25 novembre 2017 - Seul le prononcé fait foi

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Discours du Président de la République à l'occasion de la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes et du lancement de la grande cause du quinquennat

SEUL LE PRONONCE FAIT FOI.

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames, Messieurs les Ministres,

Mesdames, Messieurs les Parlementaires,

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Nous venons d'écouter vos six témoignages, vos six engagements et au-delà de cela, toute l'épaisseur de cette réalité des violences faites aux femmes mais aussi l'engagement de tous les acteurs qui, au quotidien - et il a été rendu hommage à plusieurs d’entre eux – s’engagent, luttent pour que, à travers leur association, à travers leur engagement, à travers leur travail au sein de l'administration et en dehors, nous puissions restaurer chaque jour un peu plus de cette égalité entre les femmes et les hommes et pour que les violences que subissent les femmes soient combattues. Et je veux ici vraiment saluer votre engagement, vous remercier pour celui-ci, car c’est cela qui fera changer les choses.

Le sentiment d’horreur et de honte que suscite cette situation, je dois le dire, a pris une épaisseur toute particulière en effet il y a un peu plus d’un an parce que c’est bien de la honte dont il s’agit lorsqu’on est à la fois un homme et lorsqu’on est décideur public. J’étais alors candidat, je suis maintenant Président de la République et on ne peut pas considérer que ce dont nous parlons aujourd’hui est quelque chose de banal, d’acceptable, dont on pourrait accepter même la moindre part ou le début d’ambigüité. Je dis un peu plus d’un an parce que même comme beaucoup de nos concitoyens, ce sujet m’avait à plusieurs reprises interpellé, il était, il faut bien le dire, beaucoup moins dit, beaucoup moins raconté ; il y avait une part épaisse de silence. Et lorsque candidat, j'avais lancé cette grande marche à laquelle plusieurs d'entre vous ont participé, qui consistait à faire remonter du terrain les préoccupations des Françaises et des Français - l'insécurité, le chômage, beaucoup de choses sont remontées - et une, au-dessus des autres, ce sujet des violences faites aux femmes, c'était la première.

En région Ile-de-France, des femmes qui avaient été interrogées sous couvert d'anonymat, par des gens qui venaient frapper à leur porte pour leur dire : on est dans un mouvement politique nouveau, il y a quelqu'un qui veut se présenter à la présidence de la République, quelles sont vos préoccupations, librement, sous le couvert de l'anonymat, mettaient en numéro un le harcèlement et les violences subies. Je ne pensais pas, je vous l’avoue, une seule seconde, que ça pouvait être le premier sujet. Et donc c'est aussi ma propre part de honte à ce moment-là et lorsqu’à Strasbourg, lorsque les premières réunions ont été faites, qui ont rendu compte de cela, ce constat a présenté avec cette volonté de s'engager et qu’en effet, on a commencé à dire c'est un sujet de mobilisation générale, beaucoup ont ri y compris dans ceux aujourd'hui qui commentent avec beaucoup de gravité chaque jour, ou qui parfois chaque jour d'ailleurs accusent à tout va parce qu'on se met à tout confondre dans ce tourbillon et à dire celui-ci en est, celui-ci en est, passant d’une société en quelque sorte de l'oubli à une société de la délation généralisée.

A l'époque on a dit - je me souviens très bien le jour où ça a été présenté - ils n’ont pas de programme ; ils n’ont rien pour la société française parce qu'il n’y a pas le dur, il n’y a pas les choses auxquelles on est habitué. Quelques semaines après, je me rendais au Mans, Monsieur le Maire, cher ami et il me disait : j'ai quelqu'un de formidable dans mon équipe qui est engagé ; les gens trouvent que ce n'est pas un sujet extrêmement important ce qu'elle fait au Mans mais moi, elle m'a bluffé, va voir son association. J'y suis allé : c’était Marlène SCHIAPPA.

Alors en un an, quelque chose s'est passé qui est une immense libération en effet de la parole ; un immense appel des femmes pour que leur cause soit enfin au cœur du débat public ; un immense appel aussi des hommes qui veulent et doivent s'engager mais je ne veux pas aujourd'hui oublier que beaucoup restent encore muettes, que si nous sommes là et si beaucoup dénoncent et doivent continuer à dénoncer, si nous devons le faire chaque jour, beaucoup qui sont aujourd'hui dans notre pays, considèrent que cette parole n'est pas encore pour elles, n'osent pas parler, sont encore dans le camp de la honte et parce qu’elles sont femmes au foyer, parce qu'elles sont ouvrières, parce qu'elles sont employées parce que bien souvent, l'injustice sociale vient doubler cette violence faite au quotidien, n’osent pas dire et pensent que cette parole n'est pas pour elles. Et je veux qu'aujourd'hui, elles comprennent au moins une chose, c'est que cette clameur, ce cri dont vous avez parlé, c'est aussi le leur, c'est celui de chaque femme dans le pays, de chaque homme qui voit cela parce que l'indignité de ces comportements, parce que le caractère inacceptable de ce qu'ils recouvrent, il est dans chaque endroit de la République et que ce cri, cette clameur, chaque femme de la République y a droit.

Il a fallu que cette violence devienne justement une clameur, un cri pour être enfin audible de tous. Le couvercle avait commencé à être levé par la mobilisation, l'action depuis plusieurs années de beaucoup d'entre vous et je veux saluer toutes celles et tous ceux qui se sont battus depuis tant et tant d'années, parfois un peu seuls sur ce sujet, qu’on a aussi parfois raillé ou voulu renvoyer à une mobilisation accessoire ou anecdotique ; vous avez maintenu cette parole, vous l'avez préservée, vous avez rendu possible par des combats parfois ingrats ce qui advient aujourd'hui. Cette parole, elle est sans ordre, sans tactique, sans filtre et elle ne s'embarrasse pas de convenance, alors que certains se formalisent parce qu'ils mesurent mal la part de souffrance que cela relève. Ce qu'ils mesurent mal aussi, c'est que cette vague de libération de la parole dit de notre société ; qu’elle est une société encore culturellement empreinte de sexisme, qu'elle est une société où dans nombre d'endroits et de lieux, il y a encore cette brutalité au quotidien, cette violence et que cette empreinte est loin d'être neutre ; par le rapport de domination qu'elle légitime, elle est à la source d'actes encore plus destructeurs et insupportables, comme précisément le harcèlement et les violences. Car le combat contre les violences qui sont l'expression la plus extrême et odieuse de la domination d'un sexe sur l'autre, c'est bien le combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines.

