17 novembre 2017 - Seul le prononcé fait foi

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Intervention du Président de la République, Emmanuel Macron, lors du sommet social européen de Göteborg, Suède

Thank you very much and hello everybody,

Je vais parler en français pour défendre la francophonie puisqu’il y a des traductions qui sont fournies. Le sommet du jour, Jean-Claude JUNCKER l'a rappelé et le Premier ministre suédois aussi, est un moment important parce que c’est une composante importante de la stratégie d'ensemble que nous avons. Et on ne peut pas parler constamment de compétitivité et d'ajustement si on ne parle pas en même temps de notre modèle social, parce que sinon ça veut dire qu'on renonce à notre modèle social et qu'on sera attiré vers un modèle qui est un modèle asiatique ou hyper libéral et qu'en quelque sorte, le facteur d'ajustement, ce sera toujours le moins disant social.

Le paradoxe c'est qu'on évoque ce sujet à un moment de profondes transformations de nos sociétés, Erna SOLBERG vient de le dire très bien, c’est-à-dire un moment où les compétences sont essentielles, et où pour les jeunes comme les moins jeunes, on a un besoin de transformation des compétences très rapide. C'est dû à quoi ? Une explosion du savoir mondial, une accélération de celui-ci par le numérique et une transformation de nos économies qui sont impactées par les grands acteurs du numérique. Ce qui fait qu’aujourd’hui en Europe on a 15 millions de décrocheurs et 70 millions d'Européens qui n'ont pas les compétences de base pour trouver un emploi ; ça veut dire qu'on peut faire tous les efforts qu'on veut d'ajustement en termes de compétitivité, de réduire les droits etc - c'est ce que Stefan LÖFVEN disait tout à l’heure - et bien on n’arrivera pas à faire travailler nos concitoyens avec ces conditions.

Et quand je parle de mon pays, la France, on a un million et demi de décrocheurs, 1,3 million exactement, et entre 1,5 million et 2 millions de gens qui n’ont pas les compétences.

Donc le cœur aujourd'hui de notre problème de chômage ce n’est pas simplement l'ajustement de nos marchés du travail, c'est aussi ça, c’est ce que la ministre du Travail fait en France avec les partenaires sociaux, c'est pour ça qu’on a un vrai défi aujourd'hui chez nous qui est de réformer l'apprentissage, la formation continue parce que notre organisation ne correspond plus à ce défi et on va investir 15 milliards d'euros sur le quinquennat sur ces priorités.

Parce qu'évidemment ça coûte de l'argent et qu'il faut pouvoir investir parce que jusqu'alors on n'investissait plus sur les compétences pendant le cycle de vie ; on vit quand même collectivement dans des systèmes qui sont organisés avec une certitude de base, c'est qu'à 20 ans, 22 ans ou 23 ans on est formé pour toute la vie et qu'on n'aura plus besoin d'être formé.

Or les dernières études le montrent : l'obsolescence des compétences, c’est 5 ans ; ça veut dire que si vous n'entretenez pas vos compétences au bout de 5 ans il faut vous reformer. Donc on a besoin d'un investissement public, massif, mais qui suppose d’avoir la bonne organisation collective pour qu'il soit productif et qu'on utilise bien cet argent qu'on va devoir mettre.

Donc en France on fait une réforme profonde de transformation « apprentissage formation professionnelle » et on met 15 milliards.

Je crois qu'on a beaucoup besoin dans cette période de l'Europe. Et l'Europe pour cela je pense qu'il faut qu'on réfléchisse pour les prochaines perspectives budgétaires à avoir sur ce volet-là une vraie priorité.

A court terme je pense que le plan JUNCKER 2, il faut le regarder aussi comme un plan sur les compétences, parce que quand on regarde comment investir dans nos sociétés, ça n’est pas que des infrastructures de transport ou des infrastructures publiques classiques, ce sont les compétences de nos concitoyens, si on veut que cette croissance soit inclusive. Et donc je souhaite qu'on ait vraiment une réflexion sur ce volet-là : comment activer ce qui a très bien marché sur la première génération du fonds JUNCKER, sur la formation des personnes.

Ensuite c’est de regarder comment on peut aussi adapter les instruments financiers qu'on a. Le Fonds social européen il faut qu'on puisse beaucoup mieux l'utiliser sur ces plans de formation et des compétences.

On a la convergence entre les pays qu’il faut mieux utiliser et mieux conditionner. Je l’ai souvent dit parce qu’aujourd'hui on est à un moment où on a perverti la convergence au sein de l'Union européenne, c'est plus une vraie convergence qu'on fait, parce qu'on a créé des modèles de dumping fiscal et social et on a un peu mis le point là-dessus quand on a travaillé sur les travailleurs détachés. Donc il faut utiliser le fonds social européen pour aider dans tous les pays les moins formés, les décrocheurs, parce qu’il y a de la divergence sociale dans tous nos pays.

