22 janvier 2018 - Seul le prononcé fait foi

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Discours du Président de la République, Emmanuel Macron, à la Cour des comptes

SEUL LE PRONONCÉ FAIT FOI

Monsieur le Premier président, Monsieur le Procureur général, Monsieur le président du Sénat, Mesdames et Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs les élus, représentants des autorités, Mesdames et Messieurs les magistrats, Mesdames et Messieurs.

Vous avez bien fait de rappeler, Monsieur le Premier président, que la rencontre entre le président de la République et la Cour des comptes à l’occasion de cette audience solennelle, relève d’une tradition somme toute assez récente au regard de l’âge vénérable de votre institution. J’y vois un trait caractéristique de notre modernité qui accorde aux finances publiques une importance démocratique toute particulière.

Chaque citoyen a désormais la conscience aigüe que l’argent public est, pour une part, son argent, et la bonne gestion des finances publiques est devenue la première expression du sens de l’intérêt général et donc le premier devoir d’un gouvernement. Il n’en demeure pas moins, et les dernières décennies l’ont montré, que nous vivons dans une forme de paradoxe français où je crois que chacun s’accorde à dire qu’il est bon de réduire la dépense publique, comme il est bon de réduire le niveau de la fiscalité, et que les désaccords commencent quand il s’agit définir lesquels. Et quand bien même on a parfois déclaré qu’il fallait en réduire beaucoup, le soutien n’est pas le même quand il s’agit de s’attaquer à la chose. C’est donc, non pas avec la fatalité qui accompagne Sisyphe, mais la rigueur qui accompagne l’action, qu’il nous faut partager et échanger.

Votre propos a fait état, sans ambages, des limites qu’a pu rencontrer dans un passé récent l’accomplissement du devoir que j’évoque et cette audience solennelle est l’occasion, pour moi, de vous dire combien, de manière extrêmement franche, je souhaite justement suivre en matière de finances publiques une voie nouvelle qui permette, suivant, à cet égard, nombre de vos recommandations, et l’expérience, aussi, qu’est collectivement la nôtre, d’accomplir, je l’espère, quelques progrès. Il est bon Monsieur le Premier président que ces circonstances soient pour nous un moment d’échange direct de vues et de convictions, car c’est ainsi que j’envisage en effet mes relations avec la Cour des comptes.

L’approche budgétaire et financière que le gouvernement a choisie repose sur des choix que je crois nouveaux en matière de finances publiques et qui ont été clairement proposés aux Français au printemps dernier, il s’est agi pour nous de poser un regard différent sur la dépense publique et son usage. Il est constant, en effet, que la dépense publique est depuis plusieurs décennies la réponse apportée aux questions économiques et sociales posées aux gouvernements successifs. La dépense publique est devenue chronique, alimentée par une fiscalité vécue par nos concitoyens comme parfois confiscatoire, favorisant l’accumulation d’une dette publique massive, parce que la dépense publique n’est, en quelque sorte, devenue que la variable d’ajustement majeure consistant à traiter les symptômes plutôt que résoudre les causes profondes.

Nous avons créé de la dépense publique dans les principaux secteurs d’activités économiques de notre pays, comme pour les principales politiques publiques, parce que nous voulions corriger des injustices, des inefficacités, à défaut de vouloir traiter les causes profondes de ces dernières. Et si nous ne nous attardons pas un instant sur ce mécanisme, nous resterons dans une logique simpliste qui consiste, dès qu’on fait des économies, à vouloir simplement couper le traitement symptomatique, mais à ne pas s’attaquer aux causes profondes qui avaient conduit à le prendre.

Il importe donc, à la lumière des travaux qui sont faits, d’une évaluation profonde, à chaque fois, dans la stratégie de finances publiques proposée, de pouvoir précisément traiter la cause profonde des inégalités ou des inefficacités ainsi créées, permettant progressivement de réduire la dépense qui venait en traiter les effets. Et qu’il s’agisse de la formation professionnelle, de l’emploi, du logement, il est temps de redécouvrir un levier dont l’Etat, dans le passé, a pu se saisir avec efficacité, qui est celui de la transformation publique, fondée sur une politique d’investissements et une réforme profonde.

La discipline budgétaire est cependant la condition de telles ambitions, vous le savez, l’entrée en matière budgétaire de ce quinquennat n’a pas été facile, et vous avez rappelé à l’instant, Monsieur le Premier président, les premières décisions prises à cet effet. Dès le mois de juin la Cour des comptes a en effet remis un audit au Premier ministre, alertant sur un problème de dérapage des dépenses de 2017, sous-évaluées dans la loi de Finances votée en décembre 2016, et susceptible de porter le déficit public à 3,2 %, sauf à prendre des mesures de gestion très rigoureuses, et à bien lire votre rapport, la prévision de déficit était même plus proche de 3,4 % car l’atteinte des 3,2 % supposait déjà des mesures de régulation. Le gouvernement ne s’est pas résigné à ce dérapage et a pris les dispositions nécessaires, car c’eut été contraire à notre engagement européen, Monsieur le Commissaire, et, plus profondément, c’eut été contraire à mon engagement de campagne, pris devant nos concitoyens, de respecter le pacte de stabilité sur l’ensemble du quinquennat. Bien plus, c’eut été continuer de laisser penser que la hausse des déficits, l’accroissement de la dette, ne seraient pas graves pour le pays.

A cette dérive annoncée de la dépense publique s’est ajoutée en octobre la censure par le Conseil constitutionnel de la surtaxe d’impôt sur les sociétés, 3 % sur les dividendes, créant un trou d’air supplémentaire d’environ 10 milliards d’euros. Là aussi le gouvernement a choisi la responsabilité, décidant de rembourser sur deux années, en partie par un effort des entreprises, en partie par un effort en dépenses.

