7 juin 2013 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur les relations franco-japonaises, à Tokyo le 7 juin 2013.

Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de la Chambre des représentants,
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Vous me faites grand honneur de maccueillir, ici, devant le plus ancien Parlement dAsie. Votre démocratie a longtemps cheminé avec la nôtre, Japon et France, ensemble, autour des valeurs de liberté, de respect et de reconnaissance.
Il y a eu des hommes, entre la France et le Japon, qui ont communiqué à toutes les époques. Je pense au prince Saïonji Kinmochi, grand ami de Georges Clemenceau, lui-même admirateur du Japon. Je pense aussi à Nakae Chômin : il fut élu lors des premières élections législatives au Japon en 1890. On le surnommait jimagine que cétait un compliment « le Jean-Jacques Rousseau de l'Orient », parce qu'il ouvrit une école où l'on enseignait la philosophie des Lumières. La philosophie des Lumières na pas de frontières, elle nappartient à aucun peuple, elle est une valeur universelle, elle proclame que chacun peut accéder à la liberté et à la culture sans quil soit besoin de faire pression sur lui.
Paul Claudel un grand poète français qui fut aussi ambassadeur de mon pays au Japon et qui connaissait donc bien là où nous sommes avait eu cette phrase pour décrire la relation entre nos deux peuples. Il disait que nous étions, ensemble, mus par une « sympathie instinctive ». Un siècle plus tard, la « sympathie instinctive » est devenue une amitié solide.
Elle a conduit le peuple français à exprimer sa solidarité envers le Japon lors de la tragédie du 11 mars 2011. Encore aujourdhui, ici à cette tribune, je vous exprime au nom du peuple français tout notre soutien et toute notre admiration par rapport à la force de caractère qua eu le peuple japonais en faisant face à cette tragédie. Nous sommes aujourdhui encore à vos côtés pour travailler ensemble, gouvernement français et gouvernement japonais, pour participer à la reconstruction et à la sûreté des installations.
Ce qui nous rapproche, au-delà de lhistoire, cest aussi la culture : la vôtre a toujours fait lémerveillement de la France. Lannée dernière, nous avons été fiers daccueillir lors du salon du Livre à Paris, Kenzabur? ?e, prix Nobel de littérature. Nous lisons les auteurs japonais, nous regardons avec émerveillement les architectes japonais et nous avons aussi une inclination pour le cinéma japonais qui a été, une nouvelle fois, primé à Cannes, cette année.
Nous sommes fiers daccueillir 700 000 touristes japonais, chaque année en France, même si nous souhaiterions quils soient encore plus nombreux. Je lance aussi à cette tribune cet appel : venez visiter la France - et aux Français : venez visiter le Japon.
Ce qui nous unit la culture, lamitié, jai évoqué lHistoire, cest-à-dire la politique. Nous avons établi nos relations diplomatiques il y a 150 ans. Dès lère Meiji, la France a souhaité contribuer à la modernisation du Japon cest un ingénieur français, Léonce Verny, qui a dirigé la construction du premier arsenal moderne du Japon.
La première entreprise française venue travailler au Japon, cest Air Liquide et cétait en 1905. Ensuite, au fur et à mesure des années et notamment après 1945, la France et le Japon ont noué des relations fructueuses sur le plan économique, sur le plan politique.
François Mitterrand fut, en 1982, le premier chef dEtat français à se rendre en visite dEtat au Japon. Il sest lui-même exprimé devant la Diète japonaise. Son successeur, Jacques Chirac, éprouvait une passion devenue légendaire pour le Japon. Mon prédécesseur, Nicolas Sarkozy, y a aussi effectué un voyage. Bref, de président en président, dalternance en alternance, la France a toujours su maintenir le cap de la relation entre nos deux pays.
Mais aujourdhui je souhaite que nous passions à une nouvelle phase pour ouvrir un partenariat exceptionnel entre la France et le Japon, ce dont nous avons convenu, aujourdhui, avec le Premier ministre de votre pays.
Un partenariat, dabord pour la paix et la stabilité.
