Il avait la folie des grandeurs. Christo, l’artiste qui aimait habiller les monuments de ses titanesques empaquetages, s’est éteint hier. Au carrefour de la peinture, de la sculpture et de l’architecture, ses œuvres à très grande échelle transformaient les édifices et les paysages du monde en événements poétiques.

Né en Bulgarie en 1935, Christo Vladimiroff Javacheff s’était formé aux Beaux-Arts de Sofia avant de fuir son pays à 21 ans pour échapper au régime communiste. Après plusieurs escales européennes, il s’installa à Paris en 1958. Il vivait alors en peignant des portraits mais s’intéressait surtout à l’art abstrait et eut bientôt l’idée de ses premiers empaquetages d’objets : sous ses mains, bouteilles, chaises ou tables, tout se retrouvait emballé, enveloppé, emmailloté.

Ses années parisiennes furent ainsi celles de l’éclosion de son talent, de l’invention de ce geste qui allait devenir sa signature. Ce furent aussi celles de la rencontre capitale, foudroyante et définitive, avec Jeanne-Claude qui devint très vite sa partenaire amoureuse et artistique, son épouse et sa collaboratrice. Ces deux êtres fusionnels, nés le même jour et comme sous la même étoile, unirent leur esprit et leurs élans en une même entité, Christo. Ensemble, ils eurent l’idée de créer des œuvres qui ne s’exposeraient pas sur les cimaises des musées ou les piédestaux des galeries, mais sur la place publique, aux yeux de tous. Leur premier grand fait d’arme, plutôt leur premier grand fait d’art, fut l’édification fugace d’un Mur de barils de pétrole dans la rue Visconti à Paris, une réaction révoltée à la construction du Mur de Berlin. Et l’acte de naissance de leur art in situ.

Au milieu des années 60, le couple s’installa à New York et conçut des projets plus monumentaux et spectaculaires encore que Christo dessinait et que Jeanne-Claude s’ingéniait à rendre possible. Ils drapèrent une vallée entière du Colorado dans un immense rideau orange, sorte de voile fantastique que le vent gonflait et dégonflait. Ils ourlèrent les îles d’une baie de Miami de larges auréoles rose fuchsia. Ils emballèrent le Pont-Neuf. Le plus vieux pont de Paris ressembla alors, durant quelques jours de l’automne 1985, à un immense cadeau offert aux parisiens. Comme un couturier fait du cousu main pour mieux épouser les courbes de son mannequin, Christo imaginait pour les édifices des écrins sur-mesure, qui étreignaient leurs formes et sublimaient leurs volumes, leur prêtaient des couleurs et des matières nouvelles. Il cherchait ainsi à « révéler en cachant ». Dix ans plus tard, il réitérait ce coup d’éclat en empaquetant cette fois le Reichstag, siège du parlement allemand. Il y eut aussi ces parasols géants plantés au Japon et en Californie, d’une rive à l’autre du Pacifique, qui formèrent un pont symbolique entre l’Orient et l’Occident, ou encore cette immense passerelle construite à la surface d’un lac italien et recouverte d’un tissu orange, qui donna à ceux qui l’arpentèrent l’impression qu’ils flottaient au-dessus des eaux.

 Les installations de Christo avaient beau être gigantesques, elles étaient toutes temporaires car il aimait que la fugacité de l’œuvre impose l’urgence du regard. En esthète, il affirmait créer des œuvres qui ne délivrent aucun message, qui visent simplement à mettre les sens en éveil et en émoi. Faire éprouver la grandeur d’un monument ou d’un paysage, absorber les regards dans le drapé et l’ondoiement de ses étoffes, éblouir par la vivacité et le chatoiement de leurs couleurs : Christo recherchait toujours et partout l’émerveillement.

On pourra s’en rendre compte à l’exposition que le Centre Pompidou devait lui consacrer dès la fin mars et qui a été reportée au 1er juillet du fait de la crise sanitaire. Ce sera alors comme l’hommage de la France à cet artiste qu’elle aimait et qui l’aimait.

Christo visait si haut, rêvait si grand, que ses projets pouvaient prendre des années, parfois des décennies, avant de voir le jour, après un parcours du combattant souvent livré par Jeanne-Claude pour lever tous les obstacles. Il est ainsi une œuvre qui est née dans son esprit en 1962 mais qui ne se matérialisera désormais qu’après sa mort. Ce sera à Paris, à l’automne 2021 : l’empaquetage de l’Arc de Triomphe. Comme le dernier cadeau de cet artiste à cette ville qui lui avait fait les dons les plus beaux, à ce pays où il avait trouvé et l’inspiration et l’amour, et qui ne l’avait jamais oublié.

Le Président de la République et son épouse saluent l’œuvre de ce poète de l’espace aux visions grandioses et présentent à ses proches comme à ses admirateurs leurs condoléances attristées.

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