Le gouvernement a donc pris les mesures qui s’imposaient en respectant la parole donnée, c'est-à-dire sans alourdir les impôts et sans la facilité que nous aurait offert le recours à un collectif budgétaire. Cette détermination à faire ce qui a été promis traduit la volonté sincère du gouvernement de maîtriser les dépenses et de réduire le déficit public dans les prochaines années. Et j’insiste sur ce mot, de sincérité, qui a guidé la construction du budget pour 2018 et de la trajectoire budgétaire du quinquennat, je sais tout ce qu’il signifie pour cette institution.

Le budget que le gouvernement a présenté, avec des choix clairs et assumés, à la hausse comme à la baisse, est donc, à ce titre, historique. Nous avons choisi de conduire des premières transformations dans des champs de politique publique où le besoin d'efficacité était le plus criant, le logement, l'emploi ou les infrastructures, et je ne détaillerai pas ici les divers plans qui ont émergé dans ces domaines, tous répondent à une préoccupation similaire : revoir la structure même des politiques publiques, pour redonner de l'efficacité à la dépense publique et donc, à terme, la réduire. Sur chacune de ces politiques publiques c'est la logique même de l'organisation de cette politique qui a été revue avec des premiers effets dès l'année 2018.

Bien entendu les pleins effets prendront du temps, davantage qu’une coupe, ou que le rabot que vous évoquiez, mais c'est pour avoir la main plus sûre, pour que les effets soient plus durables. Ainsi, il vous sera aisé de comprendre qu’une telle politique de transformation s'accompagne aussi d'une politique d'investissement. Je veux ici en prendre un exemple simple, le gouvernement a conduit des réformes importantes en matière d'emploi, il va continuer à le faire, qui permettront d'obtenir de véritables économies, parce que, qu'il s'agisse de la formation professionnelle, ou qu'il s'agisse des mécanismes d'indemnisation, nos inefficacités coûtent, et les dysfonctionnements du marché du travail se retrouvent dans les chiffres de l'Assurance chômage, et sont un coût pour la collectivité.

Doit-on rester prisonnier d'un débat que nous connaissons parfaitement, qui consisterait à savoir s'il faut baisser la durée, le niveau des prestations, c'est vouloir ne traiter que le symptôme. Les réformes prises, dès l'été dernier, en matière de marché du travail, qui sont complétées dans les mois à venir, en matière de formation continue ou d'apprentissage, sont de nature à résoudre, sur les prochains mois et les prochaines années, une partie de cette équation, si elles s'accompagnent en même temps d'une politique d'investissement décidée, qui permettra de requalifier des femmes et des hommes qui, sans cet investissement, n'auraient aucune perspective de retour à l’emploi.

C’est ce qui montre la complexité de la situation dans laquelle nous sommes, que vous avez l'un et l'autre parfaitement décrite, tout à la fois régler les problèmes de court terme, mais savoir obtenir des économies en traitant les problèmes structurels de nos politiques publiques, et en préparant l'avenir. C'est pourquoi les objectifs, sous ce quinquennat, sont simples : réduire, comme je m’y suis engagé, d'environ 60 milliards d'euros la dépense publique, mais dans le même temps savoir investir dans les domaines les plus critiques et des plus nécessaires pour accélérer cette transformation et permettre des économies durables.

La politique de l'emploi que je viens de décrire, et les économies qui en procèdent, n'auraient absolument aucune résistance aux faits si nous ne décidions, dans le même temps, d'investir environ 15 milliards d'euros, dans les chômeurs les moins formés, dans les jeunes en particulier, en situation de décrochage. Car, quels que soient les chiffres de croissance des mois et années qui viennent, compte tenu de notre situation du marché du travail depuis plusieurs années, ce n'est que par une politique de formation volontariste que nous pourrons ramener près de 2 millions de femmes et d'hommes vers l'emploi.

Et donc, il faut toujours s'attacher à regarder le court, le moyen et le long terme en la matière, et ces baisses de dépenses doivent ainsi être le fruit, tout à la fois, de transformations profondes, qui rencontrent des résistances, et elles sont bien légitimes, parce qu’elles s’étaient parfois aussi installées sur des situations de rente, des organisations inefficaces, et une politique d'investissement résolue. Il en sera ainsi en matière d’emploi, de formation professionnelle ou de logement, et je ne mésestime aucune des résistances que nous connaissons en la matière, elles se poursuivront, elles s'exprimeront de manière régulière, parce que sur chacun de ces sujets nous nous étions collectivement habitués à l'inefficacité de la dépense publique. Et ce que vous dénonciez, rapport après rapport, n'était pas simplement des chiffres, c'était aussi des morceaux de secteurs de l’action publique, ou privée, qui s'étaient installés, qui s’étaient habitués à vivre, et qu’il nous faut, par ces décisions, quelque peu bousculer. C’est pourquoi, à côté de l’engagement de réformes profondes, qui pour moi n'est pas à distinguer des mesures d'économies, il les accompagne et les rend possibles, il y a aussi ce nécessaire investissement dans plusieurs secteurs de notre économie.

