17 novembre 2017 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Conférence de presse bilatérale d'Emmanuel Macron et de Stefan Löfven, Premier ministre suédois

SEUL LE PRONONCE FAIT FOI.

LE PRESIDENT : Avant une séquence bilatérale dans quelques instants, nous nous retrouverons avec le Premier ministre suédois et irons chez Volvo puis nous signerons un parternariat pour l’innovation et un accord pour l’action sociale commune.

Je voulais vous rendre compte du sommet qui s’est tenu aujourd’hui à Göteborg sur les sujets sociaux puis de la réunion informelle entre chefs d’État et de gouvernement sur les sujets d’éducation et de culture.

Nous sommes ici venus à Göteborg pour parler de l’Europe sociale avant tout. C’était une initiative conduite par le Premier ministre suédois et le président de la Commission européenne qui a donné lieu à la signature d’un texte important qui constitue l’un des ciments de notre unité qui est précisément ce socle des droits sociaux pour notre Europe. C’est le fruit d’un travail de plusieurs mois qui a permis ainsi de définir l’un des piliers important sur lesquels j’ai eu l’occasion de m’exprimer.

Nous avons eu ce matin des travaux multiples reposant d’ailleurs sur les textes préparés par la Commission et l’ensemble des différents États membres qui nous ont permis d’avancer de manière concrète.

Ce travail pour moi s’inscrit dans le cadre d’un processus qui a été déclenché il y a plusieurs mois et qui nous permet d’avancer de manière volontariste et concrète sur cette Europe sociale. Nous avons d’abord révisé le cadre relatif au détachement des travailleurs pour le rendre plus protecteur et plus juste pour tous les travailleurs européens. Et à cet égard, le fait que la révision de cette directive ait réuni le 23 octobre une très large majorité au Conseil – et la ministre n’a pas ménagé ses efforts et je l’en remercie – a été un signal important.

Alors que depuis plusieurs années, il était considéré comme impossible de revenir sur le cadre de la directive travailleurs détachés, nous avons réussi à obtenir cet accord. Il faut maintenant que le plus rapidement possible le trilogue puisse parvenir aux accords indispensables pour mettre en œuvre ce premier accord trouvé, mais surtout que nous mettions en œuvre tout ce qui relève de la coopération bilatérale ou intergouvernementale.

Nous avons ainsi signé déjà huit accords bilatéraux dont des accords avec la Pologne et la Roumanie pour accroître, renforcer les contrôles réciproques pour lutter contre le travail détaché illégal. Et donc, au-delà de ce qui a été signé le 23 octobre dernier, qui est une étape fondamentale, nous continuons à avancer de manière très concrète.

J’ai ce matin discuté lors d’une bilatérale avec le Premier ministre néerlandais qui a marqué son accord pour signer le neuvième texte bilatéral de renforcement de nos moyens de contrôle. Le texte de la directive permettra quant à lui d’aller vers la création d’une autorité européenne qui permettra de renforcer encore davantage lesdits contrôles.

Mais c’est un point extrêmement important. Donc je me fixe comme objectif que dans les prochains mois, nous parachevions les signatures d’accords bilatéraux pour renforcer le contrôle et la lutte contre le travail détaché illégal qui viendra en acte compléter cet accord et qu’en 2018, on puisse au plus vite finaliser les textes additionnels et parachever l’autorité européenne que pousse également la Commission.

Aujourd’hui, nous avons marqué une deuxième étape importante pour cette Europe sociale qui est la proclamation du socle européen des droits sociaux. C’est un symbole mais ce sont aussi des initiatives législatives très concrètes pour reconnaître et renforcer partout dans l’Union européenne les droits sociaux – par exemple, le droit des aidants – et ce sont plusieurs principes importants qui sont justement partagés par l’ensemble des États membres.

Je l’ai dit notamment à la Sorbonne, le défi central, c’est celui de la convergence sociale et celui de la transformation des compétences et je me suis exprimé ce matin sur ces deux sujets importants. S’agissant de la convergence, nous devons en effet mettre en place des standards communs. Ce socle commence à le faire mais nous devons aller plus loin, notamment définir un salaire minimum dont le niveau et l’évolution seraient adaptés à la réalité économique de chaque pays.

