5 janvier 2018 - Seul le prononcé fait foi

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Transcription de la déclaration du Président de la République à l'occasion de la conférence de presse conjointe avec le Président de la République de Turquie

SEUL LE PRONONCE FAIT FOI

LE PRESIDENT : Très bien. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mesdames, messieurs.

J’ai accueilli aujourd’hui à Paris le président de la République de Turquie monsieur Recep Tayyip ERDOGAN. Cette visite fait suite à des échanges réguliers que nous avons eus depuis le mois de mai dernier. Nous nous sommes rencontrés quelques semaines après mon élection en marge du sommet de l’OTAN et nous n’avons cessé depuis lors d’échanger de manière régulière, soit au gré de rencontres internationales, soit au gré d’échanges très réguliers par voie téléphonique. Et comme je l’ai à plusieurs reprises rappelé, c’est en effet la conception qui est la mienne du dialogue et du travail en commun.

D’abord, parce que nos pays ont une relation ancienne, forte qui justifie pleinement ce travail. Relation de culture, d’échange intellectuel, artistique, économique, stratégique et, dans ce cadre, je tiens non seulement à cette Histoire, mais à la présence de l’OTAN, de la Turquie au sein de l’OTAN et de la Turquie au sein de la Convention européenne des droits de l’homme. Et nous avons eu l’occasion de rappeler l’attachement de la Turquie à ces deux alliances dont nous sommes membres, ces deux conventions internationales qui manifestent une partie de ce lien historique qui nous rassemble et cet ancrage commun que nous avons.

Aussi, parce que nous avons aujourd’hui des problématiques communes, des ressortissants de part et d’autre et des communautés en partage, des femmes et des hommes qui vivent entre leur identité turque et française et auxquels il faut chaque jour penser dans le contexte de la relation bilatérale, et parce que nous avons, sur le plan bilatéral et régional et international, des intérêts en commun et de nombreux défis à relever ensemble.

Nous avons pu, à l’occasion de ce long échange que nous avons eu, d’abord revenir sur les principaux domaines de notre coopération bilatérale. Le premier, c’est la lutte contre le terrorisme qui a frappé à plusieurs reprises nos deux pays. Et notre coopération, je dois le dire, Monsieur le Président, sur ce sujet, est à mes yeux exemplaire. Le travail entre les différentes administrations et les différents services fonctionne parfaitement bien. Les accords passés fonctionnent eux aussi très bien et je crois que nous avons pleinement conscience l’un et l’autre de la nature du risque terroriste et de ce qu’il en a coûté à nos peuples.

Nous prenons les mesures nécessaires sur notre sol pour lutter contre le PKK que nous considérons comme une organisation terroriste, en particulier pour démanteler ces réseaux de financement, et nous œuvrons aussi pour lutter contre toutes les formes de terrorisme – Daech et tous les groupes terroristes associés – dans la zone irako-syrienne comme dans les autres régions.

Cette lutte contre le terrorisme, nous la poursuivrons ensemble à travers des partenariats renforcés et en particulier un travail que je souhaite encore plus intense dans les semaines et le mois qui viennent dans la perspective de la conférence qui sera organisée à Paris en avril prochain permettant justement de lutter contre toutes les formes de financement du terrorisme.

En tant qu’allié au sein de l’OTAN, nous approfondissons aussi notre coopération en matière de défense et c’est l’objet du premier accord qui a été signé devant vous, avec le projet de défense antimissile porté par le consortium franco-italien Eurosat. L'étape franchie aujourd’hui est importante dans ce cadre et pleinement cohérente avec justement nos engagements et notre vision commune sur ces sujets.

Nous avons également une relation économique forte qui a encore un important potentiel de développement, comme le montrent deux autres accords signés aujourd’hui avec, en particulier, l’offre présentée par Airbus pour l’acquisition de nouveaux appareils par la compagnie Turkish Airlines qui est un important accord et l’accord justement entre nos pays qui permettra d’accompagner nos acteurs avec des mécanismes de garantie et d’accompagnement spécifique sur le plan financier est un élément important et je souhaite que nous puissions poursuivre ce travail sur le plan économique.

Dans ce cadre-là, je veux ici rappeler – et nous l’avons évoqué – l’importance du projet de centrale nucléaire de Sinop, en partenariat avec le Japon, qui structure aussi cette relation, et je me félicite également du fait que ces derniers mois ont marqué un progrès important dans notre relation économique, par exemple dans le domaine agricole et agroalimentaire.

