23 novembre 2017 - Seul le prononcé fait foi

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Discours du Président de la République Emmanuel Macron à la cérémonie de remise de prix de la fondation Chirac

SEUL LE PRONONCE FAIT FOI.

Messieurs les Premiers ministres,

Monsieur et Madame la Ministre,

Monsieur le Président du musée du Quai Branly, Jacques CHIRAC,

Madame Claude CHIRAC,

Mesdames et Messieurs les membres du jury,

Chers lauréats,

Mesdames et Messieurs,

Jacques CHIRAC avait une conviction profonde, héritée du Général de GAULLE et de la tradition humaniste et libérale française. C’est que la France n’est grande que si elle est ouverte au monde. Français comme il était, de famille, de tradition, d’enracinement de sol, son esprit et son cœur ont toujours regardé au-delà de nos frontières, n’ayant de cesse que de se projeter vers ces ailleurs.

Cet ailleurs fut longtemps son jardin secret, certains prétendent même qu’il a savamment entretenu ce jardin secret, refusant de partager cette autre part de lui-même. Mais ce fut aussi à n’en pas douter sa nourriture profonde. Les arts asiatiques, en particulier japonais, la réflexion sur les arts dits premiers, sa passion pour des cultures que les Français considèrent parfois comme exotiques, alors qu’elles ont nourri un pan entier de notre pensée et de notre vision du monde, tout cela a profondément nourri son action, ses convictions, sa détermination et cet esprit que vous avez rappelé, il y a un instant Monsieur le Premier ministre pour en effet agir pour la paix et constamment construire la paix.

Et que l’on songe à nos grands explorateurs, à des anthropologues comme Claude LEVI-STRAUSS, dont cet amphithéâtre porte le nom, à des écrivains comme Roger CAILLOIS ou André MALRAUX, à des poètes comme SEGALEN, la France s’est toujours enorgueillit de cette ouverture au monde, de ces savants, de ce gout pour l’altérité véritable qui forge notre conscience et notre action.

Ce que l’on a présenté souvent comme les passions privées de Jacques CHIRAC sont devenues publiques, lorsqu’elles ont pris le visage d’un musée unique en son genre, riche de collections inouïes dont je voudrais qu’elles soient le trait d’union entre notre culture et les autres, parce que ce musée n’a à cet égard rien d’anecdotique, est celui qui porte aujourd'hui le nom de Jacques CHIRAC, traduit cette volonté qu’il a constamment eu à travers sa politique étrangère et son action d’entretenir ce dialogue constant entre notre culture, notre histoire et ces altérités parce qu’elles n’ont vécu et ne se sont construites que dans ce dialogue permanent.

C’est pour cette raison sans doute que le multilatéralisme était si cher à Jacques CHIRAC, car il est le visage, en matière diplomatique, de ce respect de l’autre et du désir de paix qui naissent de la connaissance de l’Autre. Et à ce titre, je peux dire avec beaucoup d’humilité que c’est bien dans ses pas que je tente d’inscrire mon action.

J’étais il y a quinze jours, avec plusieurs d’entre vous, à Abou Dhabi pour inaugurer un nouveau Louvre. Le premier musée universel du monde arabe et le premier musée universel à ouvrir depuis le Metropolitan Museum en 1872. C’est le Président CHIRAC qui fut à l’origine de ce projet avec plusieurs d’entre vous, dont les objectifs civilisationnels sont identiques à ceux poursuivis dans notre musée, ici, et qui du reste a contribué au Louvre Abou Dhabi.

Et la Fondation qui l’a créée, récompense des acteurs de la société civile engagés dans la poursuite de cet idéal de paix et de respect de l’autre. Et je veux ici saluer au-delà des lauréats du jour, les lauréats des années précédentes ici présentes qui traduisent ce même engagement et cette même action. Elle poursuit dans le domaine artistique, culturel, intellectuel, ce que fut l’œuvre comme Président CHIRAC lors de ses deux mandats.

