30 juin 2018 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration du Président de la République à l'occasion de la conférence de presse au Conseil Européen

Mesdames et Messieurs, bonjour.

Il me revient d’expliquer en quelques propos les conclusions de ce Conseil et les deux jours qui viennent de s’écouler et répondre bien évidemment à toutes vos questions.

Ce Conseil était d’abord et je souhaite qu’on ne l’oublie pas, un Conseil aussi d’avancées sur de nombreux sujets, que la France a portés sur l’agenda européen et pour une Europe qui protège davantage et prenne des mesures concrètes.

En matière de défense d’abord, nous avons acté en effet de nouvelles avancées avec l’accord sur le projet pilote du Fonds européen de défense et le lancement de l’initiative européenne d’intervention, le 25 juin, à neuf pays, dont la France et l’Allemagne. C’est une proposition que j’avais faite à La Sorbonne, à l’automne dernier. L’Europe se dote ainsi, par cette nouvelle avancée, d’une capacité stratégique, d’une vraie autonomie stratégique et d’intervention. Ce qui fait qu'en un an, l'Europe a avancé en matière de défense, comme elle ne l'avait jamais fait depuis les années 50. Jamais. La création d'une coopération structurée, le fonds européen et maintenant l’initiative européenne d’intervention.

Cela permettra une coopération concrète en amont en matière de planification et d'analyse des menaces, notamment entre les armées les plus engagées et performantes d'Europe. Nous avons pu échanger sur ce point hier avec le secrétaire général de l'OTAN. Toutes ces initiatives européennes s'inscrivent et sont compatibles avec notre engagement dans l'OTAN. Mais l'Europe se dote aujourd'hui d'une force en la matière, ce qui n’existait pas jusqu’alors. Ce qui est, à mes yeux, la réponse adéquate à la recomposition géopolitique mondiale, mais également un ciment de la cohésion européenne, là où de trop nombreux pays considéraient que l'Europe n'était pas ce qui les protégeait vraiment. Les choses sont en train sur ce point de changer.

Deuxièmement, nous avons évoqué aussi le dossier commercial et je me félicite sur ce point, comme nous l'avions préparé à Sofia, que l'Europe se soit montrée parfaitement ferme et unie face à une inacceptable attaque américaine contre son allié européen. Nous avons rappelé cette fermeté et engagé l’Europe, qui ne doit pas rester passive et subir les tensions commerciales, dans un agenda de réforme de l'OMC que nous poussons et que nous continuerons à pousser dans les mois qui viennent, notamment dans le cadre du G20.

Là aussi, nous avions proposé, il y a quelques mois, une réforme en profondeur de l’OMC pour répondre aux dysfonctionnements actuels du multilatéralisme commercial, plutôt qu’à une fracture croissante, ce qui est aujourd'hui de fait la proposition américaine. Ces propositions de réforme de l'OMC, d'accélération des procédures, de réforme de la procédure de résolution des conflits, ont été reprises au niveau européen et seront donc portées dans l’agenda.

Nous avons également, dans le domaine du numérique, rappelé la nécessité d'un accord rapide, d'ici la fin de l'année, comme le demandent l'Allemagne et la France, sur une juste taxation des grandes entreprises, ainsi que la mise en place d’une Agence européenne pour l’innovation de rupture.

Ces points sont, à mes yeux, des avancées importantes, parce qu'il y a dans notre vie politique européenne – je vais y revenir – des crises, des moments de tension. Mais nous ne ferons avancer l’Europe que si nous savons aussi dans la durée pousser les projets que d’initiatives nous prenons et pas simplement répondre aux crises. Sur ces sujets, qui sont essentiels pour notre souveraineté militaire, économique, financière, l'Europe continue à avancer, à prendre des décisions utiles et c’est l’agenda français qui est aussi ici poussé.

Nous avons également ce matin discuté du Brexit, en présence de Michel BARNIER, dont les Vingt-Sept Etats membres qui étaient présents ont salué l'excellent travail et l’engagement européen. Avec un message simple : nous ne pouvons plus attendre. L'accord de retrait, qui a bien avancé, se heurte à la question irlandaise et doit être finalisé dans quelques semaines, d'ici l'automne. Michel BARNIER a fait, au nom des Vingt-Sept, une proposition raisonnable à cet égard. Il importe désormais de la saisir.