Concernant la méthode nous avons fait un triple choix, celui de la prévisibilité d’abord. Il n’y a pas de bonne réduction de la dépense publique, ou de la fiscalité, s'il n'y a pas une visibilité qui est donnée aux acteurs. Après tant d'allers-retours en matière fiscale et budgétaire, qui ont écorné la crédibilité de l'Etat, il est crucial de donner à tous les acteurs économiques une parfaite visibilité sur ce que nous allons faire, parce que c'est ce qu'ils demandent, c'est ce dont ils ont besoin pour investir, développer leurs entreprises, pour continuer à avoir confiance, parfois même dans leur quotidien, et c'est ce dont nous avons besoin pour assurer ce chemin, parfois difficultueux, d’une réforme en profondeur. Cette prévisibilité, en matière de finances publiques, s'incarne autour de trois chiffres clés : 1 point de prélèvements obligatoires en moins sur le quinquennat, 3 points de dépenses publiques, 3 point de produit intérieur brut de dépenses publiques en moins sur ce quinquennat, et 5 points de réduction de dette, car, ne nous y trompons pas, notre véritable enjeu en matière de finances publiques, vous l'avez rappelé, c'est de contenir, puis de réduire, notre endettement. Non pas parce qu'il s'agirait d'une finalité en soi, parce que c'est à la fois un devoir sur le plan de la justice intergénérationnelle, et la condition même de notre souveraineté véritable, de notre capacité à continuer à proposer au pays une voie et de pouvoir le dessiner nous-mêmes, pour nous-mêmes et par nous-mêmes.

Le deuxième choix de méthode c’est celui de la sincérité, cette sincérité que vous avez vous-même, Monsieur le Premier président, bien voulu souligner dans l'avis rendu par le Haut Conseil des finances publiques sur le projet de budget pour 2018. Un grand pays comme le nôtre se doit de présenter une image fidèle de ses finances, il en va du respect de la parole donnée et du respect des électeurs qui nous ont accordé leur confiance. Et cette confiance est nécessaire pour redonner l'élan économique et fortifier le pacte social qui nous lie, c'est le socle sur lequel on peut préparer l'avenir.

Troisième point de méthode enfin, c'est la priorité au raisonnement par politiques publiques. Il est certain que le volet budgétaire d'une politique publique est essentiel et en est l'armature, il faut cependant dépasser cette dimension, comme je viens de le dire, et ma conviction est que dans le cadre d'un budget maîtrisé la politique publique est avant tout l'expression d'une réponse à un problème donné, à un défi posé par l'évolution du monde, et c'est la dépense n'est en soi ni un bien, ni un mal, mais c'est à ses résultats que nos concitoyens la jugent. Et c'est donc sur des politiques publiques, sur leur efficacité d'ensemble, que le débat démocratique doit porter, et non uniquement sur des lignes budgétaires, qu'il s'agisse d'éducation, de formation professionnelle, de logement, de sécurité, l'efficacité prime sur la dimension strictement financière, et relève de l'hygiène démocratique, et vous l'avez vous-même rappelé à l'instant, c'est l'esprit même de la LOLF.

La Cour des comptes sera, j'en suis certain, la gardienne vigilante des engagements d'un retour à l'équilibre structurel de nos finances publiques, et ceci pour les trois versants des administrations publiques, c'est son rôle et c'est son utilité fondamentale au sein des institutions républicaines. Pour mener à bien la transformation de l'Etat, le gouvernement a engagé le chantier « Action Publique 2022 » qui permettra de nous doter, pour chaque domaine de politique publique, d'une trajectoire claire de réformes, accompagnant pour l'Etat lui-même, ce que je viens d'évoquer pour les différentes politiques publiques, et ce qui a été commencé dès cette année par le gouvernement. Et je vous rassure, l’intention du Premier ministre n'est pas d'attendre 2022, mais bien de commencer maintenant, mais actant du fait qu'il faut se donner un horizon de moyen terme, démocratiquement crédible, et sur lequel une responsabilité est assignée, pour aussi avoir les pleins effets des entreprises conduites. Car la grande difficulté c'est que nous avons une situation qui, année après année, paraît toujours être une situation d'urgence, mais les véritables transformations, les véritables réformes, ne se conduisent que sur quelques années pour que l'ensemble des gestionnaires aient eux-mêmes un intérêt à les conduire, aucun gestionnaire n'a intérêt à conduire une réforme difficile pour l'année qui vient, nous le savons, ici, tous et toutes, et beaucoup d’entre vous ont eu ces tâches difficiles à conduire, si on ne l’encourage pas à déployer son action sur plusieurs années, pour pouvoir pleinement en tirer, en tant que gestionnaire, les pleins bénéfices et la plénitude des effets.

Des réformes en faveur de l'efficience budgétaire, bien sûr, seront conduites dans ce cadre, de mais aussi des réformes pour renforcer l'efficacité du service public rendu aux usagers. Souvent, ce sont les mêmes leviers, comme le numérique, que nous mobiliserons sur les deux tableaux. Cette réforme doit aussi redonner le sens et la fierté de l'action aux agents publics. Je ne crois absolument pas au tic-tac dans lequel nous vivons, année après année, sur le sujet de la fonction publique, il n'y aurait pas d'un côté les gens qui n'aiment pas la fonction publique et souhaitent faire des coupes, et de l'autre des gens qui la défendent pour ne rien en changer, non, il y a un sens à retrouver à la fonction publique, il y a une responsabilité, et le sel de celle-ci à retrouver. Il y a la récompense offerte à celui qui transforme, il y a aussi l’évaluation juste qu’on doit à celui qui n’en fait rien, et il y a collectivement une énergie à redonner à la fonction publique par la transformation de son action au quotidien, et c'est bien dans cette voie, qui n'est pas médiane, mais qui, je crois, est juste, que nous voulons construire cette transformation.

