18 juillet 2017 - Seul le prononcé fait foi

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Transcription du discours d'Emmanuel Macron au Sénat lors de la conférence nationale des territoires

SEUL LE PRONONCE FAIT FOI

Merci beaucoup, Monsieur le président du Sénat.

Monsieur le Premier ministre,

Monsieur le président de l’Assemblée nationale,

Monsieur le président du Conseil économique, social et environnemental,

Mesdames, Messieurs les ministres,

Mesdames, Messieurs les parlementaires,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs en vos grades et qualités,

Je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui parce que vous venez de le rappeler par vos propos, ce dont nous allons parler, c’est au fond de la vie quotidienne des Français et de leur avenir et pas d’autre chose. En vérité, on choisit le terme de « territoire » faute de mieux. Les Français parlent assez peu de territoire, c’est un mot dont nous nous parlons mais les Français parlent de leur campagne, de leur montagne, de leur forêt, de la mer, de leur ville, de leur village, leur plaine, de leur banlieue, de la diversité qui fait leur quotidien. Et c’est au fond le coeur du sujet qui nous est ainsi posé.

Nous sommes dans un pays qui s’est construit par la norme, par la langue, par l’Etat, par l’impôt, il faut bien le dire aussi, son administration, et dont les grands vecteurs en quelque sorte d’homogénéité ont été imposés d’en haut. Or, notre pays est fait de géographies multiples, nous restons éminemment un pays de terroirs et de géographes et dans une mondialisation qui tend à tout homogénéiser, l’attachement de nos concitoyens à leur quotidien à la réalité de leur territoire est encore plus grand chaque jour.

Le défi qui est le nôtre n’est pas d’aujourd’hui mais il est chaque jour un peu plus fort, c’est de conjuguer l’unité de la République qui nous a faits, cette mondialisation qui parfois bouscule des grands équilibres et dans laquelle nous avons à avancer, et la diversité de ces territoires qui est constitutif de nos identités, de notre identité profonde. Et c’est tout le défi qui est le nôtre, parce que cette pluralité de situations, nos concitoyens la vivent dans leur quotidien, et ils n’ont pas le même quotidien selon qu’ils habitent un territoire très rural, une banlieue métropolitaine, une ville moyenne de province ou qu’ils soient dans un territoire ultramarin ou une zone de montagne et nous le savons bien.

Les tentations des extrêmes que vous avez évoquées sont alimentées par le sentiment chaque jour documenté, il faut bien le dire, que notre approche est monolithique, unilatérale, univoque et au principe d’égalité sur lequel notre République s’est construite, nous devons bien aujourd’hui considérer en quelque sorte une forme d’attention toute particulière à une égalité des chances des territoires car l’égalité qui crée de l’uniformité n’assure plus l’égalité des chances sur la totalité de notre territoire aujourd’hui.

C’est cette sensibilité qui nourrit les inquiétudes, les incertitudes que je sais nombreuses et – c’est mon souhait profond – que notre action collective dans les prochaines années doit permettre de résoudre.

Cette sensibilité territoriale, c’est justement cette faculté d’écouter les millions de voix qui chaque jour s’expriment partout en métropole et en Outre-mer, cette démocratie vivante et exigeante qui tisse ce commun. Je veux rendre ici un hommage aux fonctionnaires de l’Etat et des collectivités territoriales ainsi qu’aux acteurs locaux sans qui rien ne serait possible à ce titre. Et je veux aussi remercier tout particulièrement, vous l’avez rappelé dans votre propos liminaire, les élus locaux parce qu’ils ont pour une très large majorité d’entre eux une activité quasi bénévole et pour la totalité d’entre eux décidé de consacrer une partie significative de leur vie à l'intérêt général, sans compter leurs heures quand il s'agit d'écouter, d'agir, de retisser ce lien en prenant des risques, et là-dessus, vous l'avez rappelé, je souhaite en effet que nous puissions faire aboutir cette réflexion déjà commencée sur le statut de l'élu local et en particulier leurs responsabilités pour pouvoir répondre à ce qui fait aujourd'hui le quotidien de ces élus.

Si nous sommes ensemble aujourd’hui, ce n'est pas pour ajuster une nouvelle fois les lois de décentralisation aux réalités contemporaines ou pour chercher à expliquer aux Français en quelque sorte que leur vie devrait se plier à nos organisations administratives et institutionnelles. Ca fait trop longtemps qu'on raisonne ainsi ; je crois d'ailleurs que nos concitoyens n’en voient plus le bout, nous-mêmes nous sommes confrontés à l'insatisfaction en quelque sorte de ce travail sans fin en tout cas à portée de vue et à ce titre, la philosophie qui sous-tend cette Conférence nationale des territoires, c'est bien plutôt de refonder le rôle de l'Etat et des collectivités territoriales dans la vie quotidienne des Françaises et des Français et d'adapter ce rôle aux transitions que notre pays doit affronter.

Pour ce faire, il faut repenser en profondeur l'interaction entre l'Etat et lesdites collectivités ; nous connaissons parfaitement les analyses et nous les partageons mais ce que nous installons aujourd'hui avec cette Conférence, c'est une instance d'échange, de concertation et de décision.

Cette conférence, elle se réunira tous les 6 mois sous la présidence du Premier ministre, elle est composée de membres du gouvernement, de représentants des collectivités territoriales, des présidents des organismes de concertation existants et de représentants du Parlement ; elle se saisira d'un certain nombre de thèmes transversaux ou territoriaux qui seront traités dans la durée, elle ne doit en a aucun cas conduire à re-centraliser des sujets qui relèvent du dialogue quotidien entre les représentants de l'Etat et les collectivités dans les territoires mais de ces négociations, émergera un pacte de confiance entre l'Etat et les territoires définissant pour les cinq prochaines années, les engagements respectif que nous devons prendre.

Au coeur de ce projet, je place notre volonté que chaque réforme, chaque plan, chaque démarche initiée par le gouvernement pour mettre en oeuvre des politiques publiques, dont la responsabilité est partagée entre l'Etat et les territoires, associe en amont les collectivités territoriales concernées. Cette conférence, pour toutes ces raisons, Monsieur le président du Sénat, ne pouvait pour sa première réunion se tenir ailleurs qu'ici au Sénat qui au titre de l'article 24 de notre Constitution, que vous avez rappelé, assure la représentation des collectivités territoriales de la République. C'était mon souhait et je vous remercie de l'avoir accepté et de nous avoir parfaitement accueillis.