Le deuxième grand sujet sur lequel je voulais évidemment revenir et qui a occupé une bonne part de l’actualité européenne, c'est celui des migrations. Nous vivons sur ce sujet, comme nous l'avons vécu sur d'autres, il y a quelques années, des temps troublés et de ces moments où l’Europe doit savoir trouver l’unité et l’efficacité. Si nous regardons avec lucidité le sujet des grandes migrations, il a connu une crise réelle, autour des années 2015, avec les arrivées massives de personnes exilées principalement du Proche et Moyen-Orient, une tension forte avec les arrivées venant par la route de Méditerranée centrale, à partir de Mare Nostrum et l’année dernière et les arrivées premières en Europe se sont fortement réduites, si je ne prends que la route de Méditerranée centrale, elle s'est réduite de 80 % cette année par rapport à l'année dernière, parce qu'il y a eu déjà un travail, un engagement fort.

Je ne mésestime pas la pression migratoire qu’il y a aujourd’hui sur l’Europe, du fait justement de toutes ces arrivées et nous avons un peu plus d'un million et demi de personnes qui sont arrivées sur le sol européen depuis le début de cette crise.

Néanmoins, cette situation ne sera pas réglée du jour au lendemain. Dans la durée, nous continuerons à avoir une pression migratoire, compte tenu des inégalités qui existent entre l'Europe et l'Afrique, compte tenu de la dynamique démographique de l'Afrique, compte tenu des zones de conflits, diverses et variées en Afrique comme au Proche et Moyen-Orient.

Il ne faut donc sur ce sujet céder en rien aux promesses éphémères. En rien. Je sais sur ce sujet combien l'émotion peut nous emporter. Elle me touche comme vous. Mais l'émotion d'un jour ne doit pas guider une action qui, dans la durée, doit se construire.

Cette action dans la durée, à mes yeux, elle doit permettre, premièrement, une Europe à la hauteur de son Histoire et de ses valeurs. Il y a des choses sur lesquelles l'Europe ne peut, ne doit compromettre ses grands principes, ceux qui l’ont faite, qui sont, pour ce qui est de la France, dans sa Constitution, je pense en particulier au droit d'asile, à la protection des femmes et des hommes qui courent un risque vital dans leur pays en raison de leurs opinions religieuses ou politiques ou compte tenu de la situation de guerre de leur pays.

Le droit d'asile, ce n'est pas la totalité du phénomène migratoire et il est important de le rappeler. Cela ne veut pas dire accueillir toutes les personnes, quelles que soient les circonstances de leur arrivée. Mais en rien nous ne devons compromettre sur ce principe.

Le deuxième élément qui doit nous guider, c’est l’efficacité. Il y a une cohésion européenne à tenir et donc une légitime protection de nos frontières, une légitime organisation, pour que les cohésions nationales ne cèdent pas et que nous ne laissions monter les peurs et avec elles les extrêmes dans les différents pays européens. Donc, ne céder en rien non plus à des irénismes d’estrade. Nous devons avoir une réponse qui est explicable, acceptable par nos populations. Enfin, c’est l’efficacité qui est indispensable dans la durée pour prévenir ces mouvements et répondre à ce défi.

Face à la situation que nous connaissons aujourd’hui, il y avait plusieurs choix. Le choix de politique nationale et de repli nationaliste, il était poussé par certains. Il devait conduire mécaniquement à l’absence d’accord, c’était d’ailleurs la menace réitérée. Il y avait de l’autre côté le choix de la coopération, d’un travail européen, d’un accord européen pour continuer à avancer. C’est cette seconde voie qui l’a emporté lors de ce Conseil et je m’en réjouis.

Nous n’avons pas cédé à la fascination du pire. Nous sommes revenus aux faits, aux éléments indispensables de responsabilité et de solidarité qui doivent continuer à construire notre Europe et nous avons pu ainsi bâtir – je crois pouvoir le dire – un accord important, qui n’est qu’une étape, reposant sur un agenda complet, comme nous l’avions souhaité.