La rénovation du cadre social, avec les agents publics, est au cœur « d’Action Publique 2022 », elle sera en particulier portée par le ministre de l'Action publique et des Comptes publics. Elle doit porter, en effet, plus de liberté et de souplesse pour mettre en œuvre la transformation. J’ai pris cet engagement dès la campagne présidentielle, je l’ai réaffirmé au Sénat en juillet dernier, lors de la Conférence nationale des territoires, et constamment, discours après discours, devant mes administrations. Je crois dans une administration plus déconcentrée, plus responsabilisée, avec tout ce qui en découle, mais aussi à qui on donne justement des latitudes d'action en termes d'organisation budgétaire, ou des services, à qui on donne plus de reconnaissance, et des rémunérations qui pourront être aussi différentes. C'est ce chantier qui sera engagé dès cette année, sous tous ses aspects, juridique, et constitutionnel si besoin, pour accompagner d'ailleurs la dynamique que nous donnerons aux collectivités territoriales, réglementaire et évidemment budgétaire. C'est une réforme essentielle de la transformation de l'action publique, la déconcentrer, donner plus de responsabilités et davantage évaluer.

Le Premier ministre réunira début février les ministres en comité interministériel de la transformation publique, qui permettra un point d'étape sur « Action Publique 2022 », non seulement le niveau d'ambition, que nous voulons maximal, mais validera les premières orientations et détaillera les moyens mis en œuvre pour les atteindre avec des décisions prises dès le début du mois de février. A partir de ce moment, chaque semaine, en Conseil des ministres, il sera rendu compte des réformes conduites, ministère par ministère, non seulement évidemment sur l'année qui vient, mais jusqu'en 2022, pour que les actions les plus ambitieuses soient ainsi pleinement déployées, pleinement conduites, et pleinement chiffrées.

S'agissant des moyens, nous avons notamment mis en place un fonds de transformation de l'action publique, qui sera doté de 700 millions d'euros sur le quinquennat, c'est une composante essentielle du grand plan d'investissement, avec la même logique pour l'Etat que ce que je viens d'évoquer pour l'ensemble des politiques publiques. Ce fonds part de l'idée simple et partagée que, pour réformer, il faut d'abord accepter d'investir, tout en changeant les pratiques, non pas investir, comme je l'entends parfois, simplement pour dématérialiser, non, vous l’avez parfaitement décrit à l’instant, Monsieur le Procureur général, c'est pour transformer les pratiques. Et ce dont l’Etat a besoin pour lui-même, et ce qu'il a besoin d'accompagner partout dans notre économie, c'est sa capacité à repenser son action et investir, à due proportion, pour ne pas avoir peur du changement. Autorisez-moi, Monsieur le Procureur général, cette remarque : quel que soit votre endroit dans cette pièce, vous ne serez pas protégé de ce changement, parce qu'il n’adviendra pas dans 20 ans, il est en cours et il arrivera beaucoup plus vite qu'aucun d'entre nous dans cette pièce ne le pense. Nous aurons, je suis à peu près certain, tous et toutes, à le vivre.

Le seul point est que nous pouvons continuer dans notre pays, comme nous l'avons fait souvent, à penser que nous allons protéger notre propre quotidien ou celui de nos semblables en les protégeant d'un changement inexorable, la promesse peut tenir un temps, votre discours à cet égard est encourageant car vous êtes en train de le penser et d’agir en conséquence, il est là et il adviendra. Ce changement va impliquer des transformations profondes, et il s'agit non pas d'y résister, mais de le penser, de l'organiser, de lui donner un cadre, et de permettre, pour ce qui est de l'action publique, de s'assurer que nos principes sont maintenus, que nos institutions, la philosophie qui les anime, sont préservées, mais que nous puissions en tirer précisément tous les bénéfices, et que l'efficacité collective soit ainsi améliorée sans que pour autant notre organisation, les principes qui la fondent, et le sens que nous donnons à notre action, en soient détériorés.

Qu’il s’agisse de l’Etat, de la Sécurité Sociale, des collectivités territoriales, ces changements à l'œuvre, en effet, accompagneront l'action publique et devront, dans les prochaines années, être pleinement déployés. Mais qu’il s'agisse de l'ensemble de ces administrations publiques, je souhaite que notre action réponde également à deux impératifs. D’abord elle doit avoir du sens pour tous nos citoyens. La protection sociale, par exemple, alors même que notre économie devient plus instable, nos vies plus multiples, doit être sans cesse renforcée, c’est pourquoi je refuse ce que j'appelle « les réformes paramétriques », les approches comptables qui rognent des droits sans offrir de nouvelles perspectives. Donner du sens c'est expliquer ce changement qui est à l'œuvre, pour expliquer qu'on va protéger différemment nos concitoyens, non pas simplement en corrigeant les heurts de la vie, qui seront plus nombreux, dans une économie de la connaissance et l'innovation où le changement est permanent, mais en ayant une vraie politique de formation initiale et continue, et en pensant justement ces protections à l'aune de ces nouveaux risques. Et qu’il s’agisse de la vieillesse, de la maladie, du chômage ou de la famille, il en sera de même.

C’est dans ce contexte, évidemment, de redonner du sens, et avec lui une pleine efficacité à nos politiques, que je souhaite que la réforme des retraites soit conduite. La préparation a été confiée à Jean-Paul DELEVOYE. Il doit s'agir, avant tout, d'un grand choc de lisibilité et de simplification de notre régime de retraite. Lisibilité pour les usagers, qui doivent pouvoir comprendre en temps réel où ils en sont de leurs droits à la retraite, et qui ne doivent pas être pénalisés par des carrières non linéaires, passant du public au privé, du salariat à l'entrepreneuriat, et inversement, mais aussi lisibilité et efficacité pour le pilotage financier de notre système de retraite, afin de le sortir de cet état de crise perpétuel où chaque réforme des retraites est, en quelque sorte, une modification de dernière minute, nécessaire et toujours justifiée en termes de finances publiques, mais qui endommage la confiance et qui ne change pas les règles fondamentales de son fonctionnement.