La volonté de mettre en place cette Conférence tient à une réalité simple qui structurera mon propos. Nous avons des transitions inédites à vivre, elles imposent de repenser en profondeur le rôle de l'Etat ; elles imposent de reconsidérer la méthode entre l'Etat et les collectivités territoriales et elles conduisent immanquablement à repenser aussi la méthode et les réalités de nos relations financières.

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Notre temps c'est, en effet, celui des transitions. C'est le défi qui est au coeur de toutes les politiques publiques que nous avons à conduire, la relation des Français avec le travail, l'école, l'environnement, la famille, la mobilité, les loisirs est en train de changer profondément et cela sous l'effet de l'évolution des mentalités, des savoirs, des comportements et des technologies, et donc nous ne pouvons pas garder les organisations, les réflexes, parfois le rythme qui était celui d'un monde qui précédaient ces changements. Nous ferions une erreur de diagnostic historique si nous pensions que ces transitions sont d'ailleurs les mêmes partout et pour tous ; au contraire, elles adoptent selon le lieu, la géographie, les tranches d'âge des dynamiques territoriales et sociales qui sont profondément différentes et dont les conséquences sont profondément différentes mais pour chacune de ces transitions, nous devons penser cette égalité des chances que j'évoquais et sortir des cadres de pensée qui ont parfois été les nôtres.

Ce que demande la ruralité, ça n'est pas l'aumône, ça n'est pas d'être compensé ; c'est d'avoir les mêmes chances de réussir ; c'est d'avoir les mêmes chances de réussir que d'autres territoires de la République là où ça n'est pas le cas aujourd'hui, parce qu'elles n’ont plus les infrastructures essentielles de la réussite dans ce monde en changement et la réalité des services publics utiles dans leur quotidien.

Les défis sont ainsi profondément différents selon les territoires, mais avec des exigences qui sont communes à tous ces territoires, cette égalité des chances territoriales et les transitions que nous sommes en train de vivre ont cela de caractéristique qu'elles sont en train d'accroître l'individualisation et la différenciation par territoire qu'il s'agisse du numérique, de la transition environnementale, elles renforcent ces tendances qui sont déjà à l'oeuvre.

Prenez la transition énergétique : elle renforce la production locale, la déconcentration profonde des organisations là où nous étions organisés aujourd'hui dans un modèle très étatique avec une production hyper centralisée.

Prenez la transition numérique : elle donne la capacité à reproduire sur le terrain de manière très différenciée ; elle permet de redéployer des perspectives de travail sur le territoire, de télétravail mais aussi de télétravail 2.0 qui va complètement changer les phénomènes de congestion si on va au bout des équipements nécessaires, de la capacité à faire de l'impression 3D ou tous les modes de production additive et justement de permettre à tous les territoires de relever ces défis. L'industrie du futur émerge dans tous vos territoires brisant d'ailleurs la distinction qui s'était faite entre l'industrie et les services. C'est fini ce temps où des territoires entiers en quelque sorte étaient condamnés à se construire dans un avenir de service, là où les industries les avaient désertés.

C’est faux ! Le numérique est en train de retisser des liens entre justement l'industrie et les services de permettre à nouveau des productions industrielles au plus près du terrain, si on s'en donne les moyens.

Tout ça pour dire que les repères dans lesquels nous avons construit jusqu'alors l'action publique ont profondément changé et nous conduisent à repenser en profondeur les défis de notre territoire, mais en même temps, ils ont très profondément accru aussi la disparité de situations et de conditions de départ.

Je ne serai pas exhaustif mais on le voit bien, les défis sont profondément différents selon les types de territoires.

Les territoires ruraux enclavés de plaine comme de montagne ont un défi d'accès aux infrastructures essentielles qu'il s'agisse des infrastructures routières ou ferroviaires comme des infrastructures du numérique, et ont à se battre face à la désertification des services publics.

Nos littoraux et nos montagnes connaissent des conflits d'usage croissants entre des potentialités de développement économique, les souhaits de certains acteurs touristiques ou économiques et le souhait de leurs habitants. Et les mêmes parfois d'ailleurs qui disent qu'ils souhaitent un avenir radieux pour leur territoire sont les premiers à s'opposer à certains projets quand leurs habitants y voient, au réel de leur quotidien, ledit conflit d'usage.

Les territoires touchés par les transformations économiques et les chocs liés à la mondialisation des vingt dernières années ont à relever le défi de l'affaissement de notre empreinte industrielle et avec elle, de l'accumulation des difficultés économiques et sociales et ont un besoin d'Etat, d'aide, de redistribution bien différent d'autres régions de la République.

Les villes moyennes ont, quant à elles, à inventer un nouveau modèle de croissance hors des métropoles, s'appuyant sur les avantages sectoriels à un niveau qu'elles peuvent établir mais aussi à construire en lien avec d'autres villes moyennes une politique culturelle, économique, éducative différente. Ainsi, elles construiront une attractivité renouvelée.

Les métropoles, enfin, ne sont évidemment pas à l'écart de ces grandes transitions ; elles sont même en leur coeur, elles sont aujourd'hui à beaucoup d'égards les gagnantes de cette mondialisation qui favorise l’effet de centralité et de métropolisation mais elles ont à gérer des problèmes essentiels de pollution, de congestion des espaces, qui imposent là aussi de travailler sur des investissements nouveaux, l’organisation de la ville de demain.

Comment ne pas évoquer les territoires d’Outre-mer qui sont confrontés souvent au cumul de nombre de difficultés que je viens d’évoquer mais avec une extrême diversité car sous ce dénominateur commun où en quelque sorte on les enferme fréquemment qu’y a-t-il de commun entre Mayotte, la Guyane, la Guadeloupe et La Réunion ? Un éloignement peut-être par rapport à l’Hexagone mais des réalités économiques, industrielles, de tensions géographiques et parfois migratoires profondément différents entre ces dits territoires. C’est ce qui a d’ailleurs conduit à ce que le gouvernement organise des assises de l’Outre-mer à l’automne qui permettront de poser un diagnostic partagé et une feuille de route territoire par territoire pour conduire à des actions concrètes.

Vous l’avez compris, à travers cette diversité de situations je veux manifester ainsi que ces grandes transitions que nous avons à vivre imposent à l’Etat non plus de garantir l’égalité parfaite, elle est impossible, l’uniformité rêvée, elle peut se transformer en cauchemar, mais bien plutôt de tenir son rôle et d’assurer une égalité des possibles et des chances et de permettre à chacun des territoires compte tenu de ses contraintes de départ de réussir les transitions qui sont à l’oeuvre et font le monde contemporain dans lequel nous avons à évoluer.