Par l’engagement et le travail de nos ministres de l’Agriculture, nous avons pu réouvrir justement pour le bœuf certains accès et des échanges qui sont très structurants pour nos éleveurs : 5 700 tonnes ont ainsi été ouvertes à l’export pour la viande en morceaux ; nous allons maintenant ouvrir sur la viande sur pièce, ce qui est un élément important et des perspectives pour nos éleveurs que nous souhaitons accompagner à l’export. Et nous souhaitons pouvoir, sur la volaille ou les fruits et légumes, continuer justement cette ouverture des marchés et donner des perspectives nouvelles.

Nous avons également évoqué ensemble la crise régionale. Sur le Proche-Orient, j’ai réaffirmé au président ERDOGAN quelle était la position de la France, celle que j’ai rendue publique en fin d’année dernière suite aux déclarations américaines, notre volonté donc, d’une part, aujourd’hui, d’en appeler au calme et à la stabilité dans la région et d’œuvrer pour une paix qui ne peut se construire qu’entre Israéliens et Palestiniens sur la base du respect du droit international, de la reconnaissance de deux États vivant en paix, ayant l’un et l’autre Jérusalem pour capitale et des frontières préservées par le droit international.

Nous sommes ensuite longuement revenus sur la Syrie qui est pour nous un élément essentiel à la fois sur le plan stratégique et sur le plan de la sécurité. Je rappelle que c’est en Syrie qu’ont été fomentés les derniers attentats contre la France et que nous sommes aujourd’hui en passe de gagner le conflit contre Daech, je l’espère, dans les prochaines semaines. Mais je n’oublie pas que la Syrie est aussi l’un des grands pays frontaliers de la Turquie et donc un intérêt tout aussi important pour le président ERDOGAN. Je sais aussi ce que représente le conflit syrien pour la Turquie qui accueille plus de 3 millions de réfugiés sur son territoire.

Et sur ce sujet, je dois dire que j’ai pu percevoir une communauté de vue et d’intérêt stratégique. La volonté, une fois la guerre contre Daech gagnée, de construire la paix et la stabilité de la Syrie. Le fait de la construire en ayant justement la vue la plus inclusive possible de la reconnaissance de toutes les formes de minorités et de sensibilités politiques et la nécessité d’annoncer une transition rapide. Et dans ce contexte-là, je souhaite que nous puissions travailler ensemble. Les processus d’Astana et de Sotchi ont eu leur intérêt pour la désescalade militaire ; je l’ai dit au président, ils ne construiront pas à mes yeux la paix parce qu’ils sont biaisés sur le plan politique.

La Turquie a pris une initiative en février et nous allons travailler ensemble dans ce cadre et je souhaite que nous puissions aussi travailler ensemble sur cette feuille de route inclusive qui permettra d’organiser un processus de transition que le peuple syrien choisira mais dans un cadre que nous garantirons où en particulier toutes les sensibilités, à tous égards, pourront s’exprimer et où toutes les femmes et les hommes qui ont fui le régime et qui sont aujourd’hui en Turquie, au Liban, en Jordanie, en Europe ou outre-Atlantique auront la possibilité d’être représentés et de s’exprimer. Je souhaite donc que nous puissions ensemble œuvrer dans ce contexte-là pour apporter une solution utile et durable à la Syrie.

Nous avons également évoqué les relations entre la Turquie et l’Union européenne, et plus largement, l’Europe. À ce titre, j’ai rappelé au président ERDOGAN qu’à mes yeux, l’ancrage au sein de la Convention européenne des droits de l’homme était très important. Je sais les choix récents qui ont été faits. Lorsque je me suis rendu au siège de la CEDH, je me suis exprimé très clairement sur ce sujet. Je souhaite que la Turquie reste pleinement, entièrement, complètement à tous égards membre de cette Convention parce que je pense que ça fait partie de son identité et que c’est notre intérêt commun et je ferai tout pour œuvrer en la matière, qu’il s’agisse du statut de membre comme celui de financeur majeur.

Pour ce qui est de la relation avec l’Union européenne, il est clair que les évolutions récentes et les choix ne permettent aucune avancée du processus engagé – nous avons eu une discussion très franche sur ce sujet – mais je pense que la coopération, le travail exigeant d’un dialogue qui doit être repensé, reformulé dans un contexte plus contemporain et prenant en compte les réalités aujourd’hui qui sont les nôtres, doit être proposé dans les prochains mois. Je sais que le président JUNCKER a beaucoup travaillé sur ce sujet et je salue d’ailleurs son engagement à cet égard. Et je souhaite que nous puissions reprendre un dialogue apaisé qui permette de construire une relation qui est essentielle à mes yeux à la fois pour nous-mêmes, pour la région et la stabilité, qui ancre la Turquie dans ce dialogue avec l’Union européenne.

Mais il est évident que nous devons sortir d’une hypocrisie qui consisterait à penser qu’une progression naturelle vers l’ouverture de nouveaux chapitres est possible, ça n’est pas vrai.