Il ne s’agit pas de définir un salaire minimum unique qui soit monétairement le même pour tous les pays européens, mais d’inscrire tous les pays européens dans un processus qui permette d’aller dans cette logique. Chaque pays a sa tradition : il y a des pays pour lesquels la fixation d’un salaire minimum légal n’a pas de sens, le pays où nous sommes tout particulièrement qui, quoi qu’ayant des standards sociaux très élevés, a toujours fonctionné par une négociation collective qui s’est avérée plus efficace que la loi.

Donc il ne s’agit pas de normer, de surnormer tout cela, mais d’inscrire tous les pays européens dans la convergence d’une telle réflexion et d’un tel travail et mon souhait est que nous puissions, à horizon de 10 ans, définir un processus de convergence, comme nous l’avons fait par le passé sur les sujets monétaires et économiques.

Actuellement, 22 des 28 pays de l’Union ont un salaire minimum mais dans 10 pays, ce salaire n’atteint pas 50 % du salaire médian. Donc la situation actuelle n’est pas satisfaisante d’un point de vue social et nous ne devons pas nous y tromper. C’est pourquoi ce sujet de convergence revêt pour moi une importance toute particulière et elle doit irriguer l’ensemble de nos réflexions.

C’est pourquoi je souhaite que lors des prochaines discussions financières, nous puissions intégrer des critères de convergence sociaux à la réflexion et en particulier aux aides de cohésion que nous avons avec les différents pays. Aujourd’hui, le fonds de cohésion ou les différents instruments de l’Union européenne sont parfois utilisés pour continuer à alimenter des modèles d’optimisation fiscale ou sociale, ce qui n’est pas du tout l’esprit de l’Union européenne.

Je rappelle à cet égard la belle formule de Jacques DELORS qui disait que l’Europe était construite sur la concurrence qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit et on oublie parfois le deuxième et le troisième pilier de cette aventure.

De la même façon – j’ai insisté sur ce point ce matin –, cette convergence sociale, cette exigence commune doit irriguer nos travaux sur le plan de la politique industrielle ou commerciale et nous devons intégrer ces critères dans la lutte contre le dumping face à certaines autres puissances ou dans la négociation des traités commerciaux.

S’agissant des compétences, nous savons que d’ici 10 ans, un métier sur deux sera transformé. Il y a encore en Europe 15 millions de décrocheurs et 70 millions d’Européens qui ne disposent des compétences de base. En France, il y a 1,3 million de décrocheurs et il y a entre 1,5 et 2 millions de Françaises et de Français qui ne disposent pas des compétences de base. Cette situation rend indispensable un véritable investissement public dans le capital humain, c’est-à-dire dans les femmes et les hommes de notre pays pour qu’ils puissent trouver leur place. Et c’est l’indispensable complément d’une politique de compétitivité et de transformation du marché du travail que le gouvernement est en train de conduire.

Pour ce qui est de la France, c’est le cœur des réformes que conduit le gouvernement et en particulier la ministre pour réformer l’apprentissage et la formation professionnelle, mais aussi qui conduira dans le quinquennat à investir 15 milliards d’euros, d’une part, sur la Garantie Jeunes et sa démultiplication pour les décrocheurs, d’autre part et à titre majoritaire pour l’ensemble des travailleurs et chômeurs qui ont besoin d’avoir une requalification et de retrouver des compétences indispensables pour trouver une place dans le marché du travail compte tenu des changements profonds que connaît celui-ci.

Ce travail français, nous le conduisons. Il suppose des réformes de fond et un investissement profond, mais il suppose aussi d’être relayé au niveau européen – c’est ce que nous avons évoqué ce matin – à travers des initiatives concrètes qui doivent se refléter dans nos perspectives financières.

ERASMUS et ERASMUS Apprentissage sont des instruments essentiels pour lutter contre le décrochage et construire un socle indispensable. J’y reviendrai dans quelques instants sur la culture. À ce titre, je le rappelais ce matin, quasiment un jeune sur deux qui se soumet au programme ERASMUS a une réponse négative en raison des manques de moyens qui sont affectés à cette politique.