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C’est pourquoi l’Etat doit lui-même réinventer son rôle face à cette transition, l’Etat doit désormais agir de façon différenciée en tenant compte justement de ces réalités territoriales et autrement dit c’est de se tenir aussi près qu’il est possible des besoins et des attentes locales, de ne pas craindre de donner plus à ceux qui ont moins, de redessiner des libertés concrètes dont nous avons besoin.

C’est d’ailleurs pourquoi dès les premiers mois de mon mandat j’ai souhaité que nous puissions avec pragmatisme revisiter plusieurs politiques publiques afin d’y injecter davantage de liberté pour les territoires en laissant aux collectivités locales la liberté de définir les rythmes scolaires pertinents dans leur territoire et en investissant dans l'école avec le dédoublement des classes de CP et CE1 en zone REP et REP+, réforme qui se déploiera pour une large partie dès cette rentrée. C’est une politique de différenciation territoriale et les acteurs locaux en ont la responsabilité.

C'est avec le même esprit que l'Etat investira davantage dans les transports du quotidien afin de permettre aux Français enclavés de retrouver la mobilité physique sans laquelle il n’est pas de mobilité sociale. Sur ce point il est en particulier essentiel de créer le lien entre les principales agglomérations et leurs territoires environnants notamment entre les métropoles et les territoires ruraux excentrés car c’est là que se construit la première des fractures territoriales et non plus en promettant des grands plans uniformes qui consistent à sommer en quelque sorte toutes les promesses tenues sur tous les territoires et qui ne sont jamais financées mais plutôt pour construire par une méthode participative, ce qui sera un vrai plan de mobilité pensé au contact des territoires et qui permettra justement de répondre aux besoins du quotidien.

C‘est cette méthode qui a été retenue, dès la fin de l'été la ministre des Transports lancera les travaux préparatoires à une loi d'orientation des mobilités qui offrira une programmation précise année par année financée sur cinq ans. Un Conseil d’orientation des infrastructures de transport, instance d'expertise et de dialogue entre toutes les parties prenantes suivra la mise en oeuvre de cette programmation auprès de la ministre des Transports et vous y serez bien entendu associés.

Mais cette méthode conduit à quoi ? A avoir un discours de vérité sur les infrastructures de transport et à prendre en compte cette diversité des territoires. Il y aura un temps de dialogue, on regardera les besoins, et il y aura des décisions sous la supervision du Premier ministre parce qu’on ne peut pas promettre des lignes de TGV et des aéroports de proximité à la France entière. Cela pourrait aujourd’hui me faire à coup sûr un succès d’estrade, simplement je reviendrai dans quelques années devant vous et le même succès d’estrade se terminera en reproche légitime, et j’ai peur au demeurant qu’on l’ait beaucoup fait. Donc ce qui sera décidé au terme de cette concertation c’est une loi qui associera à chaque projet son financement.

C’est avec le même état d’esprit enfin que je me suis engagé à la couverture intégrale pour tous les Français en très haut débit. Je souhaite encore accélérer ce calendrier afin de parvenir à une couverture en haut et très haut débit d’ici la fin de l’année 2020. Sur ce sujet avec nombre d’entre vous durant la mandature précédente nous avons construit des solutions pour essayer de couvrir les manques, de rattraper les retards, de pousser les opérateurs, c’est la première chose qui nourrit les extrêmes, la première chose. Je dis fin 2020, je vous confirme et plus 2022, vous avez bien entendu, parce que si je vous dis 2022 je ne suis pas sûr que je serai en situation parfaite de pouvoir en répondre. Si je vous dis fin 2020 je sais que j’aurai encore l’année 2021 pour pouvoir rattraper les retards.

Parce que nous avons appris collectivement avec le temps. D’abord on a promis de couvrir les centre-bourgs, rapidement on s’est aperçu que la couverture du centre-bourg ne valait pas couverture de la commune grâce d’ailleurs en particulier au Sénat, je m’en souviens, des amendements ont été pris qui ont permis de déployer des antennes-relais et donc de conduire les opérateurs à avoir des contraintes supplémentaires. Est-ce encore suffisant ? Pas totalement les déploiements ne sont pas assez rapides, les opérateurs aujourd’hui rechignent encore dans les endroits qui sont les moins rentables, nous devons donc d’ici à la fin de l’année prendre des dispositions nouvelles d’incitation et de contrainte à l’égard des opérateurs de téléphonie.

Ensuite, regarder également la nature du plan qui a été pensé par l’Etat pour envisager les complémentarités technologiques. Il est impossible de tenir la promesse de tirer de la fibre dans tous les logements de la République, ça n’est pas vrai, cette promesse est intenable technologiquement et financièrement. Par contre, nous devons et nous pouvons jouer sur les complémentarités entre la fibre et le mobile et en particulier l’Internet mobile. Nous pouvons déployer des cellules dites cellules Femto et nous pouvons jouer sur la complémentarité avec le déploiement satellite qui est au coeur d’ailleurs de la stratégie de l’Etat en la matière. C’est donc aussi cette reconfiguration technologique qui doit être portée. Enfin, l’Etat affectera une part du grand plan d’investissement à cette priorité pour là où c’est nécessaire, là où des carences seront constatées se substituer aux opérateurs défaillants.

Agir de façon différenciée c’est aussi se concentrer sur certaines priorités par territoire. Ainsi, nous veillerons à ce que l’évolution des services publics en milieu rural ne conduise pas à augmenter la fracture territoriale. J‘ai notamment demandé à ce que l’enseignement primaire en milieu rural soit rendu plus attractif, par exemple en amplifiant des expérimentations locales très prometteuses autour d’internats et c’est ce que le ministre de l’Education nationale aura à présenter dans les prochains mois. Nous devons faire plus pour l'égalité d'accès au savoir et à l'excellence.

De même, je me suis engagé, et nous le ferons, à doubler le nombre de maisons de santé dans les territoires ruraux pour garantir l'accès aux soins et nous travaillerons là à la mise en place d'une stratégie territoriale d'accès aux soins permettant de garantir une accessibilité renforcée par des moyens novateurs, je pense notamment au déploiement de la télémédecine. Madame la ministre des Solidarités et de la Santé sera tout particulièrement en charge de ce projet, en même temps que les réformes structurelles, mais qui prendront du temps, seront prises pour rouvrir les numerus clausus qui ont construit, on le sait bien, cette rareté aujourd'hui du personnel médical sur les territoires.