Sur la question des droits fondamentaux, nous avons aussi eu un échange bilatéral en tête-à-tête et je veux ici être extrêmement clair et direct et c’est la nature, je crois, de la relation que nous avons. J’ai le plus profond respect et la pleine conscience des défis que vit aujourd’hui la Turquie et je sais le combat contre le terrorisme et les déstabilisations putschistes, militaires auxquelles la Turquie a eu à faire face et à ce titre, en tant que dirigeant extérieur, je n’ai pas d’ingérence à avoir ou quelque expression que ce soit. J’ai même, sur la lutte contre le terrorisme, une communauté de vue, d’intérêt et une détermination que nous continuerons à avoir en commun.

Nous avons ensuite des désaccords sur la vision qui est la nôtre des libertés individuelles dans ce contexte et nous l’avons abordé de manière très précise ensuite, et ça ne peut être abordé d’ailleurs que de manière précise. J’ai donc évoqué plusieurs cas au président ERDOGAN de manière extrêmement spécifique, sur lesquels nous continuerons à dialoguer et c’est comme ça que nous avons toujours fonctionné, avec un dialogue qui a été fructueux. Et je le dois dire, à deux reprises par le passé, lorsqu’un journaliste et un étudiant en journalisme ont été emprisonnés en Turquie, ce dialogue a permis de trouver une issue qui a été favorable.

J’ai soulevé en particulier le cas de l’université de Galatasaray qui est pour moi un sujet de grande préoccupation puisque ce sont à la fois des universitaires et des étudiants qui sont sous le coup d’une procédure. Or, c’est un établissement créé par un accord franco-turc de 1992, un pilier essentiel de notre coopération bilatérale et j’ai mentionné le cas de plusieurs dirigeants d’ONG et des journalistes, en particulier dans le cadre des échanges que j’avais eus avec Reporters sans frontières et avec plusieurs journalistes français ou dirigeants de médias français qui m’avaient interpellé sur des journalistes qu’ils soutenaient.

Ces cas ont été évoqués point à point et j’ai transmis la liste au président ERDOGAN et nous continuerons à en discuter, à échanger pour que tout ce qui peut être ainsi réglé le soit. De son côté, le président a indiqué plusieurs cas qu’il considère comme liés au terrorisme et qui seraient aujourd’hui en Europe en situation active et nous regarderons de la même façon s’il s’agit d’activité terroriste.

Ce que je veux dire ici, c’est que je crois très profondément que nous avons un chemin de crête qui est un défi pour tous les dirigeants mais un défi pour la défense de l’État de droit et de la démocratie à l’époque contemporaine. Nos démocraties doivent être fortes contre le terrorisme parce que la légitimité même de l’État, c’est de protéger ses concitoyens et je m’emploie chaque jour à ce que ce soit le cas. Mais dans le même temps, nos démocraties doivent complètement respecter l’État de droit parce que ce que cherchent les terroristes, c’est de nous affaiblir dans nos principes, de nous emmener sur leur terrain qui est au fond cette haine de la raison, de l’intelligence et de la liberté.

Et donc, à cet égard, je crois que le dialogue que nous avons depuis le début l’un et l’autre et que nous avons eu aujourd’hui, direct, franc, a des perspectives parce que, sur le fond, nous sommes plongés dans ce même défi. Et je connais la vie et l’expérience du président ERDOGAN, je sais qu’il a lui-même été privé de liberté, je sais combien ce sujet est important pour lui. Le peuple turc lui a fait confiance à plusieurs reprises et donc je sais qu’il a aussi en tête ce chemin de crête difficultueux. Et je suis donc pour ma part persuadé que nous trouverons, sur chacun des sujets de notre échange très direct, des solutions concrètes, réelles et qui permettront, sur les quelques cas que j’ai évoqués, de régler ce qui parfois est tout simplement un malentendu mais un malentendu dommageable. Et donc, à cet égard, je mets beaucoup d’intérêt et de force dans cet échange.

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais dire en redisant au président ERDOGAN le plaisir pour moi de l’accueillir aujourd’hui à Paris. Les temps que nous vivons sont des temps de défi. Si les choses étaient simples, peut-être d’ailleurs ni vous ni moi dans nos pays respectifs ne serions là. Il nous faut donc, dans un dialogue exigeant, tout à la fois savoir évoquer nos différences et nos désaccords pour progressivement les réduire, mais surtout ancrer, renforcer ce qui nous lie : la volonté de développer un partenariat économique fort et bénéfique, la poursuite d’échanges académiques, culturels indispensables et un partenariat stratégique pour notre sécurité et la lutte contre le terrorisme. Je vous remercie.

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