Je souscris à cet égard pleinement au doublement des moyens qui sont proposés par le président de la Commission européenne, Jean-Claude JUNCKER. Je pense que c’est une très bonne initiative et nous la défendrons de manière cohérente lors de la discussion sur les perspectives financières. Cet investissement est indispensable si nous voulons aussi construire vraiment un ERASMUS de l’Apprentissage qui correspond à l’ambition que je viens d’évoquer.

Je souhaite aussi que nous puissions simplifier les instruments que nous avons aujourd’hui qui sont les compléments indispensables aux transitions économiques que vit l’Europe et en particulier, que nous ayons ces critères de formation intégrés dans le fonctionnement du Fonds social européen qui est un des instruments principaux pour pouvoir financer ces transitions, que le Plan JUNCKER, aujourd’hui largement mobilisé sur des investissements en capital d’infrastructure, puisse être pour la deuxième génération orienté pour partie sur l’investissement en capital humain et la formation et que le Fonds européen d’adaptation à la mondialisation soit revu à la hausse et simplifié dans ses critères.

Aujourd’hui, il y a un seuil de restructuration à 500 salariés qui mériterait d’être baissé et qui s’inscrit complètement dans la logique de contrat de territoire et des contrats de transition que nous voulons mettre en œuvre sur le territoire français.

Le déjeuner a ensuite été consacré à une discussion informelle entre chefs d’État et de gouvernement sur les sujets de la culture et de l’éducation. La Commission a fourni un très grand travail sur ce sujet dans la ligne des échanges que nous avions eus et des discours de Jean-Claude JUNCKER comme de celui que j’ai pu faire à la Sorbonne. Nous avons repris l’agenda que j’avais exposé en septembre à ce titre et plusieurs convergences ont émergé sur des sujets importants.

D’abord, la nécessité d’aller vers une simplification des études secondaires en Europe, non pas pour les rendre plus homogènes, mais pour permettre justement plus d’échanges et de passages entre les systèmes éducatifs européens. En effet, il est très difficile au collège et au lycée, en tout cas l’équivalent de ces cycles français dans le reste de l’Europe, d’avoir des échanges. Ce qui, d’une part, est un frein à la mobilité des travailleurs, d’autre part, est un frein aux échanges pour les plus jeunes entre les pays européens.

J’ai donc souhaité lancer l’équivalent du processus de Bologne, tout au moins pour les lycées. Ce processus de la Sorbonne, pour reprendre la terminologie utilisée par la Commission européenne, va donc faire l’objet de travaux et permettre à tous les États membres qui le souhaiteraient de s’inscrire dans un processus de convergence, en tout cas de correspondance de notre enseignement secondaire.

Ensuite, nous avons marqué cette volonté et, je crois, tous agréé à l’idée de mettre en place dans nos systèmes éducatifs les dispositifs qui permettront à chaque étudiant de parler au moins deux langues européennes d’ici 2024. Nous avons eu ensuite une longue discussion sur le développement d’universités européennes, comme je l’avais proposé, permettant de créer d’ici là aussi à 2024 plusieurs universités européennes. J’avais proposé qu’on ait 20 universités européennes en 2024, ce qui permettrait d’avoir des vrais cursus intégrés entre plusieurs sites universitaires européens

Sur ce sujet, je propose que nous avancions de manière pragmatique et que tous les États membres qui souhaitent avancer sur ce sujet puissent se concerter et, dans le cadre d’une initiative dont nous définirons au mois de décembre les termes juridiques et le cadre politique, que nous puissions, durant les deux années qui viennent, faire émerger déjà quelques universités de manière concrète sur le plan européen.

Il y a déjà des parcours croisés entre plusieurs universités, des systèmes d’échange qui se sont structurés, c’est une étape supplémentaire qu’il nous faut passer mais qui sera la condition, d’abord, de la construction d’une vraie culture européenne de l’enseignement supérieur, de véritables échanges d’enseignants et d’étudiants, d’autre part, qui permettra d’accroître l’attractivité de nos établissements universitaires dans la compétition internationale et d’avoir des vrais pôles et des vrais établissements compétitifs et attractifs à l’échelle mondiale.

