Le Président de la République s'est rendu à Budapest le 7 novembre 2024 pour participer au sommet de la Communauté politique européenne.
Après Prague, Chisinau, Grenade et Blenheim, c’est la cinquième fois que la Communauté politique européenne s'est réunie depuis sa création, à la suite de la proposition faite par le Président de la République à Strasbourg en mai 2022.
Ce sommet était l’occasion d’échanger sur les défis en matière de sécurité auxquels fait face l’Europe.
Donald Trump a été élu par les Américains pour défendre l’intérêt des Américains.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) November 7, 2024
La question qui se pose à nous, Européens, c’est sommes-nous prêts à défendre l’intérêt des Européens ? pic.twitter.com/mWESA8qyjV
Il a aussi été question pendant ce sommet de réaffirmer l'unité européenne en soutien à l'Ukraine et de revenir sur les enjeux de stabilité régionale, tout en assurant le suivi des projets de coopération concrets lancés lors des précédents sommets.
Revoir l'intervention du Président de la République :
7 novembre 2024 - Seul le prononcé fait foi
Discours du Président de la République au Sommet de la Communauté politique européenne.
Merci beaucoup Monsieur le Premier ministre. Merci cher Viktor.
Et merci d’organiser ce cinquième Sommet de la Communauté politique européenne, dans un format, et tu l'as rappelé, qui est à mes yeux plus important que jamais, celui d'une Europe géographique, politique, où les gouvernements de nos peuples sont ici représentés, avec les grandes organisations de coopération que nous avons décidées pour nous-mêmes et auxquelles nous adhérons.
Et donc c'est un format qui, évidemment, ne concurrence pas l'Union européenne, qui ne concurrence pas l'OTAN, mais qui est, dans sa propre géographie, sa cohérence historique, civilisationnelle et politique. L'histoire, au fond, de cette communauté politique européenne est à écrire.
On a tous des différences de sensibilité, mais à coup sûr, nous avons des intérêts communs. Et je crois que c'est le bon lieu pour le faire, celui d'une grande Europe où, justement, l'histoire a pu nous diviser, en particulier l'histoire du XXe siècle, séparer, ou écrire des pages différentes. La question, c'est est-ce qu'on veut écrire une page commune de la grande Europe au XXIe siècle ? Moi, j'y crois très profondément. Et donc je crois que c'est ici que l'unité stratégique géopolitique doit s'écrire. Et le moment que nous vivons est le bon.
Le Premier ministre hongrois l'a rappelé. La guerre est revenue sur le sol européen, en Ukraine. Des tensions et des conflits existent entre certains membres, Arménie et Azerbaïdjan. Nous avons des phénomènes qui bousculent nos sociétés, des grands risques terroristes qui ont touché beaucoup de nos pays, encore ces derniers mois. Nous avons tous à faire face à des phénomènes de migration illégale qui bousculent nos sociétés. En même temps, nous sommes des économies ouvertes qui, depuis des décennies, se sont construites sur un modèle d'ouverture, dont on continuera à avoir besoin. Nous avons le défi, évidemment, climatique, technologique et une géopolitique, on le voit bien, où on a deux blocs, les États-Unis d'Amérique d'un côté et la Chine, qui, avant tout, recherchent leurs intérêts propres et décident d'être beaucoup moins, l'un et l'autre, complaisants avec les règles internationales, ou en tout cas respectueux de ces dernières.
Comme plusieurs, j'ai eu l'occasion hier d'avoir le Président élu, Donald TRUMP, qu'on est quelques-uns autour de cette table à avoir connu il y a 4 ans de cela dans ses précédentes fonctions, je l'ai félicité, mais, au fond, moi, je trouve que notre rôle ici, au sein de l'Union européenne, ce n'est pas de commenter l'élection de Donald TRUMP, de savoir si c'est bon ou pas bon. Il a été élu par le peuple américain et il va défendre l'intérêt des Américains. Et c'est légitime et c'est une bonne chose.