Notre situation jusqu'alors démontre que quelque chose ne marche pas dans notre République. La honte que subissent ces femmes, une honte illégitime parce qu'elles sont déjà victimes, cette honte doit devenir celle de ces auteurs de violences et c'est surtout une honte civique et politique, une honte nationale car la République en échouant à éradiquer ces violences, a échoué dans sa vocation même qui est celle d'éduquer, de civiliser, de protéger et ce discours de dignité, d'égalité de droits, de justice, de respect que la République porte partout et en tout temps, semble n'avoir pas atteint la conscience de ceux qui commettent ces violences.

Ce ne sont pas des criminels comme les autres ; ce sont des pères, des frères, des patrons, des collègues, des maris ou des compagnons. Oui, la plupart d'entre eux appartiennent au cercle proche des victimes ; ce sont des citoyens ordinaires auxquels nous n'avons pas su inculquer les fondements mêmes de notre vie sociale, qu'aucune des règles, aucun des principes enseignés par l'école, par notre histoire, par nos lois, n'est venu éclairer ou simplement dissuader. Ce sont des citoyens que l'on croit honorables, qui ont une vie bien souvent normale mais qui nous déshonorent et déshonorent notre conception de la France et au creux de notre quotidien, s'est levée une forme de barbarie qu’on a voulu taire, dont on ne dit pas le nom parce qu’on ne veut pas reconnaître son visage parce qu'il nous est familier - c'est ce qui nous trouble le plus dans ces violences dont on parle - c'est pour ça que longtemps, au cœur des familles - et la littérature française est pleine de ces drames - on n'a pas dit parce qu'il ne fallait pas dire, parce qu'il y avait un ordre établi, parce qu'on connaissait bien celui dont on parlait, donc il ne fallait pas en parler comme ça.

Sous leurs coups, sous leurs abus, une femme meurt tous les trois jours en France. De cela, nous devons tous nous sentir responsables. C'est pourquoi au silence vide de l'indifférence, je vous propose ce matin d’opposer le silence vibrant du respect, pour Sophie, Anna, Emilie, Fatima, Catherine - je ne les citerai pas toutes - elles sont 123 à être décédées en 2016. Je vous prie d'observer une minute de silence en hommage à ces femmes battues, violées et tuées.

Minute de silence

J'associe à ce moment solennel la mémoire de Françoise HERITIER ; vous l'avez évoquée, chère Delphine ERNOTTE, fine observatrice des relations humaines qui structurent notre société, elle a su avec précision, avec une force admirable, pointer précisément ce qui dans notre société avait construit avec des explications culturelles, avec des rites, cette domination, cette inégalité entre les sexes ; elle avait montré tout ce caractère construit qu'on avait ensuite justifié avec des explications biologiques, physiques, cherchant à légitimer en quelque sorte la domination des hommes sur les femmes. Et comme tout cela est construit, nous pouvons le déconstruire ; comme tout cela est construit depuis des siècles, parfois des millénaires, cela prend du temps et il faut avoir de l’humilité pour le déconstruire mais c'est bien cette tâche à laquelle nous sommes attelés.

Ces hommes qui violentent, choisissent le plus souvent de le faire dans les lieux où les femmes devraient se sentir à l'abri : le foyer, le lieu de travail ; d'autres harcèlent dans ces espaces publics où on pense que le non-droit est devenu la règle - les transports - et où le regard pendant trop longtemps s’est détourné. Mais ce qui devrait être des sanctuaires, devient aujourd'hui des terrains de chasse, tout simplement parce qu'ils peuvent y user d'une supériorité : celle de l'âge, celle de l'autorité, celle du grade ou tout simplement celle de la force. Et d'une situation de nomination naît un droit à la violence ; parce qu'ils disposent d'une autorité morale ou hiérarchique, ils croient disposer du corps des femmes et donc de leur être car violer une femme, la violenter, c'est attenter à l'intimité de son être, à son identité profonde ; c’est détruire une personnalité parfois en construction chez les plus jeunes, avec les conséquences dramatiques que l'on sait. Et ce sont ces femmes qui plus est, qui après ont honte. Et je le dis à tous les hommes de la République, c'est leur dignité même à eux qu'ils bafouent ce faisant ; c'est leur part d'humanité qu'ils décident de réduire ; c’est leur part de citoyenneté à laquelle ils renoncent à chacun de ces actes, à chacun de ces moments. Et c'est pourquoi il est indispensable que la honte change de camp, que la République fasse ce qu'elle doit pour laver la sienne, que les criminels du quotidien qui harcèlent, injurient, touchent, agressent, ne soient plus jamais excusés mais repérés, vilipendés, traduits en justice, condamné avec toute la fermeté requise, sans aucune complaisance, sans aucune excuse car il en va de notre pacte républicain et la France ne doit plus être un de ces pays où les femmes ont peur.