En matière d'école et de santé, je ne souhaite pas qu'on revienne en arrière ou qu’on reconstruise ce qui a parfois été détricoté, je souhaite aller à la fois vers plus d'innovation et proposer une évaluation partagée des besoins. Cette évaluation doit être conduite d'ici à la fin de l'année afin de construire un plan d'action conjoint entre l'Etat et les territoires. Ce qui est sûr c'est que les territoires en particulier les plus ruraux ne peuvent plus être la variable d'ajustement d'économie. C'est pourquoi d'ici là en particulier il n'y aura plus de fermeture de classes dans les écoles primaires.

En matière d'environnement les collectivités sont aussi des partenaires incontournables de la mise en oeuvre du plan Climat récemment annoncé et notre objectif sera de déployer dans les prochains mois tous les territoires à énergie positive dans une logique partenariale avec l'ensemble des territoires qui les portent.

Pour l'Etat, vous l'avez compris, dans ce contexte que je viens de décrire, le premier enjeu est la lutte contre la fracture territoriale, l'Etat et les collectivités territoriales doivent travailler de concert afin de construire cette cohésion des territoires, Monsieur le Ministre, de favoriser leur complémentarité et d'organiser les solidarités. Les régions, départements, métropoles, communes doivent prendre toute leur part dans la construction de cette alliance entre territoires pour favoriser leur meilleure complémentarité.

C'est parce que je suis conscient de certains défis de la situation de déclassement des villes moyennes et de leur ruralité que je veux justement que nous puissions nous inspirer de ce qui a été fait en d'autres temps de manière fort à propos pour les villes avec l'ANRU. Cette idée a été portée par d'autres que moi en particulier dans les temps récents de campagne et je pense que c'est une bonne idée de considérer l'opportunité d'une Agence nationale de la cohésion des territoires. Cette agence aurait vocation à travailler en lien direct avec les régions parce qu'il ne s'agit pas de recentraliser ce qui a été donné à certaines collectivités et donc ce doit être une agence là aussi d'un type nouveau qui travaille en lien direct avec les régions, qui pense l'appui en particulier en ingénierie publique indispensable dans le rural et dans les territoires les plus périphériques et qui crée une logique de guichet unique et de simplification de projets pour les territoires ruraux, les villes moyennes en difficulté.

Cette agence aurait vocation à simplifier pour l'ensemble de celles et ceux élus ou porteurs de projets sur le territoire qui veulent conduire à bien ses projets et qui se trouvent confrontés aujourd'hui à notre propre complexité administrative, à la multiplication des guichets, parfois il faut bien le dire à nos propres incohérences. Je souhaite donc qu’en lien direct avec vous et sous l'autorité du Premier ministre une réflexion très précise soit conduite pour que cette agence voit le jour, qui permettra de répondre de manière très efficace et en lien direct avec le ministre de la Cohésion territoriale et sous son autorité à ces défis. Nous avons besoin d'une logique d'agence parce que c'est une logique de projets que porte aujourd'hui cette France rurale, cette France des villes moyennes qui veut réussir et pour qui la lenteur et la complexité est presque encore plus insoutenable que pour les grandes villes et les métropoles.

Pour les villes moyennes la priorité est de redonner vie aux centres-villes, je souhaite à ce titre que le gouvernement engage une action renforcée et transversale pour relancer l'emploi, le commerce, le logement et remettre des centres-villes au coeur de leur territoire. Pour cela il faut instituer une politique globale d'intervention en lien avec la région, les financements dont l'Etat dispose sont aujourd'hui trop émiettés, ont fait l'objet, on le sait bien, de coupes successives, ils doivent être largement délégués aux régions et l'Etat doit venir en appui à ces dernières pour là aussi avoir une approche beaucoup plus globale de l'ensemble des outils qui sont mis à disposition qu'il s'agisse des quartiers prioritaires, des villes moyennes. Le panel d'outils pour répondre à leurs difficultés en matière d'éducation, d'emploi, de commerce, de transport, de numérique, de culture doit être simplifié, regroupé. Et il sera demandé aux préfets de nommer à leurs côtés des personnalités locales, entrepreneurs, dirigeants associatifs, responsables culturels, fonctionnaires capable d'entraîner ce mouvement en lien direct avec les élus locaux. Cette mobilisation des acteurs locaux en appui des élus autour de projets concrets et l‘apport par l'Etat des outils nécessaires à l'émancipation de ces territoires donnera lieu à une contractualisation sur une durée minimale de cinq ans.

Enfin, dans les métropoles, l'Etat soutiendra les projets d'innovation et de recherche dont le développement est indispensable à l'économie et au rayonnement de la France. Il sera en appui en particulier de tous les projets de transition numérique et environnementale aujourd'hui portés par les métropoles et sur lesquels l'Etat sera particulièrement présent à travers le grand plan d'investissement. C'est aussi en matière de transport et de logement bien évidemment dans les métropoles que l'Etat a à repenser sa politique. Je l’ai l'évoqué tout à l'heure pour ce qui est des transports avec une volonté de concentrer nos financements sur les infrastructures du quotidien, ce qui signifie les travaux de rénovation indispensables dans toutes les métropoles où les investissements n'ont pas été conduits depuis plusieurs années conduisant des problèmes qui de congestion urbaine, qui parfois d'insécurité pour les usagers.

Pour ce qui est du logement là aussi c'est une réponse différenciée que nous devons apporter. Nous le savons bien, les politiques qui consistent à inciter à la construction de logements partout sur le territoire avec des outils fiscaux extrêmement chers ne fonctionnent plus. L'Etat français est l'un de ceux qui dépensent le plus en matière de logement, simplement comme bien souvent nous avons une politique de subvention de la demande et pas une politique d'offre, nous dépensons deux points de produit intérieur brut sur les politiques de logement. Pour assumer quoi ? Accompagner l'augmentation des prix et solvabiliser les ménages qui sinon n'auraient pas accès à ces politiques.

Le coeur du problème, il est – on le sait – dans deux-trois zones métropolitaines en France : le Grand Paris, Lyon et la frontière suisse et la métropole Aix Marseille principalement, où les prix ont beaucoup augmenté ces dernières années. Sur ces territoires, nous devons faciliter fortement la création de logements nouveaux, accompagner les métropoles qui conduisent ces politiques, libérer nos terrains beaucoup plus rapidement que nous ne l’avons fait, sans chercher à faire des plus-values et mettre en place une limitation des procédures de recours et de tous les délais qui sont autant de coûts supplémentaires.

C’est pourquoi à l’automne, un projet de loi sera porté par le Gouvernement qui permettra, dans toutes ces zones tendues, de créer un choc d’offre qui permettra – je l’espère, en deuxtrois ans, c’est en tout cas l’objectif qui doit être le nôtre – de baisser fortement le coût du logement dans ces territoires.