Cette Fondation, c’est le regard de Jacques CHIRAC sur le monde qui se perpétue par-delà les mandats électifs. C’est un idéal qui se transmet à l’écart des avanies de la vie politique. C’est en cela que la Fondation Jacques-Chirac fait œuvre politique au sens le plus noble et le plus rayonnant de ce terme et que l’action qu’elle porte, les convictions et vous en avez rappelé professeur à l’instant, j’ai bien entendu, qu’elle conduit, sont aujourd'hui plus essentiels sans doute encore qu’hier. C’est pour cela aussi qu’elle doit continuer à œuvrer et qu’elle trouvera en nous un soutien indéfectible.

C’est par la fidélité à cette action, cet esprit dans l’action contemporaine et chère Claude, si vous m’y autorisez, par les mille fils tendus dans cette salle, de fidélité, de respect et d’amitié que nous pouvons, je crois légitimement considérer que votre mère et votre père sont bien présents avec nous dans cette salle.

Deux organisations sont cette année lauréates de la Fondation Jacques-Chirac. Chacune présente une facette du combat contemporain pour les libertés et pour la tolérance. Le lauréat que nous venons de récompenser et que le Premier ministre, Alain JUPPE, a présenté avec beaucoup de forces et d’émotions, c’est la Fondation Hrant DINK.

Madame, nous avons rappelé le destin de votre mari, celui d’un héros de la liberté, nous avons rappelé l’engagement et la lucidité parce que l’engagement naïf a sans doute moins de valeurs, qui a toujours conduit son action jusqu’à en faire un martyr. Il promouvait sans relâche le dialogue entre Arméniens et Turcs, mais aussi au sein de la société turque pour y ancrer une culture du débat nécessaire à la démocratie et à la paix. Il se savait exposé et cela n’a pas suffit pour le protéger. Vous auriez pu simplement vivre dans le deuil, ce qui était déjà beaucoup, vous auriez pu chercher la paix et le réconfort, mais vous avez décidé, prenant à votre tour tous les risques, de poursuivre son combat à travers votre fondation. Vous avez décidé, comme nous l’avons vu, il y a un instant de porter la voix du dialogue, du respect des cultures, des identités, du respect de l’autre sur Internet dans un pays aujourd'hui où nombre de libertés sont menacées. Il est parfois commode de rappeler les droits fondamentaux et l’importance de ces derniers lorsqu’on est à Paris, Bruxelles ou New-York, j’y prends sans doute ma part, avec toujours beaucoup de vigilance parce que cet exercice est trop facile. Mais cet exercice n’a de sens que lorsqu’il y a sur le terrain des combattants de la paix, des combattants du pluralisme, des combattants du respect. Des femmes et des hommes qui, au péril de leur liberté, parfois de leur vie décident de mener l'action qui est la vôtre.

Nous avons vu, il y a un instant l'action au quotidien que les jeunes volontaires mènent au sein de votre fondation, qui depuis 2009 porte le nom de votre époux, et cherche à prévenir les conflits en sensibilisant l'opinion à certaines dérives xénophobes, racistes, nationalistes, sexistes, dans la presse turque. C’est un combat crucial dans un contexte de tensions croissantes. Je vous félicite chère Rakel DINK, vous qui militez à la suite de votre époux pour le respect des droits fondamentaux en Turquie, particulièrement à l'égard des minorités les plus vulnérables. Je salue ce travail de veille, d'alerte comme les actions concrètes que vous menez pour la réconciliation entre la Turquie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan.

Et je sais combien le contexte présidant à cet effort de réconciliation peut être hostile mais, vous le poursuivez néanmoins par le rapprochement des sociétés civiles, par la promotion d'une approche médiatique respectueuses entre ces trois pays. Il y a quelques semaines, lors de la dernière assemblée générale des Nations unies, j'ai plaidé pour la mise en place d'un mécanisme dédié de protection des journalistes et de la profession et la France poursuivra cet engagement en faveur d'une information libre et de qualité et apportera son soutien à ceux qui militent pour le respect des droits de l'homme, leur universalité, leur indivisibilité.