Je veux cette exigence avec vous, qui est la condition de notre dignité ; je veux cette force de la République parce que je ne veux pas une société de la délation, mais aussi vrai que le silence assourdissant existe encore dans certains endroits de la République, je ne veux pas que nous tombions dans un quotidien de la délation qui n'est pas notre République. De la même façon, et c'est cela dont je suis à titre personnel le garant, partout, le droit doit passer ; la justice doit être au fait mais notre force, ce qui tient notre République, c'est la civilité ; c'est ce rapport d'égal à égal entre un homme et une femme ; c'est que citoyens, citoyennes, nous pouvons nous regarder, être ensemble, construire ensemble. Et je ne veux pas que nous tombions dans une société où chaque rapport entre un homme et une femme devient suspect d'une domination, comme interdit ; nous ne sommes pas une société puritaine, une de ces sociétés dont l'histoire même a irrigué une autre forme d'inégalité ou de séparation. Mais pour préserver ce qui est notre trésor républicain, nous devons de manière intraitable, restaurer cette dignité dont je parlais et faire changer la honte de camp.

Pour cela, je me suis en effet engagé à ce que la cause du quinquennat soit celle de l'égalité entre les femmes et les hommes et le premier pilier de cette cause, c'est bien la lutte pour l'élimination complète des violences faites aux femmes. Pour cela, je souhaite que nous nous donnions les moyens de mener une action résolue à hauteur des enjeux. Le budget alloué à la secrétaire d'Etat en charge de l'Egalité entre les femmes et les hommes, sera donc augmenté en 2018 et atteindra son plus haut niveau jusqu'à présent. Au sein de ce budget, les crédits attribués à la lutte contre les violences faites aux femmes, sont d'ores et déjà en hausse de 13%. Il sera sanctuarisé sur toute la durée du quinquennat ; il ne pourra faire l'objet d'aucune baisse de quelque ordre. Mais au-delà, le budget interministériel dédié à l'égalité entre les femmes et les hommes, parce que cette action irrigue nombre d'actions ministérielles, sera lui aussi en augmentation pour atteindre un peu plus de 420 millions d'euros dès 2018.

Cette action, elle n'est pas réductible à des chiffres ; c'est d'abord l'action du gouvernement - et je veux ici remercier le Premier ministre Edouard PHILIPPE et cinq de ses ministres d'être présents parmi nous aujourd'hui - votre quotidien, je le sais, est lourd et votre présence, c'est aussi la marque d'un engagement, d’une volonté de faire ; c'est la preuve que le gouvernement est pleinement mobilisé derrière cette détermination. Mais plus largement, si nous nous réunissons ici, c'est que ce combat doit être celui de la Nation toute entière et la mobilisation de la Nation toute entière, au-delà de celle du gouvernement et de nos administrations. Nous allons donc entreprendre une action résolue fondée sur trois priorités : la première, l'éducation et le combat culturel en faveur de l'égalité ; la deuxième, celle qui consiste à mieux accompagner les victimes et la troisième, celle de renforcer l'arsenal répressif.

Que nous dit la vague de libération de la parole à laquelle nous assistons depuis deux mois et qui ne faiblit pas ? Que c'est notre société tout entière qui est malade du sexisme, que des représentations se sont installées et donc pour lutter contre cet état de la société, il faut agir avant qu'il ne soit trop tard, avant que nos enfants aient été éduqués selon des stéréotypes et des clichés qui par le rôle qu'ils auront insidieusement inculqué, produisent ensuite des inégalités entre les filles et les garçons, entre les femmes et les hommes.

Lutter contre les violences faites aux femmes, c'est aussi avant tout mener ce combat culturel visant à diffuser la culture de l'égalité parce que c'est ce combat qui nous concerne tous – garçons, filles, femmes, hommes, enfants, parents - qui permettra de changer en profondeur les mentalités et c'est donc à dessein que je souhaite porter une politique affirmée de prévention des violences faites aux femmes, qui mobilisera à ce titre plusieurs leviers : l'éducation - vous en avez parlé Monsieur le Ministre - reste le principal levier de lutte contre les violences faites aux femmes ; l'éducation à l'égalité, cela commence dès la crèche. La crèche, ce n'est pas qu'un lieu de garde ; c'est un lieu où l'on se construit, où l'on apprend à être, où les premières relations non verbales se tressent et où les représentations qui sont données dès ce stade auront des conséquences dans le futur. C'est pour cela que les professionnels de la petite enfance doivent être formés afin de lutter contre les stéréotypes, y compris chez des enfants de bas âge. Il s'agit donc de construire le plus tôt possible une éducation combattant fermement les représentations du rapport entre hommes et femmes exacerbant le rapport de domination. Et donc la formation des personnels en crèche, la formation des maîtres à l'école maternelle, à l'école et tout au long de la formation, est un pilier indispensable pour lutter contre ces représentations. Il ne s'agit pas à mes yeux de nier la différence entre les sexes ou de vouloir tout confondre, mais il s'agit que cette altérité profonde à laquelle je crois et qui est notre richesse, ne se traduise pas en une inégalité insupportable qui elle, est un déterminisme culturel et une construction insupportable de nos histoires. Donc de préserver toute la part féconde d'une altérité réelle entre hommes et femmes pour à chaque fois rappeler, se battre et inculquer l'égalité absolue et non négociable entre les deux sexes.

Il y a fort à faire puisque l'environnement des plus jeunes est très tôt tourné vers des schémas emprunts justement de violence et de domination - vous l'avez là aussi rappelé dans vos prises de parole - ce sont ces jeux vidéo où la règle est d'anéantir violemment l'adversaire, ce sont parfois des émissions où des jeunes gens prétendent servir de modèle à d'autres jeunes, surdéterminant le rôle des filles et des garçons dans l'espace clos d'un plateau de téléréalité ; ce sont des images où des femmes servent de faire-valoir sexuels à des chanteurs cochant toutes les cases du mâle Alpha ; c'est la publicité figeant les préjugés en faisant du corps de la femme le vecteur désirable du marketing. Tout cela façonne des représentations et des imaginaires souvent ultra-virils, que l'école doit apprendre à analyser, déconstruire, remettre en perspective afin que le rapport de tension et de soumission entre hommes et femmes ne s'impose pas comme le modèle de référence. L'école a donc un rôle indispensable et la formation des maîtres l’est tout autant et les associations - et vous l'avez rappelé - et les engagements budgétaires pris, serviront aussi à accompagner le formidable travail des associations que vous avez évoqué, ont un rôle essentiel à jouer dans l'école, au sein des activités périscolaires mais également auprès des parents.