Nous renforcerons également – je m’y étais engagé – les crédits de l’ANRU pour aider les quartiers les plus en difficulté.

Sur ce point, permettez-moi un mot tout particulier sur le Grand Paris. Je ne veux pas ici exposer des conclusions hâtives, je verrai chacune et chacun. Nous avons commencé ce travail avec le Premier ministre. Dès cet automne, après une concertation approfondie avec les acteurs concernés, je proposerai les bases du Grand Paris qui aujourd’hui – je dois vous le dire de manière honnête – est au milieu du gué, en raison d’une structuration trop complexe.

L’idée du Grand Paris mérite mieux que ce que nous en avons collectivement fait – il faut bien le dire – de part et d’autre, pour des raisons politiques et pour des équilibres incertains. Mais si nous voulons que le Grand Paris réussisse à l’échelle de ce qu’est la compétition internationale, si nous voulons produire la richesse pour ensuite pouvoir la répartir harmonieusement sur le territoire, nous avons besoin de simplifier drastiquement les structures. Je réunirai à ce titre une Conférence territoriale du Grand Paris qui devra se refonder autour d’un projet ambitieux de développement de la première métropole française, au sein de la région Capitale et aboutir à une organisation institutionnelle stabilisée et efficace.

Enfin, pour ce qui est du rôle de l’Etat – vous l’avez évoqué – je souhaite que nous renforcions la déconcentration et que nous donnions aux représentants locaux de l’Etat plus de marges de manoeuvre, notamment en matière budgétaire et de ressources humaines, mais aussi dans le dialogue quotidien avec les collectivités territoriales, pour adapter les politiques de l’Etat aux besoins des territoires et à ceux de nos concitoyens.

Ce sera la responsabilité du Premier ministre dans les prochains mois de porter ce projet. Mais il est fondamental. Vous avez parlé d’inflation législative, à juste titre. Mais nous en sommes les coproducteurs. Pourquoi ? J’ai, dans une vie antérieure, été ministre. Combien d’entre vous font passer aux ministres du gouvernement tel ou tel mot, de manière totalement justifiée et à bon escient, parce qu’un problème local n’est pas réglé par le préfet. On porte un amendement législatif pour régler le problème dans tel département, parce qu’il n’y a pas d’autre voie que d’aller la régler avec le ministre. Créant ainsi, six mois plus tard, le même problème, mais à l’envers, dans le département voisin, qui conduira à un amendement à peu près symétrique, revenant sur le premier, d’un autre élu tout aussi bien inspiré.

Cette chorégraphie qui conduit à un balbutiement certain, nous la connaissons par coeur. Parce que nous avons progressivement dépossédé les fonctionnaires de terrain du pouvoir légitime qui doit être le leur. Parce que nous avons dépossédé les préfets, les services sur le terrain de ce pouvoir d’appréciation et de dialogue avec les élus locaux. Quand on ne modifie pas la norme, ce sont alors des délais. Combien, instruisant un dossier que vous leur avez donné, vous dites je le remonte à Paris, ça va prendre six mois.

Je veux que nous sortions de cette fascination de la politique de la circulaire pour avoir une politique de la stratégie au niveau central, quand les stratégies sont claires, elles n’ont pas besoin de regarder le moindre tour de vis dans chaque département de notre pays.

Ensuite, il doit y avoir un contrôle a posteriori, légitime, capacité d’appel, nos administrations centrales doivent vivre un peu cette réforme et cette transformation profonde. Il y a trop de fonctionnaires des circulaires et pas assez de fonctionnaires qui aident sur le terrain.

Donc, cette déconcentration sera conduite, les préfets pourront ainsi en particulier – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, indépendamment de cette déconcentration – disposer d’un pouvoir d’adaptation locale des règlements, en particulier à l’issue du projet de loi Simplification et Droit à l’erreur qui sera présenté dans les prochaines semaines par le Gouvernement.

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Tout cela, l’Etat peut et doit le faire. C’est pourquoi il doit consentir à un changement de paradigme complet. Mais au-delà de ce rôle de l’Etat, je crois profondément que dans la très grande majorité des cas, les territoires en réalité savent mieux l’organisation qui est la plus pertinente pour eux. Il faut donc construire ce pacte girondin, que j’évoquais il y a quelques semaines, qui, sans briser l’unité nationale, redonnera aux territoires les moyens d’agir dans une responsabilité partagée.

Après des années de réformes nombreuses et parfois contradictoires – je vous rassure, Monsieur le Président, j’ai entendu que vous l’appeliez de vos voeux – il ne s’agit pas pour moi de refaire un grand soir institutionnel. Nous perdrions du temps, de l’énergie et j’ai peur qu’en la matière d’ailleurs, le schéma parfait n’existe pas vraiment. Cela signifie qu'il n'y aura donc pas de nouvelles grandes réformes des institutions ou des collectivités et des niveaux de collectivités. Mais je suis ouvert aux adaptations législatives qui permettront de corriger les éléments d'aberrations qui remontent du terrain, sur l'eau, je vous ai entendu, sur les transports scolaires, j'ai cru entendre certains d'entre vous. Sur tous ces sujets, nous procèderons de manière pragmatique aux adaptations nécessaires.

Par contre, je souhaite que nous puissions, à partir de logiques de terrain, procéder à des réorganisations nécessaires. La réforme conduite a permis de clarifier des niveaux de compétence, c'est un fait. Elle a recomposé des territoires et une cartographie que vous connaissez parfaitement. Mais elle n'est pas allée au bout des éléments de simplification qui sont pourtant nécessaires, si nous voulons avoir une action publique plus rapide et moins coûteuse. Là encore, je souhaite que nous puissions ensemble simplifier les choses.

L'Etat prendra ses responsabilités en rationalisant ses services et les agences déconcentrées pour accroître l'efficacité de son action. Je souhaite que l'ensemble des collectivités puisse faire de même. Là où des collectivités territoriales le souhaiteront et si les regroupements sont conformes à l'intérêt général, nous les accompagnerons. Nous n'imposerons pas, mais nous offrirons des libertés, je pense notamment à la création – si c’est souhaité – de communes nouvelles, aux regroupements qui sont portés par les collectivités, aux volontés de rapprochement de certains départements, s'ils sont souhaités par ces derniers, avec cette conviction, c'est que quand la logique est portée par les territoires et qu'elle correspond à la simplification de l'organisation territoriale, aux dynamiques de bassins de vie, d'emploi, de bassin économique, elle est pertinente.