Cet accord s’est construit autour de trois volets : le volet externe, la protection des frontières et la solidarité interne. Le volet externe faisait partie des propositions de la présidence et a permis d’acter la mise en place de plateformes de débarquement, que nous soutenons collectivement et que nous avons d’ailleurs, dans les faits, déjà pratiqué. C’est exactement ce que la France, avec quelques autres, a pu pratiquer à la fin de l’été dernier, en Libye, ce que nous avions aussi pratiqué avec le Niger. Cela suppose l’accord des pays en question. Cela suppose un travail important, d’une part avec le HCR et l’OIM, mais également avec l’Union africaine et l’ensemble des parties prenantes.

Nous avons su le faire à plusieurs reprises, à la fin de l’été dernier, lors de la crise l’hiver dernier, je veux ici saluer le rôle que l’Union africaine avait eu, suite aux images terribles que nous avions vues des camps en Libye. C’est donc dans ce cadre que cette proposition est faite. Ces plateformes de débarquement ont un intérêt, elles permettent de protéger davantage les personnes, puisqu’elles leur évitent de prendre le risque de traverser en particulier la Méditerranée et elles permettent, dans un cadre structuré par le HCR et l’OIM, d’aller apporter la protection et reconnaitre, instruire les dossiers de demande d’asile qui peuvent exister, en envoyant nos équipes sur place.

Il est évident que sur ce sujet, c’est à chaque fois sous l’autorité des pays concernés que la mise en œuvre peut se faire. Sur ce point, nous avons également acté d’un renforcement de nos actions avec les différentes forces de sécurité, je pense tout particulièrement aux gardes-côtes libyens dans les eaux libyennes, qui continuent à intervenir et qui, depuis un an, ont accru leurs interventions, ce qui est là aussi une manière efficace de prévenir des embarcations de fortune et tous les risques pris par certaines personnes et de mieux protéger la frontière commune.

Le deuxième axe de nos discussions a été évidemment le renforcement de la frontière commune de l’Europe. Nous avons rappelé déjà dimanche dernier – nous l’avons reconfirmé – notre engagement à, là aussi, accélérer le déploiement de Frontex et de forces supplémentaires.

Nous avons traité longuement du problème des pays de première arrivée. Sur ce sujet, c’est pour moi aussi l’un des points importants de l’accord qui a été trouvé et qui repose sur une proposition que nous avions faite, avec les Espagnols, lors de la visite du Premier ministre SANCHEZ.

De quoi s’agit-il ? Depuis le début de la crise politique italienne, la question est posée de savoir si nous pouvons dédouaner un pays de la responsabilité. Ce qui n’est pas conforme aux Accords de Dublin. Nous avons acté hier que les accords continuaient à exister et à demeurer et que la notion de pays de première arrivée ne pouvait être supprimée.

Néanmoins, nous apportons une réponse en termes de solidarité à cette responsabilité réaffirmée à travers les centres contrôlés en Europe. Ces centres ont pour intérêt d’aider les pays de première arrivée à organiser, avec un financement, une organisation européenne, l’accueil des migrants, l’instruction des dossiers et la reconduite vers leur pays d’origine des personnes qui ne sont pas admises à la protection de l’asile. Aujourd’hui, la charge, de fait, en incombe largement au pays.

Le Premier ministre grec s’est d’ailleurs exprimé sur ce sujet très clairement pour dire – je pense qu’il le redira lui-même avec encore plus de clarté – qu’il était favorable à ce dispositif et qu’il allait l’appliquer. Quand on voit ce que la Grèce justement organise, porte, ces centres répondent à une solidarité nécessaire, sans modifier les règles de responsabilité collective.

C’est une réponse apportée, à mes yeux, à la demande italienne, c’est un compromis que nous avons trouvé : nous ne changeons pas les règles du droit international maritime, nous ne changeons pas les règles de responsabilité qui prévalent dans notre droit. Mais nous apportons plus de solidarité à travers ces centres contrôlés et également plus d’efficacité pour le retour vers le pays d’origine.