Je n'ignore rien des tensions qui existent dans la région et jen suis préoccupé. Je souhaite qu'elles puissent se régler par l'apaisement, le dialogue et le respect du droit international qui doit conduire les Etats à avoir cette seule référence pour régler leurs différences.
Il convient aussi, à un moment, de mettre fin aux séquelles du passé qui peuvent être douloureuses. Puis-je me permettre de citer lexemple de lEurope. L'Europe a aussi connu au cours du 20ème siècle des tragédies. Nous avons été capables de les dépasser. Cette année, par exemple, la France et lAllemagne, qui sétaient tant déchirées, tant combattues, ont célébré le cinquantième anniversaire de leur traité damitié. Hier, ennemis héréditaires, nous sommes aujourd'hui solidaires pour donner à lEurope sa cohésion, son unité et sa force. Je suis convaincu que cet exemple peut servir à dautres dans le monde entier.
Mais la France et le Japon ont un rôle éminent à jouer pour la paix.
La France, parce quelle est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies £ le Japon parce quil doit devenir, lui-même, membre permanent du Conseil de sécurité et parce que cest une nation pacifique.
Depuis plus de vingt ans, votre pays a fait le choix de contribuer aux opérations de maintien de la paix, partout dans le monde. Je sais ce que vous avez fait encore en Afrique, en Côte dIvoire notamment. Chaque fois, il est fait appel à vous, y compris par la générosité du peuple japonais, pour venir en soutien à des pays qui peuvent connaître la famine ou la désolation des guerres.
Je sais aussi que les Japonais ont été durement touchés et éprouvés par la tragédie dite d'In Amenas en Algérie une sanglante prise dotages où les Français aussi ont pu connaître des victimes lors du dénouement dramatique. Nous devons agir ensemble pour lutter contre le terrorisme. Et pour faire en sorte que nous puissions prévenir un certain nombre de catastrophes.
Cest le sens de lintervention de la France au Mali en Afrique de lOuest. Je remercie le gouvernement japonais de nous avoir appuyés lorsque jai eu à prendre cette responsabilité. Je ne lai pas engagée simplement au nom de la France, mais au nom de la communauté internationale parce que nous sommes tous concernés par le terrorisme. Aujourdhui, cette opération se termine, lONU va se substituer à la France et aux troupes africaines. Nous allons pouvoir garantir au Mali sa sécurité.
Mais le terrorisme nest pas simplement que dans un pays. Il sest maintenant glissé dans toute lAfrique et bien au-delà. Nous devons donc agir. Agir dabord en donnant davantage de moyens au développement de lAfrique ce que vous avez-vous-même engagé depuis longtemps.
Mais il y a aussi un autre fléau, au-delà du terrorisme. Cest celui de la prolifération nucléaire. Je le réaffirme ici : l'attitude de l'Iran et de la Corée du Nord ne peut pas être acceptée. Car il n'existe pas de plus grand danger pour la paix que la dissémination de larme nucléaire. Avec vous, nous rappellerons autant que nécessaire à lIran le respect de ses obligations internationales et larrêt complet visible et irréversible de ses programmes nucléaires.
De la même manière, pour la Corée du Nord, nous maintiendrons, confirmerons et renforcerons les sanctions. Nous ne pouvons pas accepter quun pays totalitaire puisse ainsi mettre en danger la paix du monde. Nous dénonçons aussi les violations des droits de lHomme en Corée du Nord et nous vous apportons je vous apporte, au nom de la France notre plein soutien sur le sujet douloureux des Japonais enlevés.
Nous devons travailler tous ensemble pour la pleine mise en uvre du Traité de Non-Prolifération nucléaire. En 2015 se tiendra la Conférence dexamen sur cette mise en uvre. 2015, cest à dire le 70ème anniversaire dHiroshima et de Nagasaki.
Je remercie les autorités japonaises de la qualité de laccueil dont je bénéficie. Je souhaite que cette visite puisse nous permettre daller plus loin, y compris dans notre coopération en matière de défense. Nous avons convenu, le Premier ministre Abe et moi-même, que nos ministres des Affaires étrangères et de Défense aient des rendez-vous réguliers pour analyser la situation du monde et permettre que nous prenions les bonnes dispositions, articulions les bonnes réponses face à un certain nombre de tensions pour que nous puissions défendre également ces conclusions communes dans les instances internationales.