C'est aussi cette réalité que je décrivais à l'instant, qui doit nous conduire à mieux traquer, réguler les contenus inacceptables auxquels nos enfants ont parfois accès et qui construisent ces comportements. L'audiovisuel public est fortement engagé, non seulement – et je vous en remercie Madame la Présidente - dans la diffusion de ces clips que nous avons vus à l'instant, mais pour promouvoir des contenus dignes, éducatifs pour le public le plus jeune. Le CSA joue un rôle indispensable pour là aussi réguler ces contenus partout sur notre audiovisuel et éviter que les comportements les plus indignes ne fassent l'objet d'une forme de propagande tacite. Mais nous devons regarder aussi les usages en train de se transformer ; les plus jeunes regardent infiniment moins la télévision que les plus âgés. Et ce comportement va croissant. Et nous ne régulons pas aujourd'hui l'accès aux jeux vidéo, aux contenus sur Internet, aux contenus pornographiques de plus en plus diffusés. En 2018, sous l'autorité du Premier ministre et avec l'engagement tout particulier de la Garde des Sceaux, nous devrons donc repenser le cadre de notre régulation des contenus, en particulier des contenus audiovisuels, en prenant en compte l'évolution du numérique et afin d'étendre les pouvoirs et la régulation du CSA pour que ce contrôle indispensable, ce soin élémentaire de la République, puisse être porté sur tous les contenus qui peuvent fragiliser, faire basculer ou conduire à la violence, en particulier contre les femmes.

L’école doit aussi identifier les premiers canaux d'expression de ce rapport de domination que sont les réseaux sociaux où le harcèlement se donne trop souvent libre cours sans que ni les enseignants, ni les parents ne soient formés à le repérer et à le contenir. C'est pourquoi nous devons mettre en place une véritable prévention du cyber-harcèlement et là aussi, en 2018, des modifications législatives seront portées pour non seulement mieux prévenir mais poursuivre ceux qui agissent sur internet pour harceler. Unissant monde virtuel, stéréotypes, domination et violence, la pornographie a trouvé, grâce aux outils numériques un droit de cité dans nos écoles. La consommation s’en est banalisée et le ministre de l'Education nationale l’a dit : nous devons prendre à bras-le-corps ce phénomène que nous avons trop longtemps refusé de voir parce qu'il embarrasse les parents comme parfois les enseignants.

Une opération de sensibilisation des parents sera donc lancée à l'occasion de la prochaine réunion de rentrée afin d'aider les parents à mieux détecter l'exposition de leurs enfants à la pornographie et à mieux repérer les signes de cyber-harcèlement. Les personnels de l'Education nationale mais aussi les personnels sociaux et de santé, présents dans les établissements, les personnels des services périscolaires doivent se former à décrypter, expliquer, prévenir comme ils se sont formés à le faire sur d'autres phénomènes parce qu’aujourd'hui, la pornographie a franchi la porte des établissements scolaires comme naguère l'alcool ou la drogue. Nous ne pouvons pas d'un côté déplorer les violences faites aux femmes et de l'autre, fermer les yeux sur l'influence que peut exercer sur de jeunes esprits, un genre qui fait de la sexualité un théâtre d'humiliation et de violences faites à des femmes qui passent pour consentantes.

Cette éducation cependant ne saurait se limiter aux plus jeunes ; elle doit être menée auprès des enseignants et de tous ceux qui sont amenés à dialoguer avec la jeunesse, afin de trouver, pour décrire le rapport entre hommes et femmes, le langage commun de l'apaisement et de l'entente en lieu et place d'une relation déformée par les stéréotypes. Aussi, au-delà de l'école, l'ensemble des structures de formation et des écoles formant des fonctionnaires ou des futurs personnels des services publics seront particulièrement concernées par l'exemplarité ; l'Etat et le service public, c'est notre action chaque jour sur le terrain. Dès 2018, un grand plan de formation initiale et continue sera donc déployé dans le secteur public, avec une attention particulière portée sur la formation des cadres. Dès 2018, dans toutes les écoles du service public, un module d'enseignement consacré à la prévention et à la lutte contre le sexisme, le harcèlement et les violences, sera intégré. Il en sera de même pour les formations continues.

Prévenir les violences, changer le cadre culturel dans lequel nous évoluons, c'est aussi adapter nos services publics afin qu'ils protègent mieux les femmes aujourd'hui. Pour cela, je souhaite par exemple – et ce sont des sujets très concrets du quotidien qui supposent l'attention de ceux qui organisent les services publics sur chacun des détails - mais par exemple, en termes de transport, ce qui a été initié dans plusieurs villes qui est l'arrêt du bus à la demande qui fait que lorsqu'une femme, le soir, se promène dans la rue et a peur, peut en hélant le bus, le faire arrêter – cela a été essayé à Bordeaux et dans d'autres villes - est un élément indispensable d'amélioration du service public. Là où dans nombre d'endroits, on continue à demander d'aller se rendre à la station, d'attendre le prochain lorsqu'on l’a raté, s'exposant à la peur et parfois à l'agression. Et nous devons par cette sensibilisation et cette formation mais par la transformation même des comportements du quotidien, de l'organisation intime de nos services publics, progressivement changer les choses pour que la vulnérabilité d'un moment, pour que la protection apportée par le service public - et elle est légitime - puisse mieux être organisée et se faire.

