Depuis la cour de l'Hôtel des Invalides, le Président de la République Emmanuel Macron a présidé l'Hommage national rendu à Daniel Cordier, compagnon de la Libération, décédé le 20 novembre 2020.

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Communiqué - Décès de Daniel Cordier

26 novembre 2020 - Seul le prononcé fait foi

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DISCOURS DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE À L’OCCASION DE L’HOMMAGE NATIONAL À DANIEL CORDIER.

À nous voir ici réunis, Daniel CORDIER aurait sans doute souri. Lui qui traversa les plus sombres chapitres du siècle dernier, et qui en écrivit des pages parmi les plus belles, ne s'était jamais départi d'une lumineuse légèreté, d'une élégante pudeur quand les honneurs lui étaient rendus. Il nous aurait regardé avec ce sourire d'éternel enfant, aurait prononcé quelques mots dans un souffle et aurait pris congé, sans doute en riant, simplement. 

À 20 ans, en 1940, il fit partie des résistants de la première heure, de ceux qui restèrent debout quand tout s'effondrait, prêts à tous les sacrifices pour que la France restât à la France. 

À 100 ans, en cette année 2020, il fit partie du dernier carré de la garde, de ces tout derniers Compagnon de la Libération, qui avait connu DE GAULLE dans l'exil de Londres et MOULIN dans l'armée de l'ombre. 

Soldat des Forces françaises libres, agent de la République, des catacombes et de la grande cohorte, il était de ces heures décisives, devenu l'historien magistral, la mémoire vivante. 

La vie de Daniel CORDIER est un roman d'aventures. Il avait en lui une part du roman national et de tant d’autres, plus intimes. Le goût de l’action et du dépassement, une bravoure impétueuse, une soif d’absolu, une liberté totale et surtout l’amour de sa patrie, la France. 

Adolescent, cet amour prit d’abord la forme d’un nationalisme ombrageux. Oui, on peut combattre le nazisme de toutes ses forces, porter haut la tolérance et l’humanisme et avoir été, un moment nationaliste et anti-républicain. Encore faut-il croire en l’homme.

Le 17 Juin 1940, Daniel CORDIER est abasourdi. Le vainqueur de Verdun, PÉTAIN, en qui il avait placé ses espoirs, a trahi la France en voulant cesser le combat. CORDIER, lui, refuse de se résigner. Il veut agir. 

A Pau, avec quelques amis, ils sont un petit groupe de patriotes. Ils n’ont pas encore 20 ans mais ils préfèrent déjà mourir pour la France que de risquer une vie sans elle. « Nous n’étions que des enfants », répétait souvent Daniel CORDIER en écho aux premiers mots étonnés que lui avait dits Jean MOULIN en le voyant. Des enfants encore certes, mais déjà des braves. 

Ils vont alors suivre le Général DE GAULLE à Londres et rejoindre ce contingent de l’idéal qui s'appellera bientôt les Forces françaises libres. Le Général leur était inconnu quelques semaines plus tôt. Mais dans ses pas, ils iront jusqu'au bout du monde, jusqu'au bout de leurs forces, souvent jusqu'au bout de leur vie. Car il a, comme eux, cette foi invincible dans le destin de son pays. 

De l'autre côté de la Manche, ces jeunes hommes s'entraînent dès lors à faire la guerre et nouent entre frères d'armes une solide camaraderie. Au contact de certains, comme Raymond ARON ou Stéphane HESSEL, les convictions de Daniel CORDIER changent. L'homme se transforme. 
Ils sont cette confrérie de rebelles qui a choisi de relever l'honneur et de reforger la nation. 

Mais après deux années en Angleterre, Daniel CORDIER brûle d'agir. Parachuté à l'été 42, il devient à Lyon le bras droit de REX, le représentant de DE GAULLE en France, le chef de la résistance, celui que l'histoire révélera sous son vrai nom, Jean MOULIN. 

Pendant près d'un an, Daniel CORDIER crée autour de Jean MOULIN un véritable état-major clandestin. Il assure les liaisons radio entre Lyon et Londres, rédige les télégrammes, les encrypte et les décrypte, distribue l'argent aux divers mouvements de résistance. 

Vie de conciliabules à voix basse, de suspicions permanentes de tout et de tous, où la trahison et la délation rôdent. Guerre à huis clos, dans des appartements à rideaux tirés. Guerre que l'on vit seul, et dans le secret. 

En mai 1943, enfin, REX accomplit la mission que DE GAULLE lui avait donnée, l'unification de la résistance, étape essentielle pour que la France participe à sa libération et relève le défi de son avenir. 

Mais le mois suivant, Jean MOULIN est arrêté, torturé. Il reste muet et meurt en supplicié silencieux, en martyr et en héros. 

MOULIN disparu, CORDIER est comme orphelin. Le legs du patron est indicible : les aventures, la peur partagée, l'attachement à la nation et à la République, un humanisme inspirant pour le jeune CORDIER qui à son contact devient un homme. Jusqu’au seuil de sa vie, à l’évocation de Rex, Caracalla ne pouvait retenir ses larmes. 