Enfin, nous avons relancé les travaux sur le système de Dublin, en renforçant la responsabilité des pays d’entrée et la solidarité européenne, en acceptant, là aussi, à la fois des règles d’enregistrement d’une part et des flexibilités sur les modalités, tout en étant fermes sur le principe. Mais surtout en réaffirmant un agenda pour finaliser rapidement les directives qui sont aujourd’hui presque prêtes et dans les meilleurs délais les sept directives que nous devons conclure. C’est, à nos yeux, une priorité, si nous voulons finaliser l’ensemble des problématiques qui sont les nôtres, ce sera la réponse la plus efficace.

Cet accord, vous le voyez bien, d'une part permet à l'Europe de ne sortir ni de son rôle ni de l'histoire. Aurions-nous échoué à trouver un accord ou à préférer des solutions nationales, ou décider de trahir nos principes avec des modalités techniques incompatibles avec ces derniers, c’eut été inacceptable pour la France.

Nous avons trouvé un accord qui est conforme à nos valeurs, qui apporte des éléments de réponse en termes de responsabilité et de solidarité et qui nous permet d’avancer.

Cet accord est un accord pour construire, il ne règle en rien à lui seul la crise que nous vivons et qui a des composantes largement politiques, mais il permet de répondre, de continuer à répondre en actes à la crise que nous vivons.

Et parce qu'il aborde un agenda complet, externe protection frontières et interne, et il permet d'apporter des éléments de réponse aux crises politiques que nous vivons : en Italie par rapport au mouvement primaire, ou en Allemagne comme dans d’autres pays par rapport au mouvement secondaire.

Je pourrai revenir sur ce point en détail en réponse à vos questions si vous le souhaitez, mais je considère que cet accord est une avancée importante et que notre action, puisque c'est désormais le plus important, peut dans ce cadre être tout à la fois efficace et conforme à nos principes.

Enfin, nous avons eu une discussion ce matin très importante sur la réforme de la zone euro. Nous avons dégagé dans des conclusions des axes de travail qui se fondent justement sur l’accord franco-allemand de Meseberg ; et le travail qui en a découlé au niveau de l'Eurogroupe qui a donné lieu à une lettre du président de l'Eurogroupe, monsieur CENTENO.

Ce travail va s'égrener durant les prochains mois et nous avons demandé au président TUSK de proposer justement au Conseil un calendrier de travail jusqu'à la fin de l'année, pour finaliser ces discussions.

Ces discussions vont nous permettre d'avancer concrètement avec d'ores et déjà des premières décisions de principe faisant suite à l’accord franco-allemand, d’une part pour finaliser l’union bancaire et son approfondissement, avec entre autres la mise en place d'un filet de sécurité qui protégera les entreprises et les épargnants et permettra un meilleur fonctionnement du système financier et bancaire européen, ce qui est indispensable pour une meilleure croissance.

Mais d'autre part également, en lançant une nouvelle feuille de route et en ayant une capacité de stabilisation européenne, un vrai budget de la zone euro avec justement cette fonction de convergence et d’investissement sur la base de la proposition franco-allemande de Meseberg.

Nous aurons désormais, durant les semaines et les mois qui viennent, au niveau des ministres de l’Economie et des Finances et au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement des discussions qui auront des caractères techniques, mais qui sont à chaque fois éminemment politiques, pour conclure d’ici la fin de l’année ce processus ; et avancer sur cette finalisation de la zone euro.

Je veux ici conclure en saluant l'excellent travail de Jean-Claude JUNCKER et de Donald TUSK dans ce moment politique difficile, et saluer également l'engagement résolu de Boyko BORISOV qui a mené la présidence bulgare en préservant notre unité, en permettant des progrès concrets sur le travail détaché, sur le droit d’auteur, en matière de défense, et souhaiter ce même engagement et cette même réussite au Chancelier KURZ qui prend le relai dès dimanche.

Et je veux enfin saluer ici également l'engagement de la chancelière MERKEL, avec qui nous avons construit des avancées historiques à Meseberg le 19 juin dernier, qui ont permis d'avancer et de structurer la discussion sur la zone euro et avec qui, nous avons préparé chaque moment de ce sommet dans ce même esprit européen.

Je vous remercie et je vais maintenant répondre à toutes vos questions.

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