Ce grand chantier, qui va nous conduire à rapprocher notre système, héritier d’un consensus productif datant de quelques décennies, nous permettra de passer des 37 régimes de retraite actuels à un régime simplifié, lisible, et donc restaurant la conscience de chacun, il s'ouvrira dès cette année, ce grand chantier, et je souhaite que l'ensemble des textes puissent être finalisés d’ici à l'été 2019.

Notre action doit aussi s'appuyer sur tous les acteurs de l'action publique et en leur faisant confiance. Je pense bien sûr aux gestionnaires publics, le cadre budgétaire et la comptabilité publique dans lequel ils travaillent doit être réinterrogé, il s’agira notamment de réfléchir à une plus grande responsabilisation de ces gestionnaires par une régulation budgétaire, vous l’avez évoquée, Monsieur le Premier président, volontairement souple, puisque la part des crédits mise en réserve cette année est historiquement faible, et par un meilleur intéressement budgétaire, pour ceux qui innovent et qui, ce faisant, deviennent très efficients.

Au sein de l’Etat même, nous avons décidé de changer de logique, la réserve de précautions habituelles qui permettait des décisions de dernière minute est réduite à un niveau historiquement bas, mais nous allons demander à chaque gestionnaire public de faire mieux dès le début d’année, mais aussi d’intéresser ceux qui font mieux. Cette démarche est déjà en partie engagée, en partie inscrite dans le cadre d’Actions Publique 2022 auquel quelques-uns d’entre vous, dans cette salle, participent, et que je remercie pour leur implication.

J’ai également pris bonne note de votre volonté – que je partage – d’ouvrir une réflexion sur la responsabilité des ordonnateurs et l’évolution de la Cour de discipline budgétaire et financière. Sur ce point – et vous l’avez rappelé, l’un, puis, l’autre – vous avez parfaitement raison, il n’y a pas d’action publique efficace s’il y a une dilution de la responsabilité. Et nous avons, ces dernières décennies, conduit, collectivement, à l’évolution de notre système en créant une forme d’irresponsabilité relative du quotidien, pour finir tous et toutes dans une forme de responsabilité pénale intenable, pour chacun.

Ce système, si nous le laissons prospérer, conduira au triomphe des prudents, peut-être même des inefficaces, parce que ça n’est qu’une prime qu’à cela. Je souhaite donc qu’il puisse y avoir, comme je l'évoquais la semaine dernière à la Cour de cassation, d'une part, une évolution du régime de responsabilité pour les ministres, qui ne saurait être un régime banalisé de responsabilité pénale, qui plus est, avec une suppression de la Cour de justice de la République, mais une plus grande responsabilité au quotidien des actes de gestion, parce qu’il nous faudra continuer à assigner la responsabilité sans laquelle en effet la fatalité triomphe.

Et il nous faudra pouvoir continuer à en tirer toutes les conséquences, c'est un chantier qui est devant nous, dans le cadre duquel les propositions que vous faites, me semble-t-il, sont profondément pertinentes. Et je souhaite qu'elles puissent, ce faisant, aboutir. Cette confiance dans les acteurs, c'est aussi celle que nous voulons à l’endroit des collectivités locales, le refus de baisser unilatéralement les dotations, comme le choix de l'instrument de contractualisation, sont emblématiques de cette approche fondée sur la confiance. Elle est inédite.

Et elle doit, là aussi, être accompagnée par l'ensemble des uns et des autres, elle ne fonctionnera que si la responsabilité est au rendez-vous de la confiance qui est octroyée ; j'entends déjà des voix qui s'élèvent lorsque nos comptes sont regardés ; parfois à quelques centaines de kilomètres d'ici, que veut dire cette contractualisation ? Qu’on n’aurait donc pas les résultats, comme si la chose était déjà perdue d'avance.

Je crois dans l'esprit de responsabilité des collectivités territoriales qui auront à contractualiser avec l'Etat dans un cadre plus intelligent mécaniquement qu’une baisse unilatérale et aveugle de la dotation, mais je pense que chacune et chacun, maintenant, a sa part de responsabilité à porter.

Je pense enfin aux acteurs de la sphère sociale qui auront, là aussi, des réformes importantes à conduire, mais avec le même esprit, nous avons fixé un objectif de croissance pour l'Assurance-maladie à 2,3 %, il est stable sur le quinquennat, c'est un objectif de maîtrise financière mais qui permettra, dans cette enveloppe, d'avoir les politiques d'adaptation de l'offre, qui supposent aussi, dans certains cas, un investissement réaliste, et la stratégie nationale de santé consacrera notre stratégie fondée sur la prévention qui permettra, là aussi – je le sais – de dégager des économies de moyen et long termes.

Quant à l'assurance-chômage, la réforme en cours permettra de consacrer de nouveaux droits, sans remettre en cause l'équilibre financier, et en améliorant les comptes, compte tenu des investissements faits et de la transformation du marché du travail que j'évoquais. Les ambitions de cette transformation sont élevées, elles doivent être suivies de façon attentive, c'est pour cela que j'ai souhaité également engager le chantier indissociable de cette transformation qui est celui de l'évaluation.