Mais pour l’heure, il continue le combat. Malgré le chagrin et les risques, Daniel CORDIER gagne l’Espagne en 1944, est emprisonné, s’évade, avant de rejoindre les services secrets à Londres. À la fin de la guerre, lui qui avait rêvé de combattre avec les armes n'a tué aucun ennemi. Mais avec quelques autres, il a permis à la France de reprendre possession de son destin. 

Lorsque la France lui est enfin rendue, lorsqu'il n'est plus question de vaincre mais de vivre, que les jours heureux qu'il a fait advenir sont bien là, Daniel CORDIER les étreint. À 25 ans, il réinvente sa vie, en toute liberté. Il salue ses camarades et emprunte un chemin sur lequel Jean MOULIN l'avait guidé. 

Peintre et marchand d'art, c'était la couverture de MOULIN. C'était aussi son rêve. Chaque fois qu'ils se croyaient espionnés, MOULIN parlait à CORDIER de CÉZANNE, KANDINSKY ou PICASSO. 

Et MOULIN avait fait à CORDIER une promesse : un jour, il l’emmènerait au musée du Prado. C’est seul que Daniel CORDIER s’y rend. 
Il apprend à peindre, court les musées du monde, achète ses premières toiles. Peintre et marchand, il devient l'un des regards les plus audacieux du siècle. Nicolas DE STAËL et DUBUFFET, MICHAUX, MATTA, BELLMER et tant d'autres : les plus beaux espoirs et les futurs grands noms de la peinture abstraite se côtoient dans les galeries qu'il ouvre à Paris, à Francfort, à New York. Il voyage, explore le monde, organise des expositions, participe à la Fondation du Centre Pompidou, dont il étoffe les collections par ses conseils et par ses dons. 

Cette épopée artistique s'interrompt en 1977 lorsque le résistant Henri FRENAY, fondateur du mouvement Combat, insinue dans un livre que le héros de la résistance unie était en réalité un agent des communistes. 

Par fidélité et par amour pour Jean MOULIN, par souci du vrai, Daniel CORDIER s'indigne et se lance alors dans un titanesque travail historique. 

Pendant plus de 40 ans, il se plonge dans les archives, écrit, publie, témoigne. De livres en entretiens, il brosse le portrait le plus complet de Jean MOULIN. Par-delà la légende dorée de la résistance, il convoque les tensions et les complications, les erreurs et les errements, les espoirs souvent déçus mais jamais taris, et cet optimisme fou enfin ancré dans une foi absolue en la France. Daniel CORDIER rédige ensuite ses Mémoires de guerre, Alias Caracalla, un hymne au courage de 900 pages narrant chaque journée de son ralliement à DE GAULLE jusqu'à la mort de MOULIN. 

Il contribua ainsi à bâtir l'histoire du siècle passé, à apporter son indispensable témoignage à la mémoire de notre temps présent. 

Ce travail de vérité, ce tombeau de la Résistance, est un fil invisible tressé entre les 1038 compagnons de la Libération, tous ceux qui, comme lui, se sont dressés dans le refus superbe de la soumission pour défendre un idéal qui les dépassait. 

Ces 1038 militaires et civils, Français et étrangers, de toutes origines et de tous horizons, Daniel CORDIER en prit le flambeau en devenant finalement Chancelier d'honneur de l'Ordre de la Libération.

Et aujourd'hui, en cette Cour d'honneur des Invalides, il n'en reste qu'un, à qui les braises ardentes sont rendues. C'est vous, Hubert GERMAIN. 
Mon lieutenant, je compte sur vous, et vous le savez, vous ne serez jamais seul. Daniel CORDIER a rejoint Jean MOULIN et tous vos camarades ; et leur souffle, leur bravoure sont intacts qui vous porteront chaque jour. 

Daniel CORDIER a toujours agi par amour. L'amour de la patrie où se mêlent le passé, la terre et le goût de l'universel ; l'amour de la liberté qui justifie de prendre tous les risques ; l'amour du beau qui le conduisit à révéler tant d'artistes ; l'amour de la vérité qui lui fit écrire l'histoire. Mais au fond, il fut l'éternel héros du grand roman d'apprentissage que fut son existence. À chaque étape, il prit congé pour réinventer sa vie. 

Daniel CORDIER fut un français libre. Amoureux d'une France sans chaîne, lui qui pleura à chaque fois que cette Marseillaise entonnée à 20 ans avec ses camarades revenait à sa mémoire. Libre, libre de ses amitiés, libre de ses amours. Libre oui, car il avait décidé d'épouser son destin. 

Alors, cher Daniel, cette flamme que vous avez allumée avec vos compagnons ne s'éteindra pas. J'y veillerai. Et elle continuera à en inspirer bien d'autres. 

Adieu Caracalla ! Merci. 

Vive la République ! Vive la France !

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