Nous avons évidemment sur ces sujets réévoqué l’importance des sujets ERASMUS que je viens de mentionner et j’ai pu rappeler notre volonté, dans le cadre des perspectives financières, de soutenir les initiatives de la Commission.

Sur les sujets de culture, j’ai rappelé pour ce qui me concerne l’importance de ce sujet pour définir un des socles de ce qui unit là aussi l’Europe et la volonté claire de la France de définir les contenus culturels européens en ce qu’ils sont le socle même de notre identité commune.

Tous les Européens, si une chose les unit, c’est d’avoir appris enfant, d’avoir été ému à la lecture des aventures de Don QUICHOTTE ou d’avoir croisé dans les cultures réciproques les grands héros de nos littératures, de nos opéras, de nos musiques. Et donc la culture est bien un socle qui dépasse les aventures politiques que nous sommes en train de conduire. Or, aujourd’hui, cette culture européenne est en risque et je pense que nous nous trompons grandement à considérer que le débat des droits d’auteur serait un débat anecdotique ou un débat défensif concernant la vieille économie. C’est une profonde erreur.

J’ai d’ailleurs dressé une analogie simple : lorsque nous parlons du pétrole ou du gaz, nous donnons une valeur au pétrole et au gaz et nous considérons les tubes comme accessoires. Et nous sommes prêts d’ailleurs à payer très cher le pétrole et le gaz à des puissances qui ne sont parfois pas amies parce que nous en avons besoin.

Et pour ce qui est des contenus, nous ne décidons de ne valoriser que les tuyaux qui sont des propriétés ou anglo-saxonnes ou chinoises mais nous ne valorisons plus les contenus et nous sommes en train de rentrer, de nous laisser influencer par une doxa internationale qui n’est pas la nôtre, qui consisterait à dire que les contenus n’ont plus aucune importance.

Si le résultat est, dans 50 à 60 ans, d’homogénéiser les imaginaires au niveau mondial et, pour nos enfants, d’avoir des émotions ou des référents culturels qui ne soient plus européens, mais qui soient ou chinois ou américains, nous aurons tout perdu. Et donc il est indispensable pour toutes ces raisons, parce que c’est la défense même de notre identité, de ce qui nous fait, sur le plan de l’imaginaire politique et culturel, comme sur le plan de nos intérêts économiques, il est indispensable de réaffirmer l’importance de la bataille pour les droits d’auteur et je souhaite que nous soyons infiniment plus proactifs, infiniment plus offensifs dans la définition d’une stratégie collective sur les droits d’auteur, qu’il s’agisse du numérique ou du reste.

La propriété intellectuelle a un sens en ce qu’elle reconnaît la part des créateurs, quels que soient d’ailleurs les arts, de ceux qui créent un savoir ou le transforment, des traducteurs, des journalistes, de ceux qui apportent une valeur ajoutée à un contenu et qui font simplement autre chose que de propager la circulation d’informations ou de symboles interchangeables.

De la même façon, j’ai défendu l’idée des Assises du patrimoine que j’avais proposées à la Pnyx, à Athènes, en indiquant que sur ce sujet aussi, nous devions avoir une stratégie européenne de valorisation de nos patrimoines beaucoup plus forte.

J’ai enfin soutenu les idées italiennes d’une carte européenne étudiante qui me semble extrêmement structurante sur le plan de la circulation des étudiants en Europe, comme l’idée soutenue par l’Italie et la Grèce d’une valorisation là aussi de notre patrimoine par des dispositifs économiques adaptés.

Voilà en synthèse les discussions que nous avons eues ce midi. L’ensemble de ces discussions donnera lieu à des traductions concrètes, d’une part, dans les conclusions du sommet de décembre, mais d’autre part, dans des actions concrètes rapides que nous comptons lancer.

Vous l’avez compris, l’objectif de la journée, au-delà de la séquence bilatérale qui s’annonce, c’était de parler de ce que j’ai appelé l’Europe qui unit dans le discours de la Sorbonne, qui est ce deuxième pilier de notre initiative européenne, et d’avancer à la fois sur un dialogue permettant de ramener des positions communes, mais aussi sur des actions concrètes indispensables à la crédibilité collective. Je vais maintenant répondre à toutes vos questions.

À consulter également

Voir tous les articles et dossiers