Comme vous le savez, la révision constitutionnelle que j'ai voulu lancer vise notamment à donner au Parlement un rôle accru en matière de contrôle et d'évaluation de l'action gouvernementale. Le président de l'Assemblée nationale a rendu son rapport il y a quelques semaines, le président du Sénat le fera dans quelques jours, et je sais que l'un et l'autre participent de cette réflexion ouverte utilement lors de la révision constitutionnelle de 2008, que vous avez rappelée il y a quelques instants.

Et c’est retrouver le cœur même de ce qu'est l'exercice parlementaire, les Parlements avaient droit de remontrance, c'est-à-dire de contestation des Edits lorsqu’ils leur apparaissaient contraires à l'intérêt du peuple ou aux lois fondamentales du royaume, mais nous avons un peu perdu de cette culture de l'évaluation. Et il nous faut réussir à sans doute avoir moins de débats a priori et de principes sur des textes peu éclairés par la pratique, savoir prendre plus de risques parfois et être plus innovants.

Et il nous faudra, je souhaite d’ailleurs que la révision constitutionnelle puisse en ouvrir toutes les voies, dans le cadre de l'action publique sous toutes ses formes, qu'il s'agisse de l'Etat, des acteurs sociaux ou des collectivités territoriales, permettre un droit à l'expérimentation et l'innovation bien supérieur, mais, dans le même temps, il nous faudra accroître les pouvoirs d'évaluation et de contrôle, parce que dans le monde, la société telle que nous la vivons, il est impossible dans un débat a priori d’évaluer la totalité des impacts, d'avoir une forme de "Praemeditatio malorum" d’absolument tout ce qui adviendra ou un chiffrage juste, d’ailleurs, nous n’y arrivons pas.

Il faut aller parfois plus vite, oser davantage sur certains territoires qui sont candidats ou dans certaines parts de l'action publique, pour pouvoir évaluer beaucoup mieux et en tirer toutes les conséquences. Nous sommes dans une économie de l'innovation et de la compétence, nous sommes dans une société dont le rythme a changé, l'action publique doit en tirer toutes les conséquences, mais éclairer le débat et l'action à venir de ces évaluations indispensables.

Et je souhaite en effet que le Parlement puisse avoir un rôle tout particulier en la matière, en revisitant aussi notre procédure budgétaire. Nos Assemblées passent presque un tiers de leur année à voter les lois de finances et de financement de la Sécurité sociale, je le dis devant les présidents des commissions concernées et nombre de parlementaires qui y participent, nous sommes sans doute l'une des démocraties qui passe le plus de temps à débattre de ces lois financières, mais regardez le débat de printemps, il est, quant à lui, totalement expéditif, nous n’avons que très peu de débats sur l'exercice passé et sa réalisation.

Et si nous regardons honnêtement la nature de nos lois financières, elles restent souvent assez proches de la proposition initiale du gouvernement. Cela, je pense, n’est ni conforme à l'esprit des institutions ni à celui de la loi organique relative aux lois de finances, ni optimale pour la bonne gestion des deniers publics. Le gouvernement passe trop de temps à convaincre et trop peu de temps à rendre compte de son action.

Il s'agira donc – je le souhaite – de rééquilibrer le calendrier parlementaire, aller plus vite sur le projet et demander au gouvernement de mieux rendre compte à la représentation nationale de son exécution. Je pense que c'est l'esprit même de nos institutions et ce sera aussi l'occasion de redonner plus de force à tous les travaux d’évaluation qui sont ainsi conduits.

En bonne intelligence avec les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, j'ai ainsi souhaité que nous réfléchissions à ritualiser un temps d'évaluation annuel au premier semestre, s'incarnant prioritairement dans l'examen rénové de la Loi de règlement, mais aussi dans une audition de chacun des ministres par les commissions parlementaires sur le bilan de l'année écoulée et sur le programme de travail de l'année à venir.

Par bilan, j'entends bien sûr le compte-rendu de l'exécution budgétaire, mais aussi la présentation des résultats ministériels, tant dans l'application des lois que dans la performance des politiques publiques. La Cour est déjà pleinement investie et présente dans ce moment de la vie budgétaire et parlementaire, puisque vous présenter à cette occasion pas moins de deux rapports de synthèse des résultats budgétaires et financiers, l’un rétrospectif, l'autre plus prospectif.

Mais vos travaux pourront alimenter une forme d'exercice de cette responsabilité devant le Parlement un peu différente. Il est donc naturel que le gouvernement et le Parlement s'appuient sur vous pour nourrir ce nouveau rythme démocratique que nous voulons initier. Pour ce faire, nous avons aussi besoin d'aller plus loin dans la culture de l'évaluation et l'analyse des résultats de l'action publique. J’avais pris l'engagement d'œuvrer en faveur d'une mesure et d'un affichage systématique d'indicateurs de qualité du service public et de satisfaction des usagers. J’y tiens, et nous le ferons, parce que je porte la conviction profonde que la transparence, y compris accompagnée par la révolution numérique que vous évoquiez, il y a quelques instants, est une chance.

Mesurer de façon objective les résultats, aussi bien quantitatifs que qualitatifs de nos services publics, nous aidera à redonner du sens à l'action de l'administration, à valoriser les équipes les plus performantes et à mieux identifier les bonnes pratiques pour aussi les généraliser, à réagir plus rapidement à une action qui n'est pas conforme ou au texte ou à la bonne utilisation des deniers publics. Et la Cour des comptes, se tenant toujours à équidistance du Parlement et de l'exécutif, pourra et devra jouer un rôle central dans cette nouvelle exigence de résultats.

Les Assemblées auront besoin d'être fermement appuyées chaque année dans ce printemps de l'évaluation dont nous dessinons les contours, et qui mieux que la Cour des comptes pourrait assister le Parlement dans ce rôle. Le gouvernement, quant à lui, aura plus que jamais besoin d'être audité et conseillé pour faire de l'évaluation le moteur de sa transformation, et je souhaite que la Cour des comptes puisse pleinement s'investir dans ce chantier.