Cette vigilance, cette mobilisation, nous y veillerons en particulier dans nos territoires d'outre-mer parce que là aussi, les violences faites aux femmes se sont installées et parce qu'elles ont parfois été justifiées par des explications culturelles ou géographiques, de manière inacceptable. Le territoire de la République est intègre, complet et ça n'est pas parce qu'on se trouve en Polynésie, à Mayotte ou en Guyane, que l'inégalité entre les hommes et les femmes pourrait être repensée dans un autre cadre et que les violences pourraient être davantage tolérées. Cette campagne que j'évoquais, de formation, sera aussi exigeante dans nos territoires d'outre-mer. L'adaptation du service public à ces règles le sera tout autant mais l'éducation et l'effort éducatif seront là aussi renforcés parce que nous en avons besoin.

De façon générale, c'est toute la société qu'il faut embarquer dans un véritable combat culturel ; l'Etat doit s'engager et il en va de sa responsabilité évidente d'exemplarité ; l'Etat est en capacité de faire changer ces représentations et de faire émerger une vraie prise de conscience, comme le montrent les campagnes pour la prévention routière qui avec les années ont modifié le comportement à force de pédagogie, de diffusion de modèles alternatifs. Nous devons donc entreprendre un travail analogue et nous allons lancer ainsi la première grande campagne sur ce thème au plan national. Vous en avez vu les premiers extraits. Conçue à destination de toute la société, cette campagne gouvernementale aura plusieurs objectifs : susciter une prise de conscience collective, informer les victimes sur les démarches à faire, les numéros à appeler comme le 39 19, les lieux où se rendre, les sites à consulter comme le site qui était tout à l'heure affiché sur l'écran « Stop violences femmes », sensibiliser la société à la problématique des violences et enfin responsabiliser les témoins de violences sexistes et sexuelles en les invitant à aider les victimes qu'ils connaissent. Ce sont des actes du quotidien ; c'est redonner un sens à la citoyenneté, lui redonner un contenu véritable et l'Etat, par cette mobilisation, s'engagera pleinement derrière le travail qui a été commencé depuis tant et tant d'années par nombre d'associations.

Toujours dans cette optique de combat culturel, je souhaite que soient menées des opérations de testing sur la discrimination des femmes, notamment à l'embauche et au cours de leur carrière professionnelle. Je veux que l'on puisse objectiver la réalité de cette discrimination pour mieux la combattre. Vous avez commencé, Madame la Ministre, à vous engager sur ce point. Je remercie les entreprises qui ont à cet égard manifesté des caractères d'ores et déjà exemplaires d'engagement ; mais nous devons continuer à aller plus loin et le rôle de l'Etat, c'est de continuer à mobiliser les entreprises comme des acteurs de la société, comme des consciences - et vous l'avez démontré à titre très personnel - et de pouvoir vérifier et stigmatiser quand ça n'est pas le cas.

L’Etat, je l’ai dit, a une grande part de responsabilité mais l'Etat ne résume pas la société et l'Etat ne fait pas à lui seul et tout seul la culture d'une société. C'est aussi pourquoi la puissance publique, dès aujourd'hui, interpelle solennellement les publicitaires, les médias, les industries du jeu, de la mode, des cosmétiques à engager une réflexion approfondie sur leur usage de la représentation et de la place des femmes. C’est par votre mobilisation à tous, membres de la société civile, entreprises, associations, professionnels, que nous remporterons ensemble ce combat culturel ; c'est parce que chacun dans ses choix quotidiens, dans ses expressions, dans ses engagements prendra en compte cette égalité, ce devoir de dignité que j'évoquais, que nous gagnerons la bataille culturelle. Car de ce changement culturel, vous êtes, vous qui êtes réunis ici, les premiers relais. Faites que d'autres démultiplient vos efforts et scellons un pacte de l'égalité entre hommes et femmes et donnons à la question des violences le poids qu'elle mérite au sein de ce pacte ; remportons cette bataille de l'éducation et de la culture partout où nous sommes car il en va du sort de notre société tout entière.

Le deuxième combat, celui sur lequel l'Etat peut aussi beaucoup, c'est celui pour les victimes ; la plainte pénale est le dernier ressort, un pas difficile à franchir quand l'agresseur est un proche ou un membre de sa famille, un supérieur hiérarchique. Et la plainte, non seulement, expose celle qui n'ose aujourd'hui pas aller la déposer avec la crainte qu'elle détruirait le reste de la famille, les liens qu’elle a déjà, avec la peur aussi des représailles. Sur les 225.000 femmes victimes de violences en 2016, moins d'une sur cinq a déposé plainte ; plus de la moitié n'a fait aucune démarche auprès d'un professionnel ou d'une association. Nous avons des progrès à faire pour prendre en charge les victimes en dehors du cadre judiciaire, pour les aider à vaincre la peur, la honte qui les animent. C'est pourquoi nous mettrons en place un signalement en ligne pour les victimes de violences, harcèlements et discriminations. En évitant à la victime de se déplacer, ce système permettra à la victime d'être orientée et accompagnée de chez elle dans ses démarches vers les commissariats ainsi que vers les associations qui peuvent lui venir en aide.

Ce signalement sera mis en œuvre dès le début de l'année prochaine de manière complète et se fera sous forme de discussion interactive, instantanée pour permettre un échange personnalisé et adapté avec un policier formé, disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. La mise en place de cette procédure de signalement en ligne fera l'objet d'un travail entre le ministère de la Justice et le ministère de l'Intérieur, conduira à la formation de professionnels, à l'organisation justement d'une plateforme intégrée et d'un travail avec l'ensemble des associations qui seront là aussi mobilisées sur ces plateformes pour pouvoir, au-delà de cette instruction et de ce dépôt de plainte possible, de ce signalement en ligne, agir, entourer, protéger.

