Il était l’un des deux derniers Compagnons de la Libération. Daniel Cordier est mort aujourd’hui. Avec lui, c’est la mémoire vivante de la Résistance qui s’éteint. Il avait traversé ce que notre histoire a de plus brûlant, de plus douloureux, mais aussi de plus héroïque, et il en avait livré les témoignages les plus exacts et les plus poignants.

Toute la vie de Daniel Cordier a été mue par un goût inouï de la liberté, une bravoure impétueuse, une curiosité insatiable, et, par-dessus tout, par un immense amour de la France. Cet amour prit d’abord la forme doctrinaire d’un engagement nationaliste à l’Action française, mais se mua à l’heure des combats en un patriotisme fraternel.

Pour la liberté et l’honneur de la France, il entra en Résistance, quitta tout, accepta le danger, la solitude, la routine aride et les complications insensées des réseaux clandestins, la lancinante incertitude du jour d’après. Il n’avait pas encore 20 ans lorsqu’il rallia l’Angleterre au début de l’été 1940, espérant prendre les armes. Finalement affecté à l’administration des réseaux de Résistance de la zone Sud, il fut parachuté en 1942 et devint alors le secrétaire et le bras droit d’un dénommé « Rex », que l’histoire connait mieux sous son nom de Jean Moulin. Leur engagement, comme celui de toute cette armée du secret, permit qu’au jour du débarquement les alliés vissent se lever de l’ombre où elle était tapie une France prête à reprendre en main son destin.

Lorsque cette France pour laquelle il s’était battu lui fut enfin rendue, lorsqu’il ne fut plus question de survivre mais de vivre, Daniel Cordier sentit en lui un inépuisable appétit de voyage, de découverte et d’art. Car Jean Moulin lui avait partagé sa passion de la peinture, poussant devant lui les portes de mondes inconnus. Alors, ce qui pendant la guerre avait été son jardin secret devint sa raison de vivre. 

Tous les espoirs et les grands noms de la peinture abstraite se côtoyèrent bientôt dans la galerie qu’il ouvrit à Paris en 1956, puis à Francfort et à New York. En 1964, toutefois, il cessa le commerce d’art pour réinventer sa vie une fois encore. Il voyageait, achetait des œuvres pour son propre compte, organisait des expositions et contribua à la fondation du Centre Pompidou, dont il étoffait les collections par ses conseils et ses dons généreux. 
Mais cette épopée artistique fut interrompue en 1977 lorsque le résistant Henri Frenay publia L’Enigme Jean Moulin, qui laissait entendre que Moulin, malgré son indéniable héroïsme, jouait un double jeu et servait en réalité les communistes. Pour rétablir la vérité, Daniel Cordier se lança dans un travail biographique long de vingt ans et de six volumes.

Mu par un nouvel amour, celui de l’histoire, Cordier prouva alors qu’il était la mémoire même de la France Libre. Mieux que tous les autres, il connaissait chaque date, se rappelait chaque fait. Ce qui renaissait sous sa plume, ce n’était pas seulement la grandeur de Jean Moulin, c’était aussi tous ces héros anonymes, les mille risques qu’ils prenaient chaque jour pour faire vivre une certaine idée de la France qu’ils avaient en partage. Quitte à priver la légende de ses aspects les plus romanesques, il a souligné la difficulté des jours et des nuits de la Résistance, les tensions, les errements et les erreurs, les espoirs souvent déçus mais jamais taris, cet optimisme fou enfin, ancré dans une foi absolue en la France. 

Daniel Cordier se livra ensuite à un exercice plus personnel encore en rédigeant ses propres mémoires de guerre, Alias Caracalla : une fresque de 900 pages dans laquelle il ravivait ses souvenirs avec une précision et une justesse frappantes, de son ralliement à la Résistance jusqu’à la mort de Moulin.

Aujourd’hui les ombres glorieuses de la France Libre, « l’humble garde solennelle » qu’évoquait Malraux lors de son hommage à Jean Moulin en 1964, semblent lui faire escorte. Le Président de la République s’incline avec respect, émotion et affection, devant la mémoire de cet homme dont la vie entière aura conjugué l’amour de la France et la passion de la liberté, le goût du beau et le souci du vrai.

 

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