Mais cette liberté d'organisation ne doit pas se traduire par une augmentation des fractures territoriales et elle ne doit pas se traduire non plus par une augmentation de notre propre complexité. C'est pourquoi sur ce sujet, j'aurai des lignes rouges simples. Si on accroît les inégalités et les déséquilibres, en proposant des rapprochements entre des territoires qui constitueraient un îlot de richesse, dans des régions, des bassins de vie qui sont déjà profondément déséquilibrés, ce n'est pas une bonne chose pour l'intérêt général. Si on considère que le sens de l'Histoire, c'est alors qu'on a créé des grandes régions, de rouvrir des maisons départementales de la région, j'ai peur que nous n'allions pas vers des économies pertinentes.

Donc, sur ces points-là, j'en appellerai au pragmatisme collectif et l'Etat regardera avec beaucoup d'attention tout ce qui ne viendra pas accroître les inégalités et les déséquilibres et tout ce qui ne viendra pas rajouter de la multiplication des structures et des redondances. Partout où des grandes régions voudront contractualiser avec des départements ou des métropoles pour partager des compétences au plus près du terrain, s'il leur semble pertinent d'être au plus près du terrain, nous les aiderons, nous les accompagnons. Partout où elles recréeront des structures administratives pour se déployer elles-mêmes en concurrence avec d'autres territoires, il me semble que nous créerions immanquablement ensemble de nouveaux coûts.

Vous l'avez compris, je souhaite accompagner, encourager les initiatives, supprimer les verrous encore trop nombreux qui contraignent les territoires dans leur souhait de s'organiser mieux, en vue d'une action publique plus efficace. Cette liberté sera laissée aux élus locaux, en lien avec les représentants de l'Etat aussi, pour expérimenter de nouvelles politiques publiques, de nouvelles organisations des services publics, mais aussi pour innover en matière d'aménagement du territoire, d'urbanisme et pour définir notre territoire de demain.

Le droit à l'expérimentation, à ce titre, sera simplifié. Nous lèverons notamment l'actuelle obligation d'une généralisation de ces expérimentations sur tout le territoire au bout de deux années – qui est un verrou terrible pour permettre celle-ci – et la différenciation de l'action publique dans les territoires doit être désormais acceptée, parce que c'est le prix de cette égalité des chances.

Si c'est nécessaire, sur ce sujet, je suis prêt à proposer, dans le cadre de ce que j'ai annoncé au Congrès, une révision de la Constitution pour faciliter ces évolutions et libérer les énergies.

Je suis également disposé à ce que l'Etat délègue, en tant que de besoin, ses compétences en matière économique, sociale ou d'aménagement, si l'intérêt local le justifie. Je souhaite notamment que le Gouvernement poursuive le partenariat privilégié engagé avec les régions en 2016 en matière de développement économique et d'emploi. Je suis prêt, dans ce cadre, à envisager de nouvelles délégations de compétences ou des transferts de structures aux régions qui le souhaitent.

Cette délégation pourra s'accompagner aussi d'un transfert du pouvoir réglementaire d'adaptation des normes juridiques aux réalités locales – vous l’avez évoqué – je pense que c'est une évolution que nous devons suivre, regarder et accompagner, si elle est souhaitée.

A ce titre, les collectivités Outre-Mer ont ouvert la voie à ces réflexions, du fait même de leur statut constitutionnel spécifique. Je sais que certaines d'entre elles, pour ce qui est des collectivités ultramarines, souhaitent revoir les amendements constitutionnels passés que nous connaissons parfaitement, j’y suis parfaitement disposé. Au-delà, je souhaite que nous puissions envisager également en métropole, dans le respect du principe d'égalité, de telles adaptations.

Je demande au Gouvernement aussi d'expertiser avec vous tous les moyens pour simplifier et moderniser la gestion de la fonction publique territoriale, dans le dialogue indispensable avec les syndicats de fonctionnaires, afin de mieux répondre à leurs besoins qui sont différents de ceux de l'Etat. Avec une volonté simple : avoir une fonction publique territoriale qui nous permette collectivement de relever les défis que je suis en train d'évoquer. Il n'est pas normal, lorsqu'on cherche à augmenter par exemple le point de la fonction publique hospitalière, que toutes les fonctions publiques soient entrainées dans le même mouvement. Nous devons avoir une gestion différenciée des fonctions publiques, parce que leur réalité est différente, parce que les contraintes de gestion qu’on fait ensuite peser de manière mécanique sur les collectivités locales sont peu soutenables.

Il faudra également que toutes nos responsabilités soient prises en la matière. Je connais par coeur la chorégraphie de dupes qui existe entre nous sur ce sujet. Quelqu'un doit prendre la responsabilité de dire la vérité. La Cour des comptes l'a dit. Les heures travaillées ne sont pas totalement en conformité avec ce qui est prévu pour l'ensemble de la fonction publique ou ce qui est le cadre privé. Nous devons mettre fin à cette situation. Parce que c'est insupportable pour nos concitoyens qui ne sont pas fonctionnaires publics territoriaux et parce qu'on ne rend pas service à la fonction publique territoriale en protégeant des archaïsmes. Je vous le dis en toute franchise.

Il faudra également – j’en ai la conviction – engager une réduction du nombre d'élus locaux, comme j'ai indiqué souhaiter le faire pour les élus parlementaires. Nos concitoyens ne comprendraient pas sinon un tel traitement différencié. Moins d'élus, mais des élus plus protégés, mieux rémunérés et plus libres de leur action.

Enfin, l'Etat doit se garder – vous l’avez dit, Monsieur le Président du Sénat – de l'inflation des normes. Alors, je prends acte de votre avertissement initial et je ne me risquerai pas à la promesse du moratoire. Puisque vous l'avez dit vous-même, c’est en quelque sorte en la matière « l’heotontimoroumenos », c'est celui qui a le couteau qui est en même temps l’appelé et nous ne sortons jamais de ce jeu infernal.

Par contre, je suis favorable à ce que nous puissions conduire en effet une revue générale des normes. Je suis favorable à ce que nous puissions appliquer et que le Gouvernement s'en charge, le principe du deux pour un : pour toute nouvelle norme pesant sur les collectivités territoriales, deux autres devront être supprimées.

Je souhaite à ce titre que nous renforcions le rôle du Conseil national d'évaluation des normes, qui doit être associé beaucoup plus en amont à l'analyse des lois et des décrets concernant les collectivités territoriales.

C'est sur ce sujet, le Premier ministre, à ses côtés, le secrétaire général du Gouvernement, qui sera chargé de s'assurer que tous les textes sont soumis à ce tamis. Je demande, par ailleurs, au Gouvernement que l'on arrête à l’avenir les transferts de compétences sournois, je pense par exemple au transfert de la responsabilité de la délivrance des titres d'identité aux communes ou aux surcoûts liés à l'application de normes environnementales ou d'accessibilité, qui n'étant pas pris en compte initialement, ne font l'objet d'aucune compensation.