A l'évaluation impartiale, il nous faut pouvoir associer le cœur de l'action publique et de son contrôle sous toutes ses formes. Il faudra pour faire tout cela que la Cour s’aventure encore un peu plus hors des eaux familières du contrôle budgétaire, et qui mieux que les magistrats de la rue Cambon pour développer plus avant la culture de l'évaluation. Nous avons ici l'article 15 de notre Déclaration des Droits de L’Homme qui nous rappelle la vocation première qui est la vôtre.

L’évaluation de la performance des politiques publiques est à l'origine, à la racine même de la Cour, et elle doit entrer progressivement dans nos métiers, dans les dialogues permanents entre le gouvernement et le Parlement, et nombreux sont les grands domaines de l'action publique où la Cour nous a donné à penser, et le plus souvent à agir, je pense aux politiques du logement, je pense aux politiques de solidarité, je pense encore à l'audiovisuel public, ou bien à la réforme des réseaux de collecte des prélèvements obligatoires et des services déconcentrés de l'Etat.

En matière d'évaluation des politiques publiques, la Cour a apporté au débat public également de nouveaux éclairages, je pense au tabagisme ou à la lutte contre l'alcool, mais plus récemment, à ses travaux sur l’autisme, sujet éminemment sensible de nos politiques de santé ou bien, le rapport commandé par le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, sur l'organisation de la fonction d'évaluation du système éducatif.

Dans tous ces domaines, vous avez su conjuguer une analyse pénétrante de l'existant et des propositions innovantes pour faire évoluer le rôle de l'Etat vers davantage d'efficacité, même d’efficience, je vous encourage également à continuer à exiger des comptes sur les suites de vos contrôles et de vos recommandations. Je ne doute donc pas que vous saurez élargir encore vos horizons pour pleinement accompagner la transformation que je viens d’évoquer et que je souhaite profondément pour les mois à venir.

Votre institution multiséculaire a maintes fois fait la preuve lorsque cela était nécessaire de sa plasticité, encore récemment, la réorganisation des Chambres, entrée en vigueur au 1er janvier, a montré que la Cour sait s’adapter pour continuer à remplir pleinement sa mission, et je ne doute pas que la Cour des comptes continuera de montrer sa compétence dans la maîtrise des outils d'évaluation à 360 degrés des politiques publiques, alliant à l'analyse comptable et financière les outils de l'analyse économétrique, ou pourquoi pas, numérique dans un avenir plus lointain. Et vous venez d'évoquer toutes les conséquences sur votre action et votre travail que la révolution numérique en cours produira, il est en effet indispensable de s'en saisir.

Car je crois que très profondément, si certaines tâches rébarbatives, qui ont déjà été largement allégées, pourront être modifiées de la sorte, c'est à une autre forme de contrôle qu'il faudra procéder, comme vous l'évoquiez, mais le contrôle ne se diluera pas dans l'innovation, et les données, même en large quantité, ne doivent pas en effet diluer les mécanismes de responsabilité qui sont aux fondements mêmes, non seulement de l'action publique, mais de la démocratie.

Ces défis exigeront assurément des profils de plus en plus aguerris, et c'est pourquoi l'expérience de gestion sera de façon croissante au coeur des savoir-faire requis, l'expertise technique dans certains domaines également. La multiplication des allers et retours entre la Cour et l'administration active est un ainsi une perspective naturelle pour les magistrats, et ce qui est vrai pour la Cour ne l'est pas moins pour les Chambres régionales, dont je salue ici l'action.

La performance ne saurait davantage être un tabou du service public, elle est un devoir vis-à-vis des usagers, vis-à-vis des contribuables, mais aussi vis-à-vis des agents publics qui aspirent à être reconnus dans l'excellence et accompagnés dans la difficulté ; la mesure de la performance et la définition des objectifs de politique publique passent ainsi avant tout par un vaste travail de définition des indicateurs pour répondre à la question essentielle de l'objectif que nous assignons à l'action ainsi conduite.

C’est pourquoi j'ai demandé au Premier ministre, dans le cadre d'Action Publique 2022, de faire des propositions pour que soit défini, avant la fin de l'année, un cadre d'élaboration et de publication des indicateurs de performances de toutes les administrations en lien avec les représentants des fonctionnaires et des usagers. Ne vous y trompez pas, ce n'est pas une culture de la performance pour elle-même que nous visons, cela n'aurait pas de sens, et ça n'est d'ailleurs pas ce à quoi je me suis engagé, mais c'est de renouer avec la culture du service, car on sert toujours quelqu'un, et il est le bon pour le mesurer.

Et donc, penser défendre la culture du service en ne demandant jamais au concitoyen usager ce qu'il en pense, ce qu’il en voit, ce qu’il en mesure, c'est en quelque sorte en perdre les fondements. C'est tout l'esprit du projet de loi pour un Etat au service d'une société de confiance actuellement défendu par le ministre de l'Action et des comptes publics devant le Parlement, qui instituera notamment le droit à l'erreur, sur lequel je m'étais engagé, mais une nouvelle forme de rapport entre l'administration et nos concitoyens, rétablissant la confiance, changeant les modalités du premier contrôle, la relation au quotidien et valorisant, donnant un socle juridique à ces indicateurs que je viens d'évoquer.