La sécurité nest pas seulement militaire. Elle concerne aussi la prévention des catastrophes naturelles. La France a un rôle à jouer dans la zone Pacifique, puisque des territoires français sont situés dans cette partie-là du monde.
Nous sommes conscients aussi de ce quil nous faut faire pour le développement, pour la sécurité alimentaire, pour la réduction des inégalités. Mais nous sommes deux grandes économies et avons donc notre responsabilité dans ce quest la situation de la planète.
Notre partenariat, France-Japon, doit être au service de la croissance. C'est la priorité ici au Japon, cest la priorité en France.
Nous sommes la cinquième puissance économique mondiale et vous la troisième. Nous vivons depuis trop longtemps dans une crise qui nen finit pas que vous appelez ici la déflation et en Europe la récession, la stagnation. Nous ne pouvons pas offrir à nos peuples une espérance digne de leur histoire sil y a toujours ce doute, cette inquiétude par rapport à lavenir. Nous devons créer un climat de confiance. Nous devons dire aux jeunesses du Japon, dEurope et de France, quelles auront une place, quelles auront même un meilleur sort que nos propres générations. Elles en doutent aujourdhui.
Cest pourquoi nous devons avoir des politiques économiques qui montrent que nous sommes maintenant sur le chemin de la croissance. Je sais que le Premier ministre Abe a défini une politique économique. Je veux ici vous donner celle que je conduis en France. Cest de donner la meilleure place à lemploi, cest-à-dire de faire en sorte que toutes nos forces soient mobilisées pour la compétitivité de nos entreprises, pour leur capacité à gagner des parts de marché £ de faire également en sorte que la demande intérieure puisse être sollicitée grâce à la croissance revenue.
Nous avons des efforts à faire, chacun de notre côté. Ce que nous avons à faire comme réforme, ce sont des réformes sur le marché du travail, sur la compétitivité et aussi sur linvestissement. Nous avons à mener des politiques de sérieux budgétaire, avec des rythmes qui doivent être compatibles avec notre objectif de croissance.
Je sais que vous avez une politique monétaire que vous voulez plus volontariste et qui peut parfois interroger. Je considère que les monnaies doivent refléter les économies de chacune des zones considérées. Nous aurons besoin, au plan international, dune réforme du système monétaire pour quil ny ait pas une compétition qui soit faussée par les monnaies et que les monnaies correspondent à des objectifs de politique économique, avec une cohérence entre elles.
Je veux que nous puissions multiplier nos coopérations économiques. Elles sont déjà à un haut niveau. Le Japon est le premier investisseur asiatique en France. Il y a 440 entreprises japonaises présentes dans mon pays. Je veux ici les saluer. Elles emploient plus de 70 000 personnes.
Au Japon, il y a 400 entreprises françaises, représentant un montant total dinvestissements de 16 milliards deuros. Nous sommes le troisième investisseur étranger au Japon. Je souhaite que nous puissions élever encore ce niveau de confiance mutuelle, quil y ait plus dentreprises françaises qui viennent au Japon, quil y ait plus dentreprises françaises qui sinstallent et que des alliances puissent même se nouer entre entreprises françaises et entreprises japonaises. Nous avons été capables de le monter dans un certain nombre de domaines énergétique ou automobile. Cela doit être une bonne référence.
Puisque nous avons des convergences en matière de politique économique, portons les ensemble cela va être bientôt le cas devant nos amis et alliés dans le cadre de la gouvernance économique mondiale. Je veux parler des réunions du G8 et du G20. Nous devons mettre à lordre du jour plusieurs thèmes.
Le premier, la croissance. Toutes les parties du monde doivent connaître la croissance. Ne laissons pas imaginer quil y aurait les pays émergeants qui connaîtraient la croissance et les pays développés qui ny auraient plus droit. Comme si cétait terminé pour le « vieux monde » et si tout était possible pour le nouveau. Non, nos économies sont interdépendantes. Nous avons des niveaux de technologie maintenant comparables. Cest lensemble du monde qui doit porter lobjectif de croissance.