J'ai maintenu aussi un dialogue constant avec le président turc pour le convaincre de libérer les journalistes français qui avaient été détenus, ce qui a été fait, de libérer les autres journalistes européens, où les militants des droits de l'homme, ce qui continue à être fait, mais beaucoup d'efforts sont encore indispensables. J'étais, il y a quelques semaines aussi à la Cour européenne des droits de l'homme et vous avez rappelé l'importance de la charte qui nous unit pour plaider pour que la Turquie n'en sorte pas complètement, pour que ces fils de liberté et d'exigences soient maintenus. Et je poursuivrai cette action imparfaite sans relâche, parce que c'est-ce que la France doit à des combattants du quotidien comme vous.

Et je veux vous dire madame que ce que vous faites est essentielle pour que les principes puissent être rappelés, vivre et perdurer, pour que des pays comme la France qui portent dans leurs actions, leurs valeurs, celles qui vous font lever chaque jour, puissent être défendues, pour que notre voix soit crédible, il faut des femmes et des hommes qui chaque jour prennent le risque que vous prenez, portent l'action que vous tenez et décident de manière indéfectible de ne rien céder à l'obscurantisme.

Je sais en vous disant cela qu’au deuil a dû déjà s'ajouter la nécessité de l'action et que j'y ajoute encore un fardeau, mais il en est ainsi c'est le destin qu'il a choisi pour vous. Le Premier ministre l'a rappelé et je partage ses convictions, nous sommes-nous aujourd'hui pris dans des tensions extrêmes qui partagent votre pays, comme il pourrait diviser le nôtre. Et la responsabilité de la France, conformément à l'esprit de votre fondation et à l'action qu’a toujours mené Jacques CHIRAC, c'est bien par ce dialogue des cultures et des religions de tout faire pour qu'une religion ne tombe pas dans l'obscurantisme, mais pour que personne ne puisse mener l'action politique de l'obscurantisme au nom de celle-ci.

La fondation Jacques Chirac et la Fondation Culture et Diversité, cher Marc LADREIT DE LACHARRIERE honore aussi cette année Le collectif Zoukak qui œuvre notamment auprès des personnes réfugiées au Liban et dont les pratiques théâtrales collectives favorisent le dialogue et la cohésion sociale. Nous l'avons vu et vous l'avez exprimée de manière vibrante et par des anecdotes émouvantes. Le collectif Zoukak reçoit un soutien de notre ambassade au Liban, de l'institut français, et nous l'avons entraperçu aussi, la ministre de la Culture s’y est rendue il y a quelques temps, dans de nouveaux locaux à Beyrouth et je suis heureux que votre action soit aujourd'hui encouragée à travers ce prix.

Le Liban, vous l'avez rappelé chère Claude, est aujourd'hui bousculé par les crises de la région et d'immigration auxquelles nous nous pouvons légitimement nous demander si nos grands pays auraient résisté, avoir près d'un quart de sa population qui est faite de réfugiés palestiniens, il y a quelques années et syriens aujourd'hui ou de toute la région et avoir au milieu de crises économiques, politiques, la force d'âme et la conviction de tenir, de protéger, de nourrir et de donner une place, c'est la dignité et la force de votre pays.

Cette action s'inscrit évidemment dans une détermination internationale, Monsieur l'Ambassadeur le sait, qui doit conduire à ramener la paix dans la région, en particulier dans la Syrie, une paix politique et la France y contribue, qui permettra, parce que nous aurons reconstruit l'intégrité d'une Syrie libre, pluraliste, qui permettra à toutes celles et ceux qui l'ont fui d'y retourner et d’y retrouver leur place, c'est cela la solution qui permettra à terme un retour à l'équilibre.

Mais dans l'entre-temps, il y a ce travail du quotidien indispensable qui permet non seulement au Liban de tenir, mais à toute la région et qui permet de donner une place à ces réfugiés qui ont déjà subi l'humiliation, le risque de mort, parfois les tortures dans leur propre pays. Nous l'avons vu, il y a quelques instants, et vous l'avez parfaitement dit à travers les pratiques théâtrales, artistiques que vous menez, vous montrez que l'art est pour eux une pratique de convalescence, un espoir de résilience et qu'à côté de toutes les aides que nous pouvons connaître ce que vous leur offrez, c’est l'indispensable reconnaissance de leur humanité.