Dans cette évolution des mentalités, les hauts fonctionnaires, les grands corps, comme le vôtre, auront une responsabilité et un devoir d'exemplarité accrus. Si les cadres supérieurs de l'Etat n'adhèrent pas à ce projet de transformation, il n'ira nulle part. Pour cela, je souhaite qu'une réforme de la fonction publique, et singulièrement de la haute fonction publique, accompagne le mouvement, non pas une réforme conduite sous des tours un peu poujadistes, comme nous l'avons parfois vue ces derniers jours, qui consisterait à faire des listes de rémunérations, que les gens aillent faire des listes de rémunérations du secteur privé à responsabilités comparables, c'est simplement vouloir finir de chasser, dans certains domaines d'activité de l'Etat, les talents que nous voulons y ré-attirer, non, c'est d'avoir un cadre de responsabilités pleinement établi que nous faisons vivre mais de pouvoir également reconstruire des carrières, le sens de celles-ci, qui fasse de notre haute fonction publique le lieu d'excellence qu'elle est aujourd'hui mais qui doit continuer à l'être demain.

Un secteur d'attractivité pour les talents de notre économie, avec un cadre déontologique clair permettant le passage entre le public et le privé, mais qui permettra de porter avec la vigueur requise l'action publique que nous souhaitons. Je crois dans cette réforme de la haute fonction publique, essentielle, parce qu'il faut que nous rendions, là aussi, comme je le disais, davantage de manœuvre à nos hauts fonctionnaires en situation de responsabilité, parce que, en administration centrale, comme sur le territoire, il nous faut donner des responsabilités clarifiées, des moyens redéployés à celles et ceux qui conduisent l’action publique.

C'est aussi pour cela que je souhaite très profondément que les fonctionnaires des grands corps se frotte au réel, choisissent des postes difficiles, relèvent les défis du terrain à chaque étape de leur carrière, je souhaite dans ce contexte que la sortie de l'ENA, comme la carrière durant les premières années d'exercice, puissent être modifiées pour tenir compte des priorités gouvernementales, vous avez des talents formidables, nous venons de les voir devant vous, il y a quelques instants. Vous en avez – je le sais – besoin pour vos travaux d'évaluation essentiels, mais l’action publique en a besoin pour rénover l'Education, le Logement, les Affaires sociales, dont les ministres me disent qu’ils ont des problèmes de ressources, et donc, nous ne pouvons pas continuer à avoir non plus les mêmes rites de recrutement et les mêmes rites de passage.

Nous devons à cet égard profondément changer les entrées en carrière et les débuts de carrière en sachant valoriser d'ailleurs ces moments de campagnes, elle ne sont pas militaires, mais elles sont au réel de l'action publique, en d'autres temps, quand notre pays était en guerre, il a su le faire. Il y a une forme de guerre contre la mollesse, la langueur, les habitudes de l'échec ou les impérities, je crois profondément que nous pouvons modifier et transformer en profondeur l'action publique, encore faut-il s'en donner les moyens ; c'est donc ce que j'ai demandé au Premier ministre de faire.

Les comités interministériels de la transformation publique seront l'occasion d'annoncer plus précisément les axes de cette transformation et d’en décliner les mesures concrètes. Vous l'aurez compris, j'assigne aux Finances publiques un usage et un chemin nouveau, et ce sentier est difficultueux, je ne le mésestime pas, mais je crois que nous pouvons le relever collectivement, si chacune et chacun, dans nos compétences, nous prenons nos responsabilités. Et mes préoccupations politiques rejoignent vos réflexions stratégiques, parce que nous avons ceci de commun, que notre engagement est exclusivement au service de nos concitoyens et de la France.

Alors, je ne sais pas si l'écriture géographique de Julien GRACQ dans « Le rivage des Syrtes », se délectant parfois d'un conflit étrange, et ce qui correspond à ce moment de notre République, je crois que c'est plutôt une morale de l'action qu'il nous faut suivre, moins esthétique, parce qu'il ne faut pas nous habituer à ce conflit étrange, à cet ennemi invisible et aux générosités de la vie qui peuvent accompagner ces périodes. C’est un combat quotidien, ça n'est pas non plus celui de Sisyphe, je vous rassure, parce que je pense que – et autour de nous nombre d'exemples le montrent – je pense que si nous avons cette morale de l'action, cette exigence de la transformation publique ensemble, si nous ne nous habituons à rien, mais avec une détermination réaliste, décidons d'agir et de tenir ferme, nous pouvons collectivement le faire.

Voilà ce que j'ai souhaitais, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, vous dire ce matin en souhaitant que cette échange soit suivi de bien d'autres, nourris par la même liberté de ton et le même souci de notre pays. Et comme l'année s'ouvre, vous l'avez rappelé, il est encore temps de présenter ses vœux, je parlais de morale de l'action, il est un philosophe qui m'est cher et qui aimait l'action, c'était Alain, et j'ai eu l'occasion de le rappeler à quelques reprises, il a eu, dans ce qu'on appelle ses propos, mais qui étaient son carnet de vie, un de ces moments où l'année tournait sur ses gonds, une formule pour dire qu'il ne faut jamais désespérer, il faut penser printemps.

Alors je ne sais si ce sera dès l'année prochaine le printemps de l'évaluation que j'évoquais, mais pensons printemps, en sachant que ce printemps se fait, se fabrique à tous les temps de l’année, que ce printemps est le fruit d'une action, Alain évoquait l'action de la nature qu'on ne voit pas poindre quand les arbres font dentelle au mois de janvier mais qui travaillent sous terre, c'est ce même travail que nous avons à conduire pour notre Etat, notre action publique, qui permettra, non seulement de penser printemps, mais de le faire, et je souhaite qu'il puisse être fait dans les années qui viennent. Je vous remercie.

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