Le second thème sur lequel nous devons insister, cest la préservation de lenvironnement. Cest vrai, vous le vivez ici, il y a un après Fukushima. Plus rien ne sera comme avant. Toutes les leçons doivent être tirées pour que pareille catastrophe ne se reproduise plus, ni ici, ni ailleurs. Nous y travaillons. Japon et France, nous devons montrer un niveau de sûreté, incontestable, le meilleur possible celui qui permettra si des pays en décident souverainement de maintenir une production dénergie nucléaire. Nous devons également traiter la question des déchets et démanteler les centrales que nous avons décidé de fermer. Voilà aussi un beau défi à relever ensemble, Japon et France !
Nous devons aussi diversifier nos sources dénergie. Il y a une coïncidence dintérêts : le Japon et la France ne disposent pas de ressources pétrolières. Raison de plus pour travailler ensemble et faire en sorte que sur les énergies renouvelables nous puissions être, là encore, en avance.
Nous voulons également lutter ensemble contre le changement climatique. La France va organiser en 2015, la conférence sur le climat si tous nos partenaires en sont daccord. Je souhaite que le Japon nous appuie dans cette démarche, pour que cette conférence soit un succès. Là aussi, votre exemple sera précieux. Ici au Japon, vous avez pris depuis longtemps des mesures efficaces pour lefficacité énergétique et pour les énergies renouvelables, pour la lutte contre la pollution.
Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Voilà ce que je voulais vous dire à loccasion de cette visite : fierté de connaître une riche histoire entre la France et le Japon £ fierté de partager une même ambition culturelle £ fierté davoir des positions politiques convergentes. Mais, en même temps, obligation de porter notre partenariat à un niveau supérieur, de faire en sorte que lamitié entre la France et le Japon puisse être au service de la croissance, de lemploi, de la préservation de lenvironnement, de la lutte contre les inégalités à léchelle de la planète.
Nous avons besoin davoir des liens plus solides encore entre lEurope et lAsie. Ce sera le sens, aussi, de la négociation qui va souvrir sur le partenariat, et donc sur le commerce, entre le Japon et lEurope. Je souhaite que cette négociation puisse être engagée avec succès. Cest lintérêt de tous pour que nous supprimions un certain nombre de barrières tarifaires ou non tarifaires. Il y en partout et pour tous les produits. Vous qui appréciez la gastronomie française, nous qui apprécions la gastronomie japonaise, nous avons tout intérêt à ce que les produits alimentaires circulent sans entraves et sans craintes.
Mais ce qui est vrai de lalimentation est vrai de beaucoup de produits. Le commerce peut être un soutien à la croissance, à condition quun certain nombre de règles soient posées : la réciprocité, la mise à lécart dun certain nombre de produits notamment les produits culturels ce quon appelle lexception culturelle pour que le marché nenvahisse pas tout. Mais nous avons besoin de ce rapprochement entre lEurope et lAsie. Au sein de lUnion européenne, je serais lun des partisans, des porte-paroles de ce rapprochement, de cette amitié. La manière avec laquelle cette visite se passe, moblige encore davantage.
Il y a un proverbe japonais qui prétend que, sil y a de la confiance, on en voit toujours les bienfaits. Le plus dur donc, cest la confiance. Nous le savons sur plan économique. Nous le savons aussi sur le plan politique. La confiance, elle ne se décrète pas. Elle ne se proclame pas. Elle se mérite. Elle se constate. Elle se vérifie. Mais nous, depuis longtemps, nous savons que la confiance a été établie entre nos deux pays. Elle sest même renforcée dans les épreuves. Aujourdhui, elle sest consolidée dans les objectifs.
Alors, Mesdames et Messieurs les parlementaires, forts de cette confiance mutuelle, nous ne tarderons pas à en voir les bienfaits, les bienfaits pour le Japon, les bienfaits pour la France, les bienfaits pour lEurope. Vive le Japon ! Vive la France ! Vive lamitié entre le Japon et la France !