Le législateur doit prendre en compte, à chaque fois qu'il établit une norme obligatoire, son impact administratif et financier sur les collectivités territoriales. L'une des finalités de ces conférences semestrielles sera de rétablir la transparence et la confiance sur ce sujet, pour que l'analyse des coûts induits puisse être observée, mesurée, constatée et retranscrite dans nos relations financières.

Je souhaite enfin que nous ne surtransposions pas les normes européennes et que nous visions, chaque fois qu'une norme européenne est claire et précise, à son application directe. A cet égard, que nous puissions examiner systématiquement, dans les régions transfrontalières en particulier, les normes en vigueur chez nos voisins européens, afin d'évaluer l'efficacité de nos propres normes et la nature des applications.

Vous l'avez compris, la liberté que j'entends redonner aux territoires, celle de s'organiser, de fonctionner, elle est inséparable de la confiance mutuelle que nous devons nous faire. Elle repose aussi sur une responsabilité partagée qu'impose la situation financière du pays. C’est là-dessus que je souhaite terminer mon propos, sur cette responsabilité financière partagée. Tout ce que je viens d'évoquer, ce sont des libertés nouvelles qui vous seront données, une capacité à vous organiser différemment, à trouver des latitudes et donc aussi des organisations, des économies plus intelligentes.

***

Mais il faut disons les choses, là aussi, en vérité. Nous partageons la même responsabilité visà- vis de nos partenaires européens comme de nos concitoyens. Celle de la soutenabilité de nos finances publiques. Il en va ainsi de la part gouvernementale sociale et locale de cette dépense. Or, nous le savons, le niveau de nos dépenses publiques est trop élevé, le niveau de nos prélèvements obligatoires l'est tout autant. Donc, nous devons procéder à une double désintoxication.

A ce titre, cela n’empêche pas de préparer l’avenir. C’est pourquoi la stratégie que le Premier ministre a exposée il y a quelques semaines d’économies substantielles en matière de fonctionnement s'accompagnera aussi d'un plan d'investissement qui permettra sur les priorités d'investir et en particulier avec 10 milliards d'euros du grand plan d'investissement que nous lancerons à l'automne qui seront consacrés au soutien à vos projets et avec aussi la volonté de mobiliser davantage les crédits de la Banque européenne d'Investissement dans le cadre des projets portés par les territoires.

Mais nous avons besoin de partager cette contrainte. Alors quelle est-elle ? Le Premier ministre l’a évoqué ce matin, l'Etat doit faire des économies substantielles pour baisser durant ce quinquennat de 3 points de produit intérieur brut la dépense publique. C’est l'engagement pris, nous serions encore au dessus de la moyenne de la zone euro mais c'est un engagement qui me semble soutenable et qui, en tout cas, est celui qui nous permet de retrouver de la souveraineté financière, ce qui, compte tenu justement de nos parts réciproques, conduirait les collectivités territoriales à participer à la baisse du déficit des administrations publiques à hauteur de 13 milliards d'euros sur le quinquennat.

C'est plus élevé que ce que nous avions anticipé parce que la situation trouvée était plus dégradée que ce que nous pensions mais c'est une part qui correspond à la part des collectivités territoriales dans l'ensemble de la dépense publique.

Pour permettre cette amélioration du solde des administrations publiques, nous ne procéderons pas par baisse brutale de dotation, je m'y étais engagé mais c'est un pari que nous faisons ensemble et, comme disait le philosophe LEVINAS, la confiance, c'est le problème de l'autre. Moi, je vous fais confiance. La logique budgétaire, c'est de couper les dotations en 2018, nous ne le ferons pas, mais avec un pari, c'est que les collectivités locales dans toutes leurs composantes sauront prendre pour 2018 la part de ce qui leur revient en baisse de dépenses de fonctionnement et d'investissement bien comprises sans que nous ayons à passer par les dotations, considérant que la dotation, c'est justement ce qui donne de la visibilité, ce qui permet d'accompagner les changements intelligents, ce qui permet d'avoir de la visibilité et de l'efficacité. Mais cela suppose que, utilisant tous les leviers que je viens d'évoquer, de suppression de niveau inutile de collectivités, de flexibilité nouvelle en termes réglementaires, en termes de fonction publique territoriale, vous puissiez produire des économies intelligentes à votre main.

Mais moi, je veux sortir de ce jeu de dupes qui nous unit dans une espèce de tango infernal qui nous mènera ensemble au sinistre !

Par contre, pour celles et ceux qui ne joueront pas le jeu, il y aura un mécanisme de correction l'année d'après, je vous le dis tout de suite parce que sinon, ce serait un jeu qui favorise le passager clandestin mais je crois à la logique de confiance ; je crois donc à la capacité que nous avons à procéder à ces économies intelligentes.

Ensuite, je ne mésestime pas les points importants et structurants de la dépense publique qui sont aujourd'hui devenus insoutenables et créent des déséquilibres profonds.

Le premier, le financement des allocations individuelles de solidarité qui pèse aujourd'hui sur les départements de manière inégale et met certains en situation de fortes tensions financières. Je pense notamment au financement du RSA qui atteint aujourd'hui ses limites, il y a une alternative sur ce sujet qui s'offre à nous : soit une recentralisation du financement avec justement la reprise en main par l'Etat ; soit une amélioration de la compensation avec tout un débat que vous avez déjà eu par le passé sur l'année de référence mais avec immanquablement aussi le renforcement de la péréquation horizontale. Je souhaite que ce sujet, dans le cadre de ces conférences, soit débattu.

Ma préférence, je vous le dis tout de go, irait plutôt à la première option. Pourquoi ? Parce que je considère que le RSA doit relever d'un continuum des politiques d'emploi quitte ensuite à conventionner avec des régions qui souhaiteraient avoir cette politique d'emploi mais je pense que sortir le RSA de la cohérence des politiques d'emploi n'est pas la logique dans laquelle nous nous inscrivons plus largement, mais je souhaite que vous ayez ce débat à plein et que vos travaux puissent trancher d'ici le printemps prochain pour que le PLF 2019 reflète les décisions prises. D'ici là, les situations d'urgence pour certains départements seront bien évidemment prises en compte par le gouvernement.