Nous devons aussi mieux repérer les femmes victimes de violences -vous l'avez évoqué à plusieurs reprises vous-même, Madame la Ministre, dans votre propos introductif - n'oublions pas qu'avant d'arriver à la plainte et à ce qui est parfois l’irréparable, il y a eu des signes, il y a eu parfois des tentatives de parole ou il y a eu des occasions de parole manquées. Il y a eu ces consultations où on était tombé dans l'escalier, ou pour une nouvelle fois, on était maladroite ; il y a eu tous ces moments où en quelque sorte, l'occasion était offerte de parler et n'a pas été prise parce qu'on n'a pas suffisamment entendu, parce qu'on n'a pas osé, parfois parce qu'on n'a pas voulu.

Les professionnels de santé sont souvent sans le savoir les premiers à être en contact avec des femmes victimes de violence, soit qu’elles arrivent en urgence, soit qu’elles arrivent régulièrement blessées.

Je sais votre sensibilité là aussi madame la ministre et les pratiques des professionnels de santé seront ainsi réinterrogés. Je souhaite que soit généralisé le questionnement systématique des femmes sur le sujet du harcèlement et des violences par tous les professionnels de santé. Ces derniers devraient interroger les femmes qu’ils reçoivent pour la première fois, en leur demandant si elles sont ou ont été victimes de violence ou de harcèlement, avec libre exercice du jugement qui est celui d’un médecin ou d’un professionnel de santé. Et ce peut être le point de départ, le déclic, l’espace de parole et de reconnaissance essentiel à toute démarche à entreprendre pour les victimes.

Ensuite, il s’agit de mieux les aider, de faire en sorte que leur parcours ne devienne pas – en plus de l’horreur vécue – un parcours de combattante. Je souhaite le dire clairement, quand une femme est victime de violence, c’est à tous les acteurs qu’elle rencontre de l’accompagner. Ce n’est pas par exemple à elle dans sa vulnérabilité, dans la souffrance qui est déjà la sienne et parfois la honte qui accompagne cette souffrance, de se sentir obligée de justifier qu’elle est une victime, de raconter 3 fois, 4 fois, 5 fois ce qui lui est arrivé dans un commissariat.

Si elle est prise en charge aux urgences, je souhaite qu’elle ne soit pas obligée ensuite d’aller porter plainte le lendemain au commissariat. Facilitons son parcours, mieux accompagner c’est prendre soin de ces femmes et les aider psychologiquement. Les violences subies ont un effet dévastateur et là aussi, les chiffres ne disent pas tout de l’épaisseur des vies, mais il raconte beaucoup de l’horreur.

Il y a 5 fois plus de tentatives de suicide chez les femmes victimes de violence, elles perdent une à quatre années d’espérance de vie. Il s’agit donc d’organiser la prise en charge psycho-traumatique des victimes. Nous souhaitons ainsi créer dès 2018 dans les centres hospitaliers des unités spécialisées dans la prise en charge globale du psycho-trauma. La résilience des femmes agressées ne passe pas seulement par une solution judiciaire mais par la consultation, par la reconstruction.

La France en ce domaine a déployé de fortes compétences et 10 de ces unités seront crées en France métropolitaine dans les mois qui viennent à titre pilote. Dans le même temps, les soins psycho-traumatiques liés à ces violences pourront être pris en charge par la Sécurité sociale. Beaucoup se joue dans ces établissements de santé et il y a – vous l’avez évoqué en parlant de l’association dont vous êtes la marraine – aussi ces femmes qui dans notre société subissent une autre forme de violence qu’est l’excision.

La France continuera à se battre dans les prochaines semaines et les prochains mois pour défendre le caractère universel des droits des femmes. Il n’y a aucun relativisme culturel qui puisse expliquer qu’on réduise et qu’on mutile. Et je vous le dis ici clairement, la France sera ferme sur tous ses engagements.

Mais nous veillerons aussi, pour les femmes françaises qui sont soumises à l’excision, à traquer partout ceux qui pratiquent cette barbarie, à aider les associations mais aussi les services médicaux qui réparent et protègent ; et avoir une attention toute particulière pour les femmes migrantes demandant le droit d’asile ou en passe de l’obtenir qui fuient leur pays parce qu’elles cherchent aussi à fuir l’excision pour elles-mêmes ou pour leurs petites filles.

Puisque beaucoup se joue dans les établissements de santé, nous mettrons en place dans les unités médico-judiciaires un système de recueil de preuves sans dépôt de plainte, afin de faciliter les démarches des victimes. Et cette facilité est essentielle, parce que le dépôt de plainte est – je l’ai dit – une démarche compliquée, il faut néanmoins déployer de nouvelles façons d’aider les victimes à défendre leur cause.

Dans le même esprit, nous déploierons dans les structures d’accueil des femmes victimes de violence des référents de la police et de la gendarmerie. Les associations là aussi font un travail remarquable et sont souvent le premier rempart, avec des bénévoles associatifs qui au quotidien, la nuit comme le jour, protègent, sont les garants du digicode qu’on cache à tout le quartier, au fait qu’on ne va pas pousser la porte, guettent aux fenêtres celui qui vient rôder.

Il est donc indispensable que dans les structures d’accueil, il puisse y avoir une coopération renforcée avec les forces de police et de gendarmerie, pour que le dépôt de plainte puisse aussi venir se faire dans ces centres, parce que bien souvent (on le sait) ces femmes ont peur d’aller jusqu’au commissariat, par la honte, parce qu’elles ont tout simplement peur de sortir et parce qu’il y a déjà tant à faire dans le centre où on les protège.

Les femmes hésitant ou craignant de déposer plainte verront ainsi venir à elles des agents faisant le trait d’union entre une situation de violence et les suites judiciaires à donner. La justice viendra aux femmes et non l’inverse.

Cet accompagnement, cette écoute doivent aussi se généraliser dans la société civile. Le lieu de travail doit ainsi être un endroit où les victimes se sentent protégées et écoutées. Hélas ! Le lieu de travail est parfois un lieu de la violence faite aux femmes aussi. Il importe de ne pas laisser le territoire aux prédateurs, car les harceleurs et les violeurs restent encore aujourd’hui trop couverts par une forme d’omerta, de silence honteux ou de relativisme moral. Les entreprises et les administrations doivent prendre leur responsabilité dans ce domaine.