Tous ceux qui ont vécu le statut de réfugié et qui ensuite ont témoigné de cela ont rappelé que ce qui parfois les avait ramenés à la vie ou tenus, c'était ces petits simulacres du quotidien, l'écriture, la lecture, l'accès à la culture. Bien entendu, il faut s'alimenter, pouvoir se vêtir, se protéger, mais s'échapper vers quelque chose qui est plus grand que soi, libérer son imaginaire vers un possible qui semblait inatteignable, retrouver la capacité à exprimer un sens pour s'émanciper un instant de l'absurdité du quotidien. C'est cela ce que vous proposez. Et à travers votre action, vous permettez tout simplement à ces femmes et ces hommes, de vivre et vous permettez tout simplement de reconnaître leur dignité, leur humanité.

Ce n'est pas simplement le Liban qui vous doit la reconnaissance, ce sont toutes nos nations parce que sans cela, que serait-il advenu ? Ils auraient pris d'autres risques, auraient sans doute péri sur d'autres routes de misère ou auraient fini dans l'un ou l'autre des pays européens où tant et tant de réfugiés sont déjà arrivés, loin de leur pays, de leurs repères avec parfois moins d'humanité encore. L'action que vous conduisez n'a rien d'accessoire et elle est là aussi au cœur de ce dialogue de cultures d'humanité indispensable pour construire la paix, parce que si on ne préserve pas chaque jour, la part d'humanité que porte ces femmes et ces hommes, il est impossible demain ou après-demain peut-être, qu'ils puissent retrouver une place en Syrie, qu’ils puissent accepter un retour à la paix, qu'ils puissent accepter à nouveau de cohabiter peut-être avec leurs bourreaux, de cohabiter avec celles et ceux qu'ils ont combattu ou fui. Le sens que vous redonnez, c’est l'indispensable ferment de la paix de demain dont nous avons besoin. Les actions menées par le collectif Zoukak sont à la fois créatives, généreuses et salutaires, elles touchent les Syriens, les Irakiens, les Palestiniens dans un pays que nous aimons tant et que nous continuerons à protéger de toutes nos forces. Et là aussi chère Claude, il y a quelques fidélités et quelques continuités dans notre histoire.

Dans ce monde, Mesdames et Messieurs où naissent de nouveaux conflits, où tombent sans cesse de nouvelles victimes, il est heureux que des femmes et des hommes courageux se lèvent et s'engagent pour des valeurs, pour une conception de l'humanité qui nous est commune. Chez nous, en France, ceux qui le font sont admirables, ceux qui le font dans des pays où la guerre et la haine règnent sont des héros car ils donnent le meilleur de l'humanité, au risque de leur vie et de celles de leurs proches.

Jadis, vous savez, on traquait les alchimistes pour les faire périr, parce qu'ils faisaient quelque chose qu'on ne parvenait pas à comprendre, convertir le plomb en or. Je crois que ce que vous faites, il est très difficile pour beaucoup qui vivent dans des pays de paix aisée de le comprendre, mais vous transformez le plomb en or. Là où il ne devrait y avoir que la haine, la division, la peur de l'autre vous avez décidé de mener la bataille du respect, de la part de l'autre, alors même que tout devait vous conduire à faire le contraire. Un prix peut parfois paraître dérisoire, il a quelque chose de dérisoire mais au-delà des combats que nous livrons sur la scène internationale, des actions que la France conduit et continuera à conduire sur le plan militaire, juridique, politique ou de développement, célébrer ceux qui font leur pas ou encore davantage est dans ces moments-là essentiel.

Alors quand vous rentrerez dans vos pays, il y aura sans doute des jours de doute, peut-être une volonté d'arrêter et j'espère que vous vous souviendrez de ce prix, et j'espère qu’alors vous vous souviendrez que cette fondation vous a célébrée, que la France vous a célébrée et que la France se tient à vos côtés.

Voilà Mesdames et Messieurs tout ce que je voulais dire. Merci à vous. Merci beaucoup.

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