Et il faut pouvoir mieux utiliser le Fonds d'adaptation à la mondialisation. Il est très important, il permet d'aller vers des idées qu'ont poussé certains ici en particulier chez les partenaires sociaux, je pense à vous Laurent BERGER, ces contrats de transition territoriale qui permettent de dire que quand il y a des ajustements forts dans un endroit, une région, on est ici à Göteborg et Stefan LÖFVEN a amené une vraie transition industrielle dans cet endroit, dans un lieu qui l’illustre parfaitement.

Il faut que l'Europe puisse aider à investir dans les compétences des gens beaucoup plus fortement. On a aujourd'hui des critères qui sont assez rigides, il y a ce critère de 500 emplois au moins supprimés pour pouvoir utiliser le Fonds d'adaptation à la mondialisation ; il faut peut-être le revoir pour le rendre plus souple et activer cette poche financière un peu mieux, parce que partout en Europe on va avoir des transitions à faire pour reformer les gens, pour passer de, entre guillemets, la vieille économie à la nouvelle économie.

Donc je pense que l'Europe est très importante à cet égard. Dernier point c'est l'Erasmus professionnel. Quand on parle de nos décrocheurs et des jeunes, l'apprentissage - l'Allemagne en un très bon exemple, l'Autriche aussi et plusieurs autres ici présents - c'est l'apprentissage qui aide à faire entrer les jeunes. Et donc je pense qu'aujourd'hui déjà l'Erasmus ne marche pas suffisamment fort parce qu'on n'y a pas mis cet argent, parce que collectivement on est très hypocrite on dit à chaque fois c'est très bien, on fête les 30e anniversaire mais on ne veut jamais mettre de l'argent collectif, donc 50% quasiment des Erasmus ne sont pas honorés parce qu'on n'est pas l'argent communautaire. Si on a une vraie ambition pour l'Erasmus apprentissage mettons l'argent, mais mettons-le vraiment ! parce que nos jeunes en ont besoin pour rentrer justement dans le monde du travail.

Tout dernier point de remarque par rapport à cette transformation, on doit être cohérent dans l'ensemble de nos politiques par rapport à ce défi. Moi je pense que ces défis sociaux on ne doit pas les regarder simplement dans les sommets sociaux une fois tous les 20 ans, et j’ai bon espoir qu'on le fera une fois tous les ans parce qu'on sera plusieurs à pousser. Mais ça doit être cohérent avec toutes nos politiques. On ne peut pas avoir une politique territoriale et de cohésion territoriale en ne regardant pas le sujet social ; donc moi je suis pour conditionner à la convergence sociale les fonds structurels et la cohésion.

On ne peut plus avoir un modèle ou on laisse se développer des business model de dumping social ou fiscal financés par les fonds européens. Je suis pour que notre politique commerciale prenne en compte nos objectifs sociaux ; on ne peut pas dire « nous on veut être le « best in class » sur le modèle social mais ne pas défendre nos travailleurs quand il y a du dumping, et à cet égard moi je soutiens ce que la Commission a fait, le Parlement européen et Antonio le rappelait tout à l'heure, mais donc il faut protéger nos travailleurs quand il y a du dumping parce que ça protège le modèle social européen, mais dans nos accords commerciaux il faut aussi qu'on prenne en compte nos exigences sociales ; et quand on négocie avec des régions qui sont très différentes on ne doit pas chercher à forcément s'aligner, parce qu'on a une vision simplement mercantiliste au moment où on regarde les accords commerciaux sur un modèle social moins disant ; il faut défendre le modèle social ; et donc il faut défendre une vraie convergence sociale et ses principes en sont le socle.

Aujourd’hui, on a une trop grande divergence sur le plan social entre les Etats membres. Et donc ce qu'on a su faire sur le plan monétaire, sur le plan économique qui est de progressivement, en ayant une stratégie à 10 ans, faire converger des gens autour d’un corridor puis d'un point unique, en quelque sorte avant un point de référence qui faisait converger nos économies, on doit faire pareil sur le plan social, on doit définir quel est notre standard commun. On a des différences, on a des préférences collectives qui ne sont pas forcément les mêmes, mais si on refuse toujours de dire « on doit avoir une espèce de standard commun et puis on accepte des souplesses autour de celui-ci, mais on a une vision et un principe commun », on ne progressera jamais sur ce sujet et on restera très hypocrite.

Voilà. J’ai été un peu long mais des sujets qui au-delà du cas français et européens de court terme me paraissent importants pour adresser ce défi et avoir au sein de la mondialisation où nous vivons un modèle social plus juste. Si l’Europe ne les fait pas personne ne le fera pour nous.

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