C’est pourquoi la ministre du Travail a écrit un courrier il y a une semaine à l’ensemble des partenaires sociaux pour les appeler à faire part de leurs propositions, afin d’améliorer la prévention et la lutte contre les violences sexuelles ou sexistes sur le lieu de travail. Je souhaite qu’une réunion multilatérale soit organisée rapidement au niveau du Premier ministre sur ce sujet.

En attendant, nous allons renforcer l’intervention de l’Inspection du travail en matière de lutte contre les violences sexuelles et sexistes, en en faisant l’une des priorités de l’action de l’Inspection du travail au quotidien.

Le lieu de travail c’est aussi l’administration, nous allons généraliser sur le lieu de travail les cellules d’écoutes dédiées au personnel de l’administration victime de harcèlement, violence et discrimination ; et qui permettent d’abord aux victimes de s’exprimer dans un lieu dédié, indépendant de la ligne hiérarchique mais aussi d’accompagner les victimes dans leurs démarches.

Enfin ! Nous allons créer une application numérique pour faciliter l’assistance aux victimes de cyber-harcèlement et de cyber-violence. La Fédération nationale de solidarité femmes qui a crée le 3919 – le numéro d’écoute national destiné aux femmes victimes de violence, mais aussi à leur entourage et aux professionnels en contact avec elles – développera cette application numérique. La parole sur ce sujet doit aussi émerger, elle ne doit pas être vécue comme une mise en danger supplémentaire mais comme une voie vers la sécurité.

Enfin ! C’est notre appareil répressif qui doit aussi évoluer. De nombreuses femmes avaient confié à nos marcheurs que la première violence sexiste rencontrée est celle du harcèlement de rue. Oui, aussi absurde que cela puisse paraître, à la parole bridée et honteuse des femmes s’oppose la parole débridée des harceleurs qui, en toute impunité, pratiquent l’interpellation agressive, l’injure, la stigmatisation. Il faut bien le dire, pendant longtemps c’est aussi l’indifférence, le regard détourné qui a accompagné ce harcèlement. Cela n’est pas acceptable.

Les femmes doivent avoir toute leur place dans la société et celle-ci inclut l’espace public. Aucun lieu public ne peut leur être interdit et partout, dans tous les quartiers, les femmes ne peuvent pas en République avoir peur de sortir. Les rues des villes ne sauraient être le défouloir ou la propriété de certaines personnes et l’enfer quotidien des femmes de France.

Aussi, ce sujet sera l’une des priorités de la police de sécurité quotidienne lancée par le ministre de l’Intérieur et sur lesquelles, les consultations aboutiront dans les toute prochaines semaines. Mais nous créerons aussi le délit d’outrage sexiste qui sera verbalisable immédiatement pour un montant dissuasif.

Pourquoi cela ne fonctionne pas aujourd’hui, parce que lorsque cet outrage est vu, il est considéré comme mineur, celle qui le subit ne va même pas au poste, c’est trop loin, c’est trop loin, c’est trop contraignant et on sait qui plus est dans les quartiers déjà les plus difficiles que les policiers ou les gendarmes ont tant et tant à faire. Donc on abandonne, on n’y va pas.

Et quand bien même on commence à instruire une procédure, trop souvent et de manière inexcusable les policiers abandonnent, considérant que c’est quelque chose de mineur ou qui n’avait pas d’importance. Et quand bien même cela aboutit, ce sont les magistrats qui, souvent dans ces juridictions les plus surchargées, considèrent que ce qui est moins grave n’est pas prioritaire ; et les délais sont les plus longs quand le délit ou le crime est caractérisé, avec trop souvent simplement là aussi un classement sans suite, un rappel à la loi.

Il est donc indispensable que nous donnions aux forces de sécurité la possibilité d'agir immédiatement ; de donner le signal fort qui éduque là aussi, qui corrige, qui répare, qui rétablit la dignité et donne un sens à leur propre activité. C'est l'objectif de ce délit d'outrage sexiste. Nous généraliserons les caméras dans les transports et le développement justement d'une action déterminée de cette police de sécurité du quotidien.

Dans le domaine judiciaire, nous constatons que le temps nécessaire à la parole pour se libérer épuise trop souvent le délai de prescription, en particulier dans les cas d'agressions intervenues sur des victimes mineures dont les effets psychiques sont les plus lourds. Nous savons toutes ces histoires enfouies, intimes, familiales où le pire a été commis et où rien n’a été dit.

Parfois, cela a été dit à un frère, une sœur, une mère pour ensuite être caché et ne plus jamais être répété, pour être oublié, croyait-on. Et puis à un moment ça ressurgit et à un moment, ça finit par expliquer des années de vie ou des décennies de vies parce qu’on ne l’avait pas dit. Et cette parole enfouie, lorsqu’elle trouve sa voie, elle ne peut rester sans effet.

Nous avons ainsi décidé d’allonger le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur mineurs. Si l’imprescriptibilité n’est pas une solution pertinente, il s’agit en revanche d’allonger ce délai en le portant de 20 à 30 ans. C’est ce qui sera fait dans le futur projet de loi consacré aux violences sexuelles et sexistes qui sera présenté en 2018.

De même, nous ne pouvons admettre ce qui encore ces dernières semaines a été commenté, connu, le fait qu’on puisse reconnaitre qu’un enfant de 11 ans puisse être réputé consentant lorsqu’il a eu une relation sexuelle avec un adulte. Notre Code pénal laisse là des ambiguïtés intolérables. Le juge doit toujours avoir une libre appréciation, mais c’est à la loi de lui donner des limites.

