représentent. La République, c'est le respect dû aux morts. Il n'est sans doute pas de sentiment plus enraciné en nous, que le souvenir des défunts.
S'attaquer à un cimetière, ce n'est pas simplement s'en prendre aux morts, c'est s'en prendre aux vivants, dans la relation intime qu'ils entretiennent avec leurs parents disparus.
Profaner, c'est insulter toutes les religions. C'est souiller la République. La République, la nôtre, la vôtre, ne peut pas accepter la haine, l'antisémitisme, et le racisme. L'antisémitisme de notre temps ne prend pas seulement les formes hideuses des gestes assassins, ceux qui ont frappé à Paris, à Copenhague.
Il y a aussi l'antisémitisme du quotidien, les insultes, les cris proférés au milieu de la foule, les inscriptions sur les synagogues, les agressions commises contre ceux qui portent la kippa sur le chemin qui les conduit à l'office £ il y a les menaces lancées sur internet £ il y a les théories du complot £ le délit des crimes £ les insinuations. Voilà toute cette boue qui se déverse depuis trop d'années sur notre pays. Notre pays, la patrie des Droits de l'Homme.
Dans notre pays, et en disant cela, je mesure ce que nous pouvons ressentir les uns et les autres £ en ma fonction de chef de l'Etat encore davantage, parce que cette réalité fait mal, parce qu'elle nous touche tous.
Le nombre des actes, les menaces antisémites a plus que doublé l'année dernière par rapport à 2013. Il en va, hélas, de même pour tous les faits racistes, pour toutes les atteintes à la liberté de conscience. Liberté de conscience qui est le fondement même de la laïcité.
Le nombre des actes dirigés contre les Musulmans a atteint au cours du seul mois de janvier, le niveau observé durant toute l'année précédente, 33 mosquées ont été concernées en un mois. Toutes les religions sont concernées par ces profanations.
J'ai retrouvé un chiffre, il fait mal lui aussi : depuis 2008, le nombre de profanation de sépultures a augmenté de 40 %. Tous les ans, ce sont plusieurs dizaines de cimetières qui sont dégradés et tous les cultes qui sont visés. Comment comprendre cette bêtise, cette folie, cette perte de tout repère et qui, finalement, doit nous faire poser la question : comment, oui comment des jeunes, des moins jeunes peuvent-ils faire des actes aussi insensés dans la République française ?
On peut chercher toutes les explications, et il en faut. Mais il faut aussi des réponses. Et la fermeté est, dans ces circonstances, la seule réponse.
Quiconque persistera en France, à commettre des actes ou à proférer des messages de haine et d'incitation à la violence verra se dresser contre lui la République et ses lois. Quiconque se rendra coupable d'actes antisémites ou racistes sera inlassablement recherché, interpellé et condamné.
Mais je veux aussi, m'adressant à vous, vous dire que dans la République, aucun Français, quelles que soient ses convictions, ne doit avoir peur. La République, elle est une et indivisible, elle ne fait pas de distinction entre ses enfants. Elle est généreuse, elle est bienveillante, elle les accueille tous. Mais la République, elle est aussi exigeante et elle fait en sorte que chacun doive accepter les règles de la vie en commun.
Je connais le sentiment d'inquiétude qui traverse les Français de confession juive. Je sais qu'ils écartent, dans leur immense majorité, la perspective de quitter leur patrie. Ils sont Français, ils aiment la France et leur place est naturellement en France. Mais je sais aussi que certains se demandent quand cela s'arrêtera t-il ? Ces actes, ces paroles, ces menaces.
Je sais que certains disent ouvertement « mais est-ce que l'on peut vivre encore en paix dans notre pays ? ». Et beaucoup posent la question : « qui nous protègera encore contre ceux qui nous veulent du mal ? ».
Alors une fois encore, je veux apporter la réponse de la République. Elle vous défendra de toutes ses forces parce qu'à travers vous, c'est elle qui est visée, ses valeurs, ses principes, sa promesse. La France est votre pays.
La pire erreur que nous pourrions commettre, serait de croire que les attaques qui visent les Français de confession juive ne nous concernent pas tous. Tous les actes de haine nous concernent directement.
C'est pourquoi j'ai voulu faire de la lutte contre le racisme et de l'antisémitisme une grande cause nationale. Un plan sera présenté dans les semaines qui viennent. Il reposera sur quatre piliers essentiels : sanctionner, éduquer, transmettre les valeurs de la République et éradiquer les messages de haine, notamment sur internet.
Après les très graves évènements qui se sont produits le 11 janvier, une protection des lieux de culte et des écoles a été activée par le ministre de l'Intérieur. Je m'interromps une seconde pour le maire de Sarre-Union, qui a été tellement éprouvé ces jours derniers et qui a eu, à chaque fois, une expression particulièrement juste pour parler des évènements qui se sont produits dans sa commune, et je vous demande de lui rendre, ici, l'hommage qu'il mérite.
(Applaudissements)
Oui depuis le 11 janvier, une protection des lieux de culte et des écoles a été activée par le ministre de l'Intérieur. Ce dispositif sera maintenu autant que nécessaire et au niveau le plus élevé. Mais je pose cette question : « faudra t-il que l'on mette des militaires devant des cimetières, que l'on mette des policiers, des gendarmes partout auprès des lieux de culte ? ».
Il nous faut donc réagir et nous ne pouvons pas simplement avoir une réponse qui serait celle de multiplier les présences des forces de sécurité. C'est une longue lutte que nous devons engager. Elle passe par l'éducation, forcément par l'éducation, qui est le seul moyen d'éviter l'ignorance et la propagation de la haine.
Mais comme l'a dit le président du Consistoire, la République n'est pas un principe abstrait. Ce n'est pas simplement des engagements, des mobilisations, des décisions qui relèvent des pouvoirs publics, c'est aussi la participation de chacun qui doit être ici sollicitée.
Nous avons montré le 11 janvier, dans toutes les manifestations à travers la France, ce que notre pays est capable de faire, de se lever, de se mobiliser au nom de ces valeurs, d'écarter la peur, de lutter contre la haine. Et bien c'est ce même esprit d'unité, de rassemblement que je veux ici, une fois encore, devant ce cimetière, convoquer. C'est le sens de la cérémonie qui est un moment de recueillement oui, de réparation nécessairement, mais aussi de sursaut national, pour qu'au-delà de ce lieu ici profané, nous soyons tous conscients de la lutte, du combat que nous devons engager. Nous devons le faire avec les principes de notre République, avec la laïcité, avec l'école, avec les règles aussi de la fermeté républicaine, mais nous devons le faire aussi, avec l'engagement qui est celui de tout citoyen dans la République.
Je veux terminer par ce que nous disait François MAURIAC pendant la seconde guerre mondiale, quand il s'interrogeait lui aussi, sur ce qu'avait été capable de faire l'homme contre l'homme. Il disait : « quoi que nous observions de honteux autour de nous, ne nous décourageons pas de faire crédit à l'homme. Il y va de notre raison de vivre ». Oui, ici devant ce cimetière, ici devant les habitants de la commune de Sarre-Union, ici devant des hommes et des femmes de confession juive qui sont meurtris, ici, devant des citoyens de toute religion, de toute conviction, je veux vous dire que la République est forte, que la République sera plus forte que la haine, que la République est grande, elle est grande par ses institutions, elle est grande par ses lois, elle est grande par son histoire, elle est surtout grande lorsque les citoyens se lèvent comme ils l'ont fait, comme vous le faites encore aujourd'hui pour dire vive la République et vive la France !