Deuxième point sur ce sujet des finances locales, c'est évidemment, vous l'avez évoqué, Monsieur le président du Sénat, la taxe d'habitation. Là aussi disons-nous les choses, la taxe d'habitation est-elle un bon impôt ? Non, c'est un impôt qui ne regarde pas les capacités contributives des citoyens pas parce qu'il est local ou pas local, il est comme ça ; il ne regarde pas la capacité contributive de nos citoyens, il est donc injuste socialement plus que tous les autres et il est injuste territorialement parce qu'il se trouve qu'il est plus élevé dans les villes périphériques ou les centres bourgs de province que dans les grandes villes. C'est la vérité qui est ainsi mesurée, je vous invite à tous le constater. Donc il accroît l'injustice sociale et territoriale que j'évoquais tout à l'heure. Donc, ça n'est pas un bon impôt et ça, ce n’est pas parce qu'il est territorial, on ne va pas se mettre à faire en quelque sorte camp contre camp sur les impôts. Là, il y a une chose qui devrait nous rassembler, c’est chercher quand même à les baisser collectivement en faisant de la dépense plus intelligente. Donc cet impôt n’est pas bon !

Ensuite, j'entends votre argument qui consiste à me dire : c'est bon d'avoir un impôt qui reste en contact avec le citoyen. Oui, mais enfin j'ai une mauvaise nouvelle pour vous, ça fait bien des années que cet impôt pour une part non négligeable de notre population, ce lien n'existe plus ; c'est aussi la vérité qui d’ailleurs accroît la visibilité pour les communes les plus en difficulté qui concentrent les difficultés et les populations les plus pauvres qui a affaibli ce lien. Donc maladies au carré si je puis dire. Alors, j’entends la promesse de revoir les valeurs locatives cadastrales. J’ai peur que certains l’aient déjà essayé pour être honnête avec vous, j’ai cru comprendre que cette réforme était portée depuis une quarantaine d’années, que même peut-être certains d’entre vous dans cette salle s’étaient essayés à la voter, avaient commencé à faire les simulations et s’étaient aperçus qu’il y avait un tiers des communes qui y perdaient, et avaient donc préféré ne pas l’appliquer.

C'est la vérité, donc je vous propose qu'on gagne collectivement du temps en n’essayant pas de refaire des batailles qui ont déjà été conduites, déjà perdues et qui objectivement ne permettent pas de répondre aux défis de nos concitoyens.

Donc à court terme dès la rentrée prochaine, il y aura en tranches successives une suppression pour 80% comme je m’y suis engagé de la taxe d'habitation pour nos concitoyens sur trois ans avec un mécanisme de dégrèvement qui permet la compensation financière pour les collectivités sans leur faire perdre la liberté de taux. Ce sera fait progressivement, ces Conférences permettront d'ailleurs de partager l'information financière tous les 6 mois et de bien s'assurer que les évolutions dans cette période de la base et donc les habitants nouveaux que vous auriez sont bien compensés dans ladite évolution puisque je suis conscient de vos craintes légitimes sur le sujet, instruit par le passé.

Mon souhait, c'est que nous allions plus loin parce que oui, un impôt qui serait in fine payé par 20% de la population, ce n'est pas un bon impôt mais je ne souhaite pas en quelque sorte comme on l'a fait depuis des décennies, renvoyer à nos concitoyens la charge de la preuve. Je nous la renvoie à nous ; donc en même temps que nous ferons ça et ce, dès maintenant, je souhaite que nous ouvrions dans le cadre d'une commission de travail qui doit vous associer et pas être une commission simplement administrative, une réflexion profonde de la refonte de la fiscalité locale et en particulier, en substitution de la taxe d'habitation avec des principes simples, qu’on puisse arriver au même résultat financier in fine , qu'on maintienne l'autonomie fiscale tout particulièrement des communes, qu'on garde le lien pour justement la vertu civique que vous évoquiez entre les habitants et la commune et que donc on réfléchisse éventuellement à une part d'impôt national qui pourrait être attribuée aux communes, une part de CSG ou de CRDS qui est un impôt au moins proportionnel, qui est plus intelligent que ne l'est aujourd'hui l'actuelle taxe d'habitation.

Mais prenons le temps de reposer cette refonte de la fiscalité locale, donnons-nous jusqu'au printemps prochain, dans le cas de cette commission, pour mener cet exercice en profondeur qui est indispensable mais je souhaite, d'une part, qu’on tienne l'engagement pris parce qu'il est nécessaire en termes de pouvoir d'achat et de justice territoriale et je souhaite que nous menions cette refonte en profondeur de la fiscalité locale qui l'est tout autant.

***

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je souhaitais partager avec vous aujourd'hui. Je ne suis pas exhaustif mais j'ai déjà été long parce que le sujet est vaste et la tâche qui nous attend est vaste, vous l'avez compris ; c'est pourquoi je souhaitais en ce début de mandat venir avec le Premier ministre, plusieurs membres éminents du gouvernement vous exposer ces vues et cette volonté de méthode.

Je crois dans la confiance. On a trop essayé la défiance dans le pays et on a vu que ça ne marchait pas, donc nous ne prenons pas grand risque. Je crois dans l'ambition des réformes profondes que nous devons porter. Je veux les porter pour l'Etat à travers ce à quoi je me suis engagé, j'attends de vous que vous ne les portiez pour les collectivités, c'est essentiel. Ceux qui pensent que le statu quo les protégerait se trompent, croyez-moi ! Il ne les protégera pas des changements qui de toute façon adviendront et ne les protégera pas davantage de la colère parce que les gens sont lucides.

Je crois au respect, au respect partagé. La transparence que nous mettrons entre nous permettra de l'assurer à chaque instant, mais je souhaite, vous l'avez compris, que à travers cette confiance, cette responsabilité partagée entre nous, nous puissions relever ensemble les défis.

Chacun des défis que vous portez, c'est un bout du mien. Je ne me défausserai jamais sur vous en disant : c'est telle commune. C'est un jeu, les gens n'y croient plus, c'est la même chose : nous sommes tous et toutes dans la même galère pour nos concitoyens, nous réussissons ou pas et donc vos problèmes, ce sont les miens à chaque instant, mais croyez bien que mes problèmes, ce sont un peu des vôtres aussi ! Je voudrais que vous en soyez convaincus ! Pour toutes ces raisons, pour réussir ces transitions nos ambitions doivent être considérables.

C'est pourquoi je souhaite, Mesdames Messieurs, que nous soyons collectivement à la hauteur du projet que nous portons et je souhaite que cette Conférence nationale des Territoires puisse nous permettre de réussir ce pari de la confiance, de l'efficacité, du respect pour que notre action commune qui est l'action publique ainsi partagée permette au pays de réussir, permette de donner aux Français ce qu'ils méritent.

Vive la République et vive la France !

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