Ces affaires ont révélé un vide juridique que nous souhaitons combler. C’est pourquoi nous fixerons une règle claire dans la loi, parce que nous ne pouvons admettre que la présomption de consentement s’applique de façon aussi floue lorsqu’advient une relation sexuelle entre un mineur et un adulte.

Plusieurs âges ont été évoqués en regardant ce qui se fait dans d’autres pays, 13 ans, 14 ans, 15 ans. C’est un sujet de grande sensibilité où le débat de société, de conscience doit prendre toute sa place. Et il y aura un débat à l’Assemblée nationale parce qu’il touche la conscience de chacun. C’est aussi un sujet neuf qui doit être abordé avec gravité et discernement.

Mais je veux ici vous donner une conviction personnelle, c’est que nous devrions sans doute aligner sur l’âge de la majorité sexuelle fixée dans notre droit à 15 ans… par souci de cohérence et de protection des mineurs cette présomption. Et je souhaite que tous les points de vue soient expertisés, je ne veux pas écraser cette discussion dans la société, je souhaite que les analyses se confrontent, soient débattues et que la consultation lancée par la garde des Sceaux et la secrétaire d’Etat en charge de l’Egalité entre les femmes et les hommes puisse être menée à son terme. Mais je me devais de vous livrer une conviction intime, profonde, réelle.

Toutes les mesures, les engagements que je viens ici d’expliquer devant vous composent les premières annonces d’un grand plan d’action, qui couvrira tout le quinquennat et sera continuellement nourri de nouvelles actions permettant de mieux assurer l’égalité, de mieux lutter contre les violences.

Il ne s’agit pas de dire aujourd’hui « voilà tout ce que nous allons faire » et la page se tourne, non. Vous l’avez compris, d’abord parce que le combat que beaucoup d’entre vous mènent depuis tant d’années est parfois solitaire, je veux leur dire aujourd’hui solennellement : vous n’êtes plus seuls, il y a un gouvernement qui est à vos côtés, un Premier ministre qui est là avec plusieurs ministres et un président de la République qui croit dans ce combat ; et qui croit que c’est un combat essentiel parce que la part maudite d’une société dit parfois tout de cette société. Et cette part maudite, celle qui accepte les violences indicibles, l’indignité d’un comportement, le pire parce qu’il était caché dit trop d’une société qui n’est pas notre pays, qui n’est pas notre République.

Et donc ce qui commence aujourd’hui, c’est non seulement cette mobilisation de toute la nation pour l’égalité entre les femmes et les hommes, que nous poursuivrons et que nous continuerons à décliner sur le plan de l’égalité au travail, de l’égalité face à la création d’entreprise, de l’égalité dans les médias, de l’égalité partout, mais ce combat commence par l’éradication des violences faites aux femmes, parce qu’il en est la condition première indispensable.

Il est éducatif, culturel, sanitaire et social, judiciaire, parfois policier et il vous implique tous. C’est un combat que nous devons gagner sur la violence du quotidien, mais aussi sur des représentations perverties de la relation entre homme et femme, sinon nous acceptons ce dissolvant de toute la société, cette indignité.

Nous avons parfois réussi par le passé en mobilisant tous nos concitoyens à gagner certaines de ces batailles qu’on pensait impossibles. Et en effet, je le disais tout à l’heure, ce que nous avons su faire face à l’insécurité routière, aux violences de la route, c’est un peu cela ce que nous devons faire sur quelque chose qui touche notre intimité encore plus profonde, parfois nos constructions anthropologiques.

Donc cela a pris plus de temps, ça peut sembler plus difficile, mais c’est aussi indispensable. C’est cette prise de conscience collective partout, c’est cet éveil que toutes et tous vous allez porter et que nos concitoyens vont porter. Nous serons sans faiblesse, parce qu’il en va de nos valeurs et de l’idée même que nous nous faisons de la République.

C’est donc à dessein qu’aujourd’hui, en cette Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, je décrète le lancement de la grande cause du quinquennat. Cette grande cause sera décomposée en priorité annuelle thématique ; et je souhaite que la première de cette priorité soit la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Je serai personnellement attentif à ce que cette grande cause remplisse pleinement sa fonction, celle de faire de notre société une société plus égalitaire, plus juste. Et je sais pouvoir compter sur votre exigence, votre vigilance à chaque instant si nous ne sommes pas au rendez-vous.

Je relisais il y a quelques jours une lettre que BAUDELAIRE écrivait à sa mère, une nuit où il parlait de son découragement, du caractère insupportable de la vie. Et au milieu de la nuit, il décrivait ce moment, celui où souvent il se mettait à écrire de ce qu’il appelait « le ressaisissement ». C’est ce qui est en train de se passer dans la société française, c’est le moment du ressaisissement.

Et il avait deux formules qui peuvent sembler paradoxales ou inconciliables pour certains, mais qui sont exactement ce que nous sommes en train de vivre et ce que nous devons continuer à faire. Il disait : c’est ce moment où j’arrive à la netteté de la vérité et où je retrouve la puissance de l’espérance. Ce que nous devons à toutes les femmes, c’est la netteté de la vérité jusqu’au bout du bout de la justice, des réparations faites et de l’indispensable prévention, de la déconstruction de toutes les injustices, parce que derrière la netteté de cette vérité, il y a la puissance de l’espérance, celle que porte la République, celle que porte aussi votre combat à vous qui l’avez mené depuis tant et tant d’années.

Alors si je peux redonner un peu de puissance de l’espérance à vous qui vous vous êtes senties parfois seules, quelques fois salies, d’autres fois sourdes ou non-entendues. Si la République peut redonner un peu de puissance de l’espérance à chacune d’entre vous et le faire chaque jour un peu plus, nous serons là pour quelque chose. Alors vous compterez chaque jour sur mon engagement durant les années qui viennent, sur celle du gouvernement parce que c’est le combat que nous avons choisi. Je vous remercie.

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