La question, c'est : est-ce que nous, on est prêts à défendre l'intérêt des Européens ? C'est la seule question qui nous est posée. Et moi, je pense que c'est notre priorité. Et donc, ça ne doit être ni dans un transatlantisme qui serait naïf, ni dans la remise en cause de nos alliances, ni non plus dans un nationalisme étriqué qui ne nous permettrait pas de relever ce défi face à la Chine et aux États-Unis d'Amérique. C'est un moment de l'histoire pour nous, Européens, qui est décisif.
Au fond, la question qui nous est posée : voulons-nous lire l'Histoire écrite par d'autres, les guerres lancées par Vladimir POUTINE, les élections américaines, les choix faits par les Chinois en termes technologiques ou commerciaux, ou est-ce qu'on veut écrire l'Histoire ? Et moi, je pense qu'on a une force pour l'écrire. Nos économies sont fortes, nos pays ont des systèmes de défense sophistiqués, et on représente quelque chose.
L'Union européenne, c'est 449 millions d'habitants avec ses 27 pays, et la Communauté politique européenne, c'est plus de 742 millions d'habitants. Si on décide d'avoir conscience de ce qu'on représente géopolitiquement, commercialement, c'est une puissance inouïe. Il n'y a aucun marché de 742 millions d'habitants aussi uni par l'histoire, des intérêts, des valeurs que nous, autour de cette table ; aucun. Si on se réveille et qu'on décide au fond de ne pas disparaître géopolitiquement et de ne pas être le marché d'ajustements des autres puissances économiquement et commercialement.
Pour moi, ce moment, c'est celui où on décide d'agir, de défendre nos intérêts nationaux et européens en même temps, de croire dans notre souveraineté et notre autonomie stratégique, et de dire au fond « on n'a pas envie simplement d'être des clients, d'être un marché qui est pris, de déléguer en fait à d'autres notre économie, nos choix technologiques ou notre sécurité, mais on veut pleinement se saisir de la question de la paix sur notre sol, de notre prospérité et d'autres modèles démocratiques ».
Pour moi, c'est ça les 3 défis de la communauté politique européenne qu'on a à discuter ensemble. La paix, Volodymyr vient de le dire, c'est aider l'Ukraine à résister face à la guerre d'agression russe. Il peut y avoir des différences de sensibilité autour de cette table. Mais moi, j'ai une conviction profonde, notre intérêt est le même. Notre intérêt, c'est que la Russie ne gagne pas cette guerre et quel que soit, encore une fois, ce que pensent les uns et les autres ici ou les peuples. Parce que si elle gagne, ça veut dire qu'il y a à nos frontières une puissance impériale, à laquelle on dit « vous pouvez être expansionniste ». Je ne vois pas qui peut être en tranquillité autour de cette table si on laisse faire ça.
De la même manière, je pense qu'il est très important de tout faire pour bâtir un accord entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, et j'espère que le traité de paix pourra être signé. Et au fond, notre paix, notre sécurité, elle s'inscrit si nous, Européens, nous savons dire : « Nous ne voulons plus d'impérialisme et nous ne voulons plus de révisionnisme des frontières sur notre continent. » Ce message est fondamental et c'est vraiment un message d'intérêt.
Au-delà de ça, il y a bâtir notre Europe de la défense, faire de l'Europe un espace de sécurité. Alors, l'Union européenne a fait énormément de travail ces dernières années, on en a encore beaucoup à faire pour financer, pour construire. L'OTAN a évidemment un rôle pilier, au fond, clé, et au sein de l'OTAN, nous, Européens, nous voulons jouer notre rôle. Ce pilier européen de l'OTAN n'a rien à retrancher à l'Alliance, mais il y a le fait qu'il y a eu un réveil stratégique que nous devons assumer, nous, Européens, on n'a pas à déléguer pour l'éternité notre sécurité aux Américains. Et je crois que c'est important aussi d'envoyer le message que nous sommes maintenant des fournisseurs de solutions de sécurité.
Et donc, qu’on a autour de cette table, qu'on soit membre ou pas de l'Union européenne, à produire, à assumer une préférence européenne dans cette production industrielle, à bâtir des choix, à s'appuyer sur l'interopérabilité de l'OTAN, mais aussi parfois accepter qu'on n'aura pas toujours le même agenda que nos alliés, ce qui ne remet pas en cause ces alliances, mais de dire que nous, nous avons des solutions de sécurité à apporter, tout particulièrement à notre voisinage, aujourd'hui sur le Flanc est, peut-être demain sur le Flanc sud ou que sais-je. Et à cet égard, je pense qu'il faut développer au sein de la Communauté politique européenne une culture commune.
Il y a quelques années, on avait bâti l'Initiative européenne d'intervention. Il y a une douzaine d'États qui sont autour de la table qui y participent. Elle est complètement intergouvernementale. Et moi, je voudrais inviter tous les collègues qui sont prêts à s'y joindre et qui ne sont pas membres de l'UE à s'y joindre. Élargissons à l'échelle de la Communauté politique européenne, l'Initiative européenne d'intervention pour bâtir des solutions d'intervention commune sur des théâtres d'opération. C'est ce qui nous a permis de faire AGÉNOR, ce qui nous avait permis d'intervenir au Sahel et essayons d'avancer.
Je crois aussi qu'ici, nous avons la possibilité de bâtir des solutions très concrètes pour lutter contre les filières clandestines d'immigration. On a construit des solutions très robustes en européens, comme le Pacte asile immigration. Il y a des solutions très robustes qui sont construites avec des pays de transit ou d'origine pour prévenir les mouvements ou aider au retour mais la coopération au sein de la Communauté politique européenne sur les questions migratoires est un surcroît d'efficacité parce que nous couvrons tous les chemins de la migration. Et quand Keir STARMER a un problème justement migratoire avec ce qu'on appelle « les small boats », ce n'est pas simplement un problème bilatéral franco-britannique, c'est un problème qui touche toute l'Europe et qui commence soit par les routes du Sud, soit par les routes de l'Est. En fait, nous sommes tous ici en capacité d'y apporter une solution.
Deuxième élément : sur la croissance et l'innovation, moi, je suis convaincu que nous devons faire beaucoup plus. On aura l'occasion d'y revenir dans le Sommet informel entre membres de l'Union européenne. Le rapport Draghi a donné une feuille de route très claire. Ursula VON DER LEYEN, dans ce qu'elle a porté, l'a dit aussi. Nous le croyons à plusieurs ici autour de cette table. On a besoin d'une Europe qui simplifie ses règles, qui va beaucoup plus vite, qui est sur les clean tech, l'intelligence artificielle beaucoup plus forte, qui renforce sa compétitivité par l'innovation, et qui aussi, je le crois, redéveloppe son marché intérieur, c'est-à-dire d'investir sur son propre marché, pas faire simplement un marché qui est ouvert à tous les vents. Parce que quand on regarde les choses, on a une demande intérieure européenne qui s'est effondrée ces dernières années. Mais cette stratégie a aussi sa pertinence au sein de la communauté politique européenne.
Et moi, je pense qu'on doit essayer maintenant de bâtir, entre tous les pays qui sont là, de la Norvège au Royaume-Uni jusqu'au pays des Balkans occidentaux ici présents et au Caucase, une vraie intégration énergétique. Si on sait bâtir une grande Europe de l'électricité, on arrive à traiter beaucoup de sujets, d'abord d'interconnexions que tu as évoquées, mais de compétitivité prise par l'énergie. Ce qui aujourd'hui fait du mal à tous les Européens, touche les foyers et touche nos entreprises, c'est le prix de l'énergie. Or, il y a tant de nos pays qui produisent du renouvelable à peu de prix. Il y a d'autres pays qui ont un modèle nucléaire. Le problème, c'est que nous sommes fracturés sur le plan de l'intégration de notre modèle électrique. Faire une grande Europe électrique, financer cela, c'est intégrer d'ailleurs davantage l'Union européenne elle-même, c'est faire le lien avec des pays qui ont choisi d'autres chemins, mais qui ont des modèles formidables, qui croient aussi à la transition, et c'est faire une Europe plus décarbonée et plus compétitive. Et donc je pense que là, on a un autre sujet, après le sujet défense pour notre communauté politique européenne, c'est vraiment de faire de cette Europe un espace électrique beaucoup plus fort.
En même temps, je suis convaincu qu'on doit aussi clarifier notre agenda, c'est-à-dire assumer un agenda de sécurité économique commune. Ce qu'on a su faire quand il y avait un commerce mondial qui était faussé par des sur-subventions de certains pays tiers, on doit l'assumer en européens. On doit arrêter d'offrir en quelque sorte le visage d'un supermarché ouvert à tous les vents. Si on croit dans notre avenir géopolitique, on doit dire, ces 700 millions d'habitants et de consommateurs que sont les membres de la Grande Europe, ils ont des intérêts communs, ils veulent être ouverts, ils veulent qu'il y ait des investissements directs étrangers qui viennent de partout. Mais ils veulent dans leur commerce être respectés bien davantage, être unis et défendre leurs intérêts.
Enfin, la démocratie, je pense que ce qu'on vient de vivre ces dernières semaines, montre que le modèle démocratique européen est lui-aussi un sujet de prédation. En Géorgie, comme en Moldavie, il y a eu plusieurs attaques, des attaques cyber, de l'achat de votes, des manipulations. Tous les observateurs l'ont montré. Je veux ici féliciter Maia SANDU pour sa réélection, et on aura l'occasion tout à l'heure de le faire, et j'espère très fortement — je le dis au Premier ministre qui est avec nous — que la Géorgie va confirmer son choix européen et celui aussi d'un modèle démocratique. Mais soyons lucides, notre modèle de démocratie libérale, ouvert, est un sujet de prédation pour d'autres puissances qui n'ont pas le même agenda, qui veulent nous diviser. Les États baltes ici présents savent aussi combien ils sont attaqués au quotidien par des attaques cyber, par de la manipulation d'informations. On doit assumer un agenda de protection de nos démocraties, de nos règles démocratiques, de la forge de l'opinion publique, de la manière dont nos concitoyens forment leurs opinions pour pouvoir ensuite voter librement. Parce que si nous devenons le théâtre de propagande extérieure parce que nous sommes naïfs et on considère juste que la démocratie, c'est offrir des infrastructures mais pas s'occuper de la régulation du contenu, les démocraties libérales seront balayées. Et vous le voyez, au fond, qu'il s'agisse de notre sécurité ou de notre défense, de notre économie et de notre modèle de prospérité, de notre démocratie, nous avons à bâtir un agenda positif extrêmement ambitieux si nous prenons conscience de ce qu'est la grande Europe qui est autour de la table, une puissance géopolitique sans égale.
Simplement, nous ne nous assumons pas jusqu'alors comme une puissance pleinement indépendante. On pense qu'il faut déléguer notre géopolitique aux États-Unis d'Amérique, qu'il faut déléguer notre modèle de croissance à nos clients chinois, qu'il faut déléguer notre innovation technologique aux américains. Ce n'est pas la meilleure idée. Je pense qu'on peut reprendre le contrôle si on décide, sur la décennie qui vient, de bâtir, pas simplement au sein de l'Union européenne, mais ici. Au fond, pour moi, c'est simple, le monde est fait d'herbivores et de carnivores. Si on décide de rester des herbivores, les carnivores gagneront et nous serons un marché pour eux. Je pense qu'au moins, ce serait pas mal de choisir d'être des omnivores. Je ne veux pas être agressif, je veux juste qu'on sache se défendre sur chacun de ces sujets. Mais je n'ai pas envie de laisser l'Europe comme un formidable théâtre habité par des herbivores que des carnivores, selon leur agenda, viendront dévorer. Assumons cela. Voilà. C'est pour ça que je crois beaucoup à ce format-là.
Je remercie Monsieur le Premier ministre de nous accueillir et je pense qu'en ce lendemain d'élection américaine, nous nous devons d'être lucides, ambitieux, déterminés sur l'agenda qui est le nôtre. Il est crédible, il est totalement faisable. C'est une question de volonté commune et de capacité à prendre conscience de ce que nous sommes. Merci